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démenti à ces hautaines assurances. L'Autriche fut à ce point humiliée qu'elle dut se résigner à ne traiter que pour elle-même; au mépris de ses engagemens, elle ne put rien stipuler pour ses alliés, elle dut les abandonner à la discrétion du vainqueur, et chacun des états du sud envoya son ministre dirigeant à Nikolsbourg pour y mendier un armistice et des préliminaires de paix. La Prusse se complut à tenir en suspens ces inquiets solliciteurs, à leur donner des alarmes, des dégoûts, à leur faire sentir la pesanteur de ses victoires et de ses pardons. -Dur et pénible nous fut le voyage de Nikolsbourg, - disait un jour le président du ministère wurtembergeois, M. de Varnbüler.

Les frais de guerre que durent acquitter les gouvernemens du sud montèrent pour Baden à 6 millions de florins payables en deux mois, pour le Wurtemberg à 8 millions, pour la Bavière à 13 millions, plus une parcelle de territoire, pour le grand-duché de Hesse à 3 millions, plus le landgraviat de Hesse-Hombourg, dont il avait hérité depuis quelques mois à peine. La carte à payer mise à part, on peut se demander si la neutralité eût fait aux états du sud une meilleure situation que leur malheureuse campagne. La Prusse nourrissait l'espoir que, s'effrayant de leur isolement, ils bifferaient de leur main l'article 4 du traité de Prague, qu'avant peu ils consommeraient son triomphe en se donnant volontairement à elle. Il importait de ne point décourager leur bonne volonté par des froissemens et des rigueurs inutiles. On avait bien pu se donner le plaisir d'humilier leurs ministres à Nikolsbourg; mais peuples et gouvernemens, la politique commandait de ménager ces 9 millions d'Allemands du midi qu'on ne pouvait prendre et qui pouvaient être tentés de s'offrir (1). Aussi, depuis 1866, la Prusse n'a guère eu que de bons procédés à leur égard; on a beau les traiter, dans le laisser-aller d'une conversation, de non-valeurs politiques; on est bien forcé de convenir que le couronnement de l'édifice dépend d'eux avant tout, et que, s'ils le voulaient bien, dès demain la Prusse n'aurait plus rien à désirer. Cependant le cabinet de Berlin entendait pousser ses acheminemens aussi loin que possible et imposer à toute l'Allemagne son hégémonie militaire et économique, se flattant que le reste se ferait de soi-même. Il n'avait pas tenu compte dans ses calculs des résistances morales et de la clairvoyance

(1) La Prusse avait d'abord exigé de la Bavière le paiement de 20 millions de thalers et la cession de territoires situés dans le nord du Palatinat et dans la Franconie, et comprenant au moins 500,000 habitans. Le gouvernement bavarois invoqua dans sa détresse les bons offices de la France, qui ne lui furent point inutiles; mais il est probable que la Prusse avait demandé beaucoup afin d'avoir bonne grâce en se contentant de peu.

de ce bon sens populaire qu'on trompe rarement, qu'on endort quelquefois, mais dont les réveils inattendus déconcertent souvent les prévisions des habiles.

Par les traités secrets d'alliance que la Prusse conclut à Nikolsbourg avec les états du sud, les parties contractantes se garantirent réciproquement l'intégrité de leurs territoires, et s'engagèrent, le cas échéant, à réunir toutes leurs forces sous le commandement suprême du roi de Prusse. Ces traités ne furent portés à la connaissance de l'Europe que le 19 mars 1867. La grosse affaire du Luxembourg venait de s'engager; on espérait sans doute faire réfléchir la France. Dans le midi de l'Allemagne, l'impression fut très vive; l'opposition accusa les gouvernemens d'avoir porté atteinte au traité de Prague dans ce qu'il avait de favorable à l'indépendance du sud et de s'être faits les vassaux militaires de la Prusse. La Souabe surtout se récria, protesta, et l'on vit le moment où le parlement wurtembergeois refuserait la ratification qu'on lui demandait. En Prusse, on éprouva d'abord une satisfaction sans mélange, on porta aux nues l'habileté du grand ministre qui, d'un coup de baguette, venait de supprimer le Mein. Après réflexion, ce grand enthousiasme se refroidit; on ne vit plus dans les traités d'alliance qu'une demimesure et un demi-succès. On jugea que ce fameux coup de partie n'était, à le bien prendre, qu'un coup de théâtre. Passe encore si des conventions annexées aux traités avaient soumis à la surveillance et au contrôle prussiens l'organisation militaire des états du sud; mais ces états restaient les maîtres absolus de leurs armées en temps de paix, et, qui plus est, la teneur des obligations qu'ils avaient contractées était bien vague. A quoi s'étaient-ils engagés? A reconnaître la paix de Prague et à faire cause commune avec la Prusse contre quiconque attenterait au nouvel ordre de choses. Or qui peut bien songer à biffer le contrat de Prague? Ce n'est pas l'Autriche, dont la politique consiste à en recommander la fidèle observation. Ce n'est pas la France non plus, qui a collaboré de son mieux à ce grand œuvre de la diplomatie. La paix de Prague n'est incommode qu'à ceux dont elle n'a satisfait qu'à moitié l'ambition et qui la considèrent, non comme le dernier terme de leurs espérances, mais comme une étape qu'ils ont hâte de laisser derrière eux pour atteindre le but. Ceux-là peuvent être tentés d'en éluder les dispositions ou tout au moins de les interpréter à leur façon. Les états du sud n'ont point juré de considérer la casuistique prussienne comme parole d'Évangile, et si on voulait les entraîner dans quelque ambitieuse entreprise où les intérêts de l'Allemagne, tels qu'ils les comprennent, ne se trouveraient point engagés, ils rappelleraient au cabinet de Berlin qu'ils ont conservé le droit d'ap

précier les circonstances et de déterminer le casus fœderis (1). C'est ce qu'ont déclaré tour à tour M. de Varnbüler et le prince Hohenlohe aux parlemens de Bavière et de Wurtemberg. « Quand j'ai dit, s'écriait ce dernier dans la séance du 23 janvier 1867, que la Bavière placerait, en cas de guerre, son armée sous le commandement du roi de Prusse moyennant garantie de sa souveraineté, il s'entend de soi-même que j'ai supposé le cas d'une guerre où l'intégrité de l'Allemagne dans ses limites actuelles serait menacée de quelque côté que ce soit. » Cela revient à dire que, si la Prusse était jamais appelée à défendre par les armes les intérêts allemands, elle pourrait compter sur le concours actif des états du sud. Que la France étende le bras pour s'emparer du Rhin, l'Allemagne se lèvera comme un seul homme. Était-il besoin d'un traité pour cela? Seulement, à Munich comme à Stuttgart, on n'a pas renoncé à distinguer les intérêts allemands des intérêts prussiens, ce qui prouve qu'il y a encore un Mein, et que la confédération du nord n'embrasse pas toute l'Allemagne. Jadis M. de Kaunitz, dans un moment d'humeur contre la France, qui se refusait à suivre le cabinet de Vienne dans son aventure bavaroise et disputait sur le casus fœderis, s'écria : « Il est inutile de faire des traités, si l'explication de leurs engagemens devient arbitraire. » Il faut reconnaître en effet que les traités généraux d'alliance, par lesquels on croit engager l'avenir, sont d'une médiocre utilité. L'application qu'on en peut faire dépend toujours de la conformité des vues et des intérêts. On le sait bien à Berlin, et on y doute de l'efficacité de l'instrument de Nikolsbourg; mais on y sait aussi qu'il est avantageux de n'avoir pas l'air d'en douter, tout en se disant, avec le prince de Ligne, « qu'on ne peut s'en rapporter qu'à soi, et qu'on n'a des alliés que pour être sûr de n'avoir pas tout à fait des ennemis de plus. >>

La Prusse remporta un avantage plus effectif par le renouvellement du Zollverein et par la métamorphose qu'elle lui fit subir. Sur ce terrain, la Prusse était forte; elle avait pour elle la conspiration secrète ou déclarée des intérêts économiques, plus puissans dans

(1) Les traités d'alliance portent que les contractans se garantissent réciproquement l'intégrité de leurs territoires respectifs, et s'engagent, en cas de guerre, à mettre à cet effet, zu diesem Zwecke, toutes leurs forces à la disposition les uns des autres. Il en résulte que les états du sud ne se sont engagés que pour le cas d'une guerre qui aurait pour objet de sauvegarder l'intégrité de l'Allemagne, et qu'ils se sont réservé le droit d'examiner si tel cas qui pourrait se présenter est vraiment un casus fœderis. Depuis peu, les feuilles officielles de Berlin leur contestent ce droit; elles ne s'en étaient pas avisées jusqu'à ce jour. M. de Varnbüler déclara, en 1867, que le cabinet prussien l'avait consulté pour savoir s'il estimait que l'affaire du Luxembourg fût un casus fœderis. M. de Bismarck reconnaissait ainsi implicitement le droit d'examen des états du sud.

ce siècle que dans tout autre. Les marchandises n'ont pas d'opinions politiques; le seul principe qu'elles admettent est que tout ce qui entrave la faculté d'aller et de venir et le droit de libre circulation est pernicieux et funeste. La frontière politique du Mein serait devenue insupportable aux populations du sud, si elle s'était transformée tout à coup en ligne de douanes. Il y parut bien quand en Bavière la chambre haute fit mine de rejeter le traité douanier; la boutique et le comptoir s'émurent, s'ameutèrent; les meetings succédèrent aux meetings; effrayée de cet orage, la chambre des pairs courba la tête la raison d'état est bien forcée de capituler quand elle a contre elle les affaires et ceux qui les font.

Le cabinet de Berlin, qui connaissait l'état des esprits, en profita pour faire ses conditions, pour prendre tous ses avantages et pour investir le roi de Prusse de l'hégémonie économique de l'Allemagne. Amoureux, non sans raison, de la constitution qu'il venait de donner au Nordbund, M. de Bismarck ne put rien imaginer de mieux que de l'étendre à l'union douanière. Le nouveau Zollverein se trouvait ainsi nanti d'un président, qui était le roi de Prusse, et de deux chambres, dont l'une n'était que le Bundesrath agrandi et l'autre le Reichstag avec une rallonge. Cette organisation ne pouvait produire que d'excellens résultats. Commissaires et députés du sud devaient faire dorénavant, à époques réglées, le voyage de Berlin pour venir siéger dans le Zollbundesrath ou dans le Zollparlament. Il était bon que ces Souabes, ces Bavarois, si casaniers, si attachés à leurs habitudes, fussent obligés de respirer de temps à autre l'air de la Prusse, le pays le plus parlementaire de l'Europe, puisqu'il possède désormais trois parlemens et six chambres, toutes gouvernées par M. de Bismarck. On pouvait se flatter de commencer ainsi le dressage politique du sud, de l'initier par un laborieux noviciat aux institutions du nord, de lui en faire prendre l'esprit et le pli. Qui ne sait qu'en fait d'éducation les commencemens sont tout? Les Allemands du midi n'acceptèrent pas sans effroi des conditions qui leur paraissaient menaçantes pour leur indépendance. Ce qui les inquiétait le plus, c'étaient les priviléges conférés à la présidence, c'est-à-dire à la Prusse, le droit qu'elle s'arrogeait de conclure de son chef, sauf ratification du parlement, des traités de commerce et de navigation avec l'étranger, le veto qui lui était attribué en matière de lois et de règlemens administratifs, l'atteinte dangereuse qu'on portait à l'autonomie des états en englobant dans les objets de législation commune l'imposition du sel et du tabac indigènes. La Bavière s'efforça d'obtenir de Berlin quelques concessions. On lui octroya six voix au lieu de quatre dans le Bundesrath, et la promesse que, nonobstant le droit d'initiative réservé à la Prusse

dans les conventions qui pourraient être conclues avec l'Autriche et la Suisse, les états du sud seraient admis à participer aux négociations; mais en vain réclama-t-elle une part dans le droit de veto. La Prusse savait tout ce qu'il lui était permis d'oser; les gouvernemens du midi en étaient réduits à subir ses conditions ou à sortir du Zollverein. Après d'orageux débats, les parlemens bavarois et wurtembergeois ratifièrent le traité douanier comme les traités d'alliance, non sans regret, à leur corps défendant, se disant, avec un moraliste, que c'est une violente maîtresse d'école que la nécessité, ou, pour emprunter le langage de l'un de leurs hommes d'état, «< qu'en politique ce qui n'est que mauvais est quelquefois acceptable, et qu'il ne faut rejeter que le pire. >>

Le Zollverein n'a pas eu toutes les conséquences politiques qu'on en attendait. Il n'a justifié jusqu'à ce jour ni les inquiétudes du midi, ni les espérances du nord. Les unitaires ne craignaient pas de déclarer que le Zollparlament était une boîte à surprises d'où allait sortir, au grand effarement de l'Europe, l'unité de l'Allemagne, ou, pour parler plus net, la création définitive d'une grande Prusse s'étendant des rivages de la Baltique jusqu'aux frontières de l'Autriche. Il pouvait arriver en effet que le parlement douanier, composé des députés de l'Allemagne entière, résolût, dans un élan d'enthousiasme national, de reculer les limites marquées à sa compétence et de se transformer en assemblée politique. Sur quoi se fussent appuyés les gouvernemens du sud pour réprimer cette insurrection parlementaire du suffrage universel? Aussi les élections douanières, qui eurent lieu dans les mois de février et de mars 1868, furent-elles envisagées d'avance par tous les partis comme un événement qui déciderait du sort de l'Allemagne. On se demandait avec anxiété ce qui allait sortir de cette urne mystérieuse autour de laquelle toutes les espérances, tous les intérêts, toutes les passions s'étaient donné rendez-vous. Le parti prussien mit tout en œuvre pour gagner cette bataille décisive; il se flatta pendant quelques jours qu'il tenait la victoire : accoutumé au bonheur, un échec lui semblait impossible. Le résultat ne répondit pas à son attente. Dans le grand-duché de Hesse, il est vrai, les nationaux eurent gain de cause; à Baden, ils n'obtinrent qu'un demi-succès; en Bavière, ils essuyèrent une éclatante défaite, et en Wurtemberg leurs dix-sept candidats restèrent sur le carreau.

Les nationaux eurent quelque peine à se résigner. La première session du parlement douanier fut troublée par les efforts qu'ils firent pour arracher à cette assemblée une déclaration conforme à leurs vues, efforts malencontreux qui soulevèrent des orages. Le Bavarois, quand on le provoque, devient âpre et violent; le Souabe

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