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Telémaque fous la figure de Mentore, ne vot loit pas être connue de Calypfo. Cependant Calypfo fe réjouifloit d'un naufrage, qui mettoit dans fon ifle le fils d'Ulyffe fi femblable à fon pere: Elle s'avance vers lui, & fans faire femblant de favoir qui il eft: D'où vous vient, lui dit-elle, cette témerité d'aborder en mon ifle Sachez, jeune Etranger, qu'on ne vient point impuné ment dans mon Empire. Elle tâchoit de couvrir fous ces paroles menaçantes la joie de fon cœur, qui éclatoit malgré elle fur fon vifage.

TELEMAQUE lui répondit: Ovous, qui que vous foyez, mortelle ou Déeffe, (quoiqu'à vous voir on ne puiffe vous prendre que pour une Divinité) feriez-vous infenfible au malheur d'un fils qui, cherchant fon pere à la merci des vents & des flots, a vu brifer fon navire contre Vos rochers? Quel eft donc votre pere que vous cherchez, reprit la Déeffe? Il fe nomme Ulyffe,

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dit

B Cette idée eft prise du H. & III. liv. de l'Odyffée, où Minerve, fous la figure de Mentor, détermine Telémaque à aller chercher for pere, & l'accompagne même jusqu'à Pylos.

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• Mentor étoit un des amis d'Hom mere qui, pour éternifer fon l'a placé dans l'Odyffée par reconnoiffance, parce qu'étant abordé à Ithaque, à fon retour d'Espagne,& fe trouvant fort in commodé d'une fluxion fur les yeux, qui l'empecha de continuer fon voyage, il fut reçu chez ce Mentor qui prit beaucoup de foin de lui. Homere en fait un des plus fideles amis d'Ulyfe,& celpi à qui, en s'embarquant pour Troye, il avoit confié le foin de fa maiJon. L'Auteur du Télémaque continue la même fiction; comme cet Ouvrage étoit destiné à l'inftruction du Duc de Bourgogne, done il étoit Précepteur, il dit que Mentor étoit Minerve elle-même, deguifée fous la forme de ce vieillard, pour donner plus de poids à fes préceptes, qui font dignes en effet de la plus baute sagesfe.

Θεὸς νύ τις ἢ βρετὶς ἐσσί.

Homer. Odyff. 1. VI. v. 149. O quam te memorem, virgo? Namque baud tibi vultus Mortalis, nes vox bominem fonat! O Dea certè. Virg. Æn.

1.. I. v. 327+

dit Telémaque. C'est un des Rois qui, après un fiége de dix ans, ont renversé la fameuse Troye x. Son nom fut celebre dans toute la Grece & dans toute l'Afie, par fa valeur dans les combats, & plus encore par fa fageffe dans les confeils. + Maintenant errant dans toute l'étendue des mers, il parcourt tous les écueils les plus terribles. Sa patrie femble fuir devant lui. Pénelope fa femme, & moi qui fuis fon fils, nous. avons perdu l'efperance de le revoir. Je cours, avec les mêmes dangers que lui, pour aprendre où il eft: mais que dis-je! Peut-être qu'il eft maintenant enseveli dans les profonds abimes de la mer. Ayez pitié de nos malheurs; & fi vous favez, o Déeffe, ce que les Deltinées ont fait pour fauver ou pour perdre Ulyffe, daignez en inftruire fon fils Telémaque.

CA

• Πατρὸς ἐμὲ κλέα ευρύ μετέρχομαι ἤναι ακέσω,
Δικ ἰδυσσῆς ταλασίφρον, ὃν ποτέ φασιν
Σὺν σοὶ μαρνάμενον τρώων πόλιν ἐξαλαπάξαι.
Homer. Odyff. I. III. v. 83.

Paris, un des fils de Priam, aïant enlevé Helene, femme de Ménelas, tous les Rois & Princes de la Grece fondirent: fur Troye, dont Priam étoit Roi, parcequ'avant le mariage de cette Princeffe, qui étoit d'une beauté achevée, ils s'étoient en gagés par ferment à fecourir & venger celui qui l'épouseroit, en cas qu'on la lui ravît.

Cùm freta, cùm terras omnes, tot inbospita fana

Syderaque emenfe ferimur, dum per mare magnum Italiam fequimur fugientam. Virg. Æn. l. V. v. 627. ↑ Tovera vuv Ta σa yévað indvouar, aine déanda Κείνο λυγρὸν ὄλεθρον ἐνισπεῖν, εἶπε ὅπωπας Οφθαλμοϊσι τεοῖσιν, ἢ ἄλλο μύθον άκισας Πλαζομένα.

t

Homer. Odyff. I. III. v. 92. & IV. v. 322.

f On s'intereffe d'abord pour le Heros du Poëme, qui facrifie tout à l'amour paternel. Un Prince eft d'ordinaire pour fon peuple ce qu'il eft pour la famille. Toutes les hiftoires font voir

que

CALYPSO étonnée & attendrie de voir dans une fi vive jeunese tant de fageffe & d'éloquence, ne pouvoit raflafier fes yeux en le regardant, & elle demeuroit en filence. Enfin elle lui dit : Telémaque, nous vous aprendrons ce qui eft arrivé à votre pere, mais l'histoire en eft longue. Il eft tems de vous delaffer de tous vos travaux. Venez dans ma demeure, où je vous recevrai comme mon fils. Venez; vous ferez ma confolation dans cette folitude, & je ferai votre bonheur, pourvu que vous fachiez en jouir.

TELEMAQUE fuivoit la Déefle, environnée d'une foule de jeunes Nymphes, * au-deflus defquelles elle s'élevoit de toute la tête, comme unt grand chêne dans une forêt éleve fes branches épaifles au-deflus de tous les arbres qui Fenvironnent. I admiroit l'éclat de fa beauté, la riche pourpre de fa robe longue & flotante, fes cheveux noués par derriere négligemment, mais avec grace; le feu qui fortoit de fes yeux, & la douceur qui temperoit cette vivacité. Mentor les yeux baiflés, gardant un filence modefte, fuivoit Telémaque.

ON arriva à la porte de la grote & de Calypfo,

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que ceux qui ont été bons Rois, ont été bons fils & bons peres. Les vertus obfcures d'un fimple Particulier acquierent de l'éclat fur le trône. Platon ne craint point de dire que l'art de conduire u vafte Etat, eft l'art de conduire une feule famille.

*

Πασάων δ ̓ ὕπερ ἦγε χάρη ἔχει ἠδὲ μέτωπα.
Homer. Odyff. 1. VI. v. 107.
Et toto vertice fupra eft. Virg. Æn. 1. VII. v. 814. & alo

Tamen altior illis

Ipfa Dea eft, colloque tenus fupereminet omnes.

Ovid. Met. 1. III. v. 181.

†Quantùm lenta folent inter wiburna cupreffi. Virg. Ecl. I. v. 26,.

Homere en fait une defcription moins chargée, mais il la rend digne d'une Divinité par un trait de Maître: il dit que Mer

sure

où Telémaque fut furpris de voir, avec une aparence de fimplicité ruftique, tout ce qui peut charmer les yeux. Il eft vrai qu'on n'y voyoit ni or, ni argent, ni marbre, ni colonnes, ni tableaux, ni ftatues: mais cette grote étoit taillée dans le roc en voûtes pleines de rocailles & de coquilles. Elle étoit tapiffée d'une jeune vigne, qui étendoit également fes branches fouples de tous côtés. Les doux Zéphirs confervoient en ce lieu, malgré les ardeurs du foleil, une delicieuse fraîcheur. Des fontaines, coulant avee un doux murmure fur des prés femés d'amaranthes & de violettes, formoient en divers lieux des bains auffi purs & auffi clairs que le cristal. Mille+ fleurs naiffantes émailloient les tapis verds dont la grote étoit environnée. Là on trouvoit un bois de ces arbres touffus, qui portent des pommes d'or, & dont la fleur, qui fe renouvelle dans toutes les faifons, répand le plus doux de tous les parfums. Ce bois fembloit couronner ces belles prairies, & formoit une nuit que les rayons du foleil ne pouvoient percer. Là on n'entendoit jamais que le chant des oifeaux, ou le bruit d'un ruiffeau qui, fe‡ précipitant du haut d'un

rocher,.

cure fut ravi d'admiration à l'afpect de ces lieux, quoi qu'il arrivat du palais des Immortels. Voici fes termes :

*

---- Ενθὰ κι ἔπειτα καὶ ἀθάναζα την ἐπελθὼν Θρήσαιτο ἰδῶν, καὶ τερφθείη φρεσὶν ὅσι Odyff. 1. V. v. 73.. * Η δ ̓ αὐτὸ τελάνυς, πεὶ σπείες γλαφυρό 'Hureis bwwoα. Homer. Odyff, 1. V. v. 68. † ̓Αμφὶ ἢ λειμώνες μαλακοὶ ἴς ἠδὲ σελίνι Θήλεον. Id. ib. v. 72.

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Levis crepante lympha defilit pede. Hor. Epod. 16.

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