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avec fes trefors. Je comparois ce Roi invifible avec Sefoftris fi doux, fi acceffible, fi affable, fi curieux de voir les Etrangers, fi attentif à écou- ter tout le monde, & à tirer du cœur des hommes la verité qu'on cache aux Rois. Sefof- tris, difois-je, ne craignoit rien, & n'avoit rien à craindre; il fe montroit à tous fes Sujets comme à fes propres enfans. Celui-ci craint tout & a tout à craindre. Ce méchant Roi eft tou- jours expofé à une mort funefte, même dans fon Palais inacceffible, au milieu de fes Gardes. Au contraire le bon Roi Sefoftris étoit en fu- reté au milieu de la foule des peuples, comme un bon pere dans fa maison environné de fa famille.

PYGMALION donna ordre de renvoyer les troupes de l'ifle de Cypre, qui étoient venues fecourir les fiennes à caufe de l'alliance qui étoit entre les deux peuples. Narbal prit cette occafion de me mettre en liberté: il me fit paffer en.. revue parmi les foldats Cypriens; car le Roi étoit ombrageux jufques dans les moindres chofes. Le defaut des Princes trop faciles & inapliqués eft de fe livrer, avec une aveugle confiance, à des Favoris artificieux & corrompus. Le defaut de celui-ci étoit au contraire de fe defier des plus honnêtes gens. Il ne favoit point difcerner les hommes droits & fimples, qui agissent fans déguifement: aufli n'avoit-il jamais vu de gens de: bien; car de telles gens ne vont point chercher un Roi fi corrompu. D'ailleurs il avoit vu depuis qu'il étoit fur le trône, dans les hommes. dont il s'étoit fervi, tant de diffimulation, de perfidie & de vices affreux, déguifés fous les aparences de la vertu, qu'il regardoit tous les hommes fans exception comme s'ils euffent été mafqués. Il fupofoit qu'il n'y avoit aucune ver

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tu fincere fur la terre; ainfi il regardoit tous les hommes comme étant à peu près égaux. Quand il trouvoit un homme faux & corrompu, il ne fe donnoit point la peine d'en chercher un autre, comptant qu'un autre ne feroit pas meilleur. Les bons lui paroiffoient pires que les méchans les plus déclarés, parcequ'il les croyoit auffi mé chans & plus trompeurs.

POUR revenir moi, je fus confondu avec les Cypriens, & j'échapai à la defiance pénétrante du Roi. Narbal trembloit de crainte que je ne fufle découvert; il lui en eût couté la vie & à..... moi auffi. Son impatience de nous voir partir étoit incroyable; mais les vents contraires nous retinrent affez longtems à Tyr.

JE profitai de ce féjour pour connoître les. mours des Phéniciens fi celebres chez toutes les nations connues. J'admirois l'heureuse fituation de cette grande ville, qui eft au milieu de la. mer dans une ifle. La côte voifine eft delicieuse. par fa fertilité, par les fruits exquis qu'elle porte, par le nombre des villes & des villages qui fe touchent prefque; enfin par la douceur de fon climat: car les montagnes mettent cette côte à l'abri des vents brûlans du Midi, & elle eft rafraî chie par le vent du Nord qui fouffle du côté de la mer. Ce pays eft au pied du Liban, dont le fommet fend les nues & va toucher les aftres; une glace éternelle couvre fon front; des fleuves pleins de neige tombent comme des torrens des pointes des rochers qui environnent fa tête. Au-deffous on voit une vafte forêt de cedres antiques, qui paroiffent auffi vieux que la terre où ils.

• Tyrus quondam infula, nunc verò Alexandri oppugnantis operibus continens. Plin. l.. V... f., 17..

C'eft de là que vient fon nom de Liban, derivé du mot Phenicien laban, qui fignifie blane. Voy. Sam. Bochart, Chan, 2. I. Ce 420

ils font plantés, & qui portent leurs branches épaifles jufques vers les nues. Cette forêt a fous

fes pieds de gras pâturages dans la pente de la montagne. C'est là qu'on voit errer les taureaux qui mugiffent; les brebis qui bêlent avec leurs tendres agneaux, bondiffent fur l'herbe. Là coulent mille ruiffeaux d'une eau claire. Enfin on voit au-deffous de ces pâturages le pied de la montagne, qui eft comme un jardin: le Printems & l'Automne y regnent enfemble pour y joindre les fleurs & les fruits. Jamais ni le fouffle empefté du Midi qui feche & qui brûle tout, ni le rigoureux Aquilon n'ont ofé effacer les vives couleurs qui ornent ce jardin.

C'EST auprès de cette belle côte que s'éleve dans la mer Fifle où eft bâtie la ville de Tyr. Cette grande ville femble nager au-deffus des eaux, & être la Reine de toute la mer. Les Marchands y abordent de toutes les parties du Monde, & fes habitans font eux-mêmes les plus fameux Marchands qu'il y ait dans l'Univers. Quand on entre dans cette ville, on croit d'abord que ce n'eft point une ville qui apartienne à un peuple particulier; mais qu'elle eft la ville commune de tous les peuples, & le centre de leur commerce. Elle a deux grands môles fembla→ bles à deux bras, qui s'avancent dans la mer, & qui embraffent un vafte port où les vents ne peuvent entrer. Dans ce port on voit comme une forêt de mâts de navires; & ces navires font fi nombreux, qu'à peine peut-on découvrir la mer qui les porte. Tous les citoyens s'apliquent au commerce, & leurs grandes richeffes ne les dé goûtent jamais du travail néceflaire pour les augmenter. On y voit de tous côtés. le fin lin d'Egypte,

* Frigidus fylvis Aquile decuffit bonorem.

Virg. Georg. 1. II. v. 404

d'Egypte, & la pourpre Tyrienne deux fois teinte, d'un éclat merveilleux. Cette double teinture eft fi vive, que le tems ne peut l'effacer; on s'en fert pour les laines fines, qu'on rehauffe d'une broderie d'or & d'argent. Les Phéniciens ont le commerce de tous les peuples jufqu'au détroit de Gadès ; & ils ont même pénétré dans le vafte Océan qui environne toute la terre. Ils ont fait auffi de longues navigations fur la mer rouge, & c'eft par ce chemin qu'ils vont chercher, dans des ifles inconnues, de l'or, des parfums & divers animaux qu'on ne voit point ailleurs.

JE ne pouvois raffafier mes yeux du spectacle magnifique de cette grande ville, où tout étoit en mouvement. Je n'y voyois point, comme dans les villes de la Grece, des hommes oififs & curieux, qui vont chercher des nouvelles dans la place publique, ou regarder les Etrangers qui arrivent fur le port. Les hommes font occupés à décharger leurs vaiffeaux, à transporter leurs marchandises ou à les vendre, à ranger leurs magafins, & à tenir un compte exact de ce qui leur eft dû par les négocians étrangers. Les femmes ne ceffent jamais, ou de filer les laines, ou de faire des defleins de broderie, ou de ployer les riches étoffes.

D'ou vient, difois-je à Narbal, que les Phéniciens fe font rendus les maîtres du commerce de toute la terre, & qu'ils s'enrichiffent ainsi aux

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1624

Tyrioque ardebat murice lana. Martial.

Pline leur attribue l'invention de cette teinture, ou du moins le principal commerce. Hift. Nat. 1. IX. f. 60.

Gades ou Gadire, aujourd'hui Cadix, eft une ifle de l'Efpagne Bétique, voifine du Continent, vis à vis du port de Mneftée. Elle fut bâtie par les Tyriens, c'eft une de leurs plus anciennes colonies.

Voyez le reproche que leur en fait Démofthene dans fes Philippiques.

dépends de tous les autres peuples? Vous le vo yez, me répondit-il. La fituation de Tyr. est heu reufe pour le commerce; c'est notre patrie qui a la gloire d'avoir inventé la navigation. Les Tyriens furent les premiers (s'il en faut croire ce qu'on raconte de la plus obfcure & Antiquité); qui dompterent les flots, longtems avant l'âge de Tiphys & des Argonautestant vantés dans la Grece; ils furent, dis-je, les premiers qui oferent fe mettre dans un frêle * vaifleau à la merci, des vagues & des tempêtes; qui fonderent les abimes de la mer, qui obferverent les aftres loin de la terre, fuivant la fcience des Egyptiens & des Babyloniens; enfin, qui réunirent tant de peuples que la mer avoit féparés. Les Tyriens font induftrieux, patiens, laborieux, propres, fobres, & ménagers. Ils ont une exacte police; ils font parfaitement d'accord entre eux; jamais peuple n'a été plus conftant, plus fincere, plus fidele, plus fûr, plus commode à tous les Etrangers.

VOILA,

* Pline dit que ce fut un Tyrien qui fit le premier vailfeau marchand: Onerariam navem Hippus Tyrius invenit. lib. VI... 57

k Les Argonautes étoient les Heros de la Grece, qui allerent en Colchos avec Jafon, pour enlever la Toifon d'or. Leur vaiffeau avoit été conftruit en Theffalie par les mains mêmes de Pale las. Tipbys en étoit le Pilote.

a Leur nom vient de leur váiffeau qui s'apelloit Argo. Alter erit tum Tiphys, & altera quæ vebat Argo Delectos beroas. Virg. Eclog. IV. v. 34.

* Illi robur & as triplex

Circa pectus erat, qui fragilem truci

Commifit pelago ratem

Primus. Hor. 1. I. Od. 3.

Babylone, fur l'Euphrate, avoit été bâtie par Belus, c'est dire Nimrod, qu'il ne faut pas confondre avec le Belus de Tyr. Sam. Bochart. Phal. I. IV. c. 14. Il ne refte prefque aucun veftige de cette magnifique ville, i celebre dans l'Ecriture & dans l'Hiftoire profane. Id. ib. c. 13. & 15.

Virgile les accufe pourtant de duplicité: Tyriofque bilin ges; & Lucain d'inconftance, Et Tyrios inftabiles,

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