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TELEMAQUE entendit de loin les cris des vainqueurs, & il vit le defordre des fiens qui fuyoient devant Adrafte, comme une troupe de cerfs timides traverfe les vaftes campagnes, les bois, les montagnes, les fleuves mêmes les plus rapides, quand ils font pourfuivis par des chaffeurs. Telémaque gémit. L'indignation paroît dans fe yeux. Il quite les lieux où il avoit combattu longtems avec tant de danger & de gloire. Il court pour foutenir les fiens. Il s'avance tout couvert du fang d'une multitude d'ennemis qu'il a éterdus fur la pouffiere. De loin il pouffe un cri qui fe fait entendre aux deux armées.

MINERVE avoit mis je ne fais quoi de terrible dans fa voix, † dont les montagnes voifines retentirent. Jamais Mars dans la Thrace n'a fait entendre plus forte nent fa cruelle voix, quand il apelle les Furies infernales, la Guerre & la Mort. Le cri de Telémaque porte le courage & l'audace dans le cœur des fiens. Il glace d'épouvante les ennemis. Adrafte même a honte de fe fentir troublé. Je ne fais combien de funeftes prefages le font frémir, & ce qui l'anime eft plutôt un defefpoir qu'une valeur tranquile. Trois fois fes genoux tremblans commencerent à fe derober fous lui. Trois fois il recula fans fonger à ce qu'il faifoit. Une pâleur de defaillance & une fueur froide fe répandoit dans tous fes membres. Sa voix enrouée & hefitante ne pouvoit achever aucune parole. Ses yeux pleins d'un feu fombre & étincelant paroiffoient fortir de fa tête. On le voyoit, comme Orefte, agité par les Furies. Tous fes mouvemens étoient

Totufque remugit

Mons circùm, & vocem late nemora alta remittunt.

con

Virg. Æn. 1. XII. v. 928. Ce fut le fuplice d'Orefte, fils d'Agamemnon & de Clytemnestre, après qu'il cut tué fa mere:

Aut

convulfifs. Alors il commence à croire qu'il y a des Dieux. Il s'imagine les voir irrités, & entendre une voix fourde qui fort du fond de l'abime pour l'apeller dans le noir Tartare. Tout : lui fait fentir une main celefte & invifible fufpendue fur fa tête, qui alloit s'apefantir pour le fraper. L'efperance étoit éteinte au fond de fon cœur. Son audace fe diffipoit, comme la lumiere du jour difparoît quand le Soleil fe couche dans le fein des ondes, & que la terre s'envelope des ombres de la nuit.

L'IMPIE Adrafte trop longtemps fouffert fur la terre, fi les hommes n'euffent eu befoin d'un tel châtiment; l'impie Adrafte touchoit enfin à fa derniere heure. Il court forcené au-devant de fon inévitable deftin. L'horreur, les cuifans remords, la confternation, la fureur, la rage, le defefpoir, marchent avec lui. A peine voit-il Telémaque, qu'il croit voir l'Averne qui s'ouvre, & les tourbillons de flâmes qui fortent du noir * Phlégéton' prêtes à le dévorer. Il s'écrie, & fa bouche demeure ouverte fans qu'il puifle prononcer aucune parole. *Tel qu'un homme dor

Aut Agamemnonius fcenis agitatus Oreftes
Armatam facibus matrem, & ferpentibus atris,
Cùm fugit. Virg. Æn. 1. IV. v. 471.

mant

Le Pblégéton eft un fleuve des enfers qui roule des feux ardens, dont les flots font tout de flame.

Que rapidus flammis ambit torrentibus amnis
Tartareus Phlegeton. Virg. Æn. 1. VI. v. 550.
Latè exundantibus urit

1911

Ripas færus aquis Phlegeton, & turbine anhela
Flammarum refonans faxofa incendia torquet.
Sil. 1. XIII. v. 561.
• Ac velut in fomnis oculos ubi languida preffit
Note quies, nequicquam avidos extendere curfus
Velle videmur,&in mediis conatibus ægri
Succidimus; non lingua valet, non corpore note
Sufficiunt vires: net, vox nec verba fequuntur.

Virg. Æn, I. XII, v, 908.

mant, qui dans un fonge affreux ouvre la bou che & fait des efforts pour parler. Mais la parole lui manque toujours & il la cherche en vain. D'une main tremblante & précipitée Adrafte lance fon dard contre Telémaque. Celui-ci intrépide, comme l'ami des Dieux, fe couvre de fon bouclier. Il femble que la Victoire le couvrant de fes ailes tient déja une couronne fufpendue au-deflus de fa tête. Le courage doux & paifible reluit dans fes yeux. On le prendroit pour Minerve même, tant il paroît fage & mefuré au milieu des plus grands perils. Le dard lancé par Adrafte eft repouffé par le bouclier*. Alors Adrafte fe hâte de tirer fon épée, pour o ter au fils d'Ulyffe l'avantage de lancer fon dard à fon tour. Telémaque voyant Adrafte l'épée à la main, fe hâte de la mettre auffi, & laiffe fon dard inutile.

QUAND on les vit ainfi tous deux combattre de près, tous les autres combattans en filence mirent bas leurs armest, pour les regarder attentivement, & on attendit de leur combat la destinée de toute la guerre. Les deux glaives brillans, comme les éclairs d'où partent les foudres, fe croifent plufieurs fois, & portent des coups inutiles fur les armes polies, qui en retentiffent. Les deux combattans s'alongent, fe replient, s'abaiffent, relevent tout-à-coup, & enfin fe faififfent. Le

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Rauco quod protinus are repulfum. Virg. Æn. 1. II. v. 545 Τῆλε δ' ἀπεπλάγχθη σάκες δάρυ.

lierre

Homer. II. 1. XXII. v. 291.

Jam verò & Rutuli certatim & Troes & omnes,
Convertere oculos Itali.

1708

Armaque depofuere humeris.

Virg. Æn. 1. XII. v. 704. & 707.
Arius atque bederá procera aftringitur ilex.
Hor. Epod. XV.

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α

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Telémaque, après avoir donné la vie à Adraste, est obligé de le tuer pour sauver la Sienne.

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