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CEPENDANT Philoctete marchant à pas lents, & tenant dans fes mains les fleches d' Hercule, fe hâtoit d'aller au fecours de Neftor. Adraite n'aïant pu atteindre le divin vieillard, avoit lancé fes traits fur plufieurs Pyliens, auxquels il avoit fait mordre la pouffiere. Déja il avoit abattu Etefilas fi léger à la course, * qu'à peine il imprimoit la trace de fes pas dans le fable, & qui devançoit en fon pays les plus rapides flots de l'Eurotas m & de l'Alphée ". A fes pieds étoient tombés Entiphron plus beau qu'Hylas & auffi ardent chaffeur qu'Hyppolite; Pterelas, qui avoit fuivi Neftor au fiége de Troye, & qu'Achille même avoit aimé à caufe de fon courage & de fa force; Ariftogiton, qui s'étant baigné, difoiton, dans les ondes du fleuve Acheloüs P avoit reçu fecrettement de ce Dieu la vertu de prendre toutes fortes de formes. En effet il étoit fi four ple & fi prompt dans tous fes mouvemens, qu'il échapoit aux mains les plus fortes. Mais Adrafte d'un coup de lance le rendit immobile, & fon ame s'enfuit d'abord avec fon fang.

NESTOR, qui voyoit tomber fes plus vaillans Capitaines fous la main du cruel Adraste, comH 3

Per aperta volans, ceu liber babenis,
Equora, vix fummâ veftigia ponat arena.

me

Virg. Georg. 1. III. v. 194. m L'Eurotas, aujourd'hui Bafilipotauros & Iris, eft une grande riviere de la Morée, qui fe décharge dans le golfe de

Colochine.

L'Alphée et une grande riviere de la Turquie en Europe, qui traverse la Morée & fe décharge dans le golfe de Arcadie.

.

Hylas, jeune garçon très beau, fils de Thyodamas, aimɛ d'Hercule & ravi par les Nymphes, dit la fable, en voulant reprendre fa cruche qu'il avoit laiffé tomber dans l'eau. Mais la verité eft qu'il s'y laiffa tomber lui-même, & que fa mort donna lieu au bruit de fon prétendu enlevement.

P Achelous, fleuve de l'Acarnanie dans l'Epire, qu'il fépare de la Natotie: il prend fa fource du mont Pindus.

me les épics dorés pendant la moiffon tombent fous la faux tranchante d'un infatigable moiffonneur, oublioit le danger, où il expofoit inutilement fa vieilleffe. Sa fageffe l'avoit quité. Il ne fongeoit plus qu'à fuivre des yeux Pifistrate fon fils, qui de fon côté foutenoit avec ardeur le combat, pour éloigner le peril de fon pere. Mais le moment fatal étoit venu, où Pifistrate devoit faire fentir à Neftor, combien on est souvent malheureux d'avoir trop vécu.

PISISTRATE porta un coup de lance fi violent contre Adrafte, que le Daunien dévoit fuccomber. Mais il l'évita; & pendant que Pififtrate, ébranlé du faux coup qu'il avoit donné, ramenoit fa lance, Adrafte le perça d'un javelot au milieu du ventre. Ses entrailles commencerent d'abord à fortir avec un ruiffeau de fang. Son teint fe flétrit comme une fleur * , que la main d'une Nymphe a cueillie dans les prés. Ses yeux étoient déja prefque éteints, & fa voix defaillante. Alcée fon gouverneur, qui étoit auprès de lui, le foutint comme il alloit tomber, & n'eut le tems que de le mener entre les bras de fon pere. Là il voulut parler & donner les dernieres marques de fa tendreffe, mais en ouvrant la bouche il expira.

PENDANT que Philoctete répandoit autour de lui le carnage & l'horreur, pour repouffer les efforts d'Adrafte, Neftor tenoit ferré entre fes bras le corps de fon fils. Il rempliffoit l'air de fes cris, & ne pouvoit fouffrir la lumiere. + Malheureux, difoit-il, d'avoir été pere, & d'avoir vécu

Qualem virgineo demeffum pollice florem
Seu mollis viola, feu languentis hyacinthi.

Virg. Æn. 1. XI. v. 68.
Contrà ego vivendo vici mea fata, fuperftes
Reftarem ut genitor. Id. ib. v. 160.

vécu fi longtems! Helas! cruelles Deftinées, pourquoi n'avez-vous pas fini ma vie ou à la chaffe du fanglier de Calydon, ou au voyage de Cholcos', ou au premier fiége de Troye? Je ferois mort avec gloire & fans amertume. *Maintenant je traine une vieilleffe douloureuse, méprifée & impuiflante: je ne vis plus que pour les maux: je n'ai plus de fentiment que pour la trif teffe. Omon fils! o mon cher fils Pifiitrate! Quand je perdis ton frere Antiloque, je t'avois pour me confoler; je ne t'ai plus, je n'ai plus rien, & rien ne me confolera. Tout eft fini pour moi. L'efperance, feul adouciffement des peines des hommes, n'eft plus un bien qui me regarde. Antiloque, Pififtrate, o chers enfans, je croi que c'eft aujourd'hui que je vous perds tous deux. La mort de l'un rouvre la plaie que l'autre avoit faite au fond de mon cœur. Je ne vous verrai plus. Qui fermera mes yeux? Qui recueillera mes cendres? O cher Pifistrate, tu es mort comme ton frere en homme courageux; il n'y a que moi qui ne puis mourir.

EN difant ces paroles, il voulut fe percer luimême d'un dard qu'il tenoit. Mais on arréta fa main. On lui arracha le corps de fon fils; & comme cet infortuné vieillard tomboit en defaillance, on le porta dans fa tente, où aïant un peu repris fes forces, il voulut retourner au combat. Mais on le retint malgré lui.

H 4

CE

? Voy. la defcription de cette chaffe dans Ovid. Met.

1. VIII.

4 Calydon, ancienne ville d'Etolie, aujourd'hui Aitou, dans la Livadie, étoit defolée par un fanglier affreux que Meleagre entreprit de dompter, mais dont il ne put venir à bout fans le Secours de Thefee.

Le voyage de Cholcos fut entrepris pour aller à la cong quête de la Toifon d'or.

* Quòd vitam moror invifam, Pallante perempto. Virg. Æn. 1. XI. v. 1776

CEPENDANT Adrafte & Philoctete fe cherchoient. Leurs yeux étoient étincelans comme ceux d'un lion & d'un léopard, qui cherchent à fe déchirer l'un l'autre dans les campagnes qu'arrofe le Cayftres. Les menaces, la fureur guerriere & la cruelle vengeance éclatent dans leurs yeux farouches. Ils portent une mort certaine partout où ils lancent leurs traits. Tous les combattans les regardent avec effroi. Déja ils fe voyent l'un l'autre, & Philoctete tient en main une de ces fleches terribles, qui n'ont jamais manqué leur coup dans fes mains, & dont les bleffures font irrémédiables. Mais Mars, qui favorifoit le cruel & intrépide Adraste, ne put fouffrir qu'il perît fi-tôt. Il vouloit par lui prolonger les horreurs de la guerre, & multiplier le carnage. Adrafte étoit encore dû à la justice des Dieux, pour punir les hommes & pour verfer leur fang.

DANS le moment où Philoctete veut l'attaquer, il eft bleffé lui-même par un coup de lance que lui donne Amphimaque jeune Lucanien, plus beau que le fameux Nirée", dont la beauté ne cédoit qu'à celle d'Achille parmi tous les Grecs qui combattirent au fiége de Troye. A peine Philoctete eut reçu le coup, qu'il tira la fleche contre Amphimáque. Elle lui perça

le cœur.

Auffi

Le Cayftre, aujourd'hui Chiais, eft une riviere de la Narolie en Afie, qui coule entre le Sarabat & le Madre, fort près de la ville d'Ephefe du côté du Nord.

Nirée étoit un Roi de Naxos, maintenant Niofie, qui étoit fort beau, mais extrêmement lâche.

Voici ce qu'en dit Homere, que notre Auteur a fuivi: Νιρεύς δ' αὖ Σύμηθεν ἄγεν τρεις νῆας είσας, Νερεὺς ̓Αγλαίης θ ̓ ὑὸς, Χαροποιό τ ̓ ἄνακλ Νιρεύς, ὃς κάλλις@ ἀνὴρ ὑπὸ Ἴλιον ἦλθε Τῶν ἄλλων Δαναῶν, μετ ̓ ἀμύμονα Πηλείωνα *Αλλ' αλαπαδνὸς ἔηκ. 11. 1. 1. ν. 671,

Auffitôt fes beaux yeux noirs s'éteignirent, & furent couverts des ténebres de la mort. Sa bouche plus vermeille que les rofes, dont l'Aurore naifante feme l'horifon, fe flétrit; une pâleur affreuse ternit fes joues: ce vifage fi tendre & fi gracieux fe defigura tout-à-coup. Philoctete luimême en eut pitié. Tous les combattans gémirent en voyant ce jeune homme tomber dans fon fang, où il fe rouloit, & fes cheveux auffi beaux. que ceux d'Apollon trainés dans la pouffiere.

PHILOCTETE aïant vaincu Amphimaque fut contraint de fe retirer du combat. Il perdoit fon fang & fes forces. Son ancienne bleffure même, dans l'effort du combat, fembloit prête à fe rouvrir & à renouveller fes douleurs; car les enfans d'Efculape avec leur fcience divine n'avoient pu le guerir entierement. Le voilà prêt à tomber fur un monceau de corps fanglans qui l'environnent. Archidamas, le plus fier & le plus adroit de tous les Oebaliens qu'il avoit menés avec lui pour fonder Pétilie, l'enlève du combat dans le moment où Adrafte l'auroit fans: peine abattu à fes pieds. Adrafte ne trouve plus rien qui ofe lui refifter ni retarder fa victoire. Tout tombe, tout s'enfuit: * c'est un torrent qui, aïant furmonté fes bords, entraine par fes va.gues furieufes les moiffons, les troupeaux, les bergers & les villages.

rente.

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Les Oebaliens étoient des peuples d'Italie, voifins de Ta

*Non fic aggeribus ruptis cùm fpumeus amnis.
Exiit, oppofitafque evicit gurgite moles,

Fertur in arva furens cumulo, campofque per omnes
Cum ftabulis armenta trahit. Virg. Æn. 1. II. v. 496,
Exfpatiata ruunt per apertos flumina campos,
Cumque fatis arbufta fimul, pecudefque virofque
Tectaque, cumque fuis rapiunt penetralia facris.

Ovid. Met. 1. I. v. 285.

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