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couverte d'hommes, d'armes, de chevaux & de chariots en mouvement. C'étoit un bruit confus, femblable à celui des flots en couroux, quand Neptune excite au fond de fes abimes les noires tempêtes. Ainfi Mars commençoit par le bruit des armes, & par l'apareil frémiflant de la guerre, à femer la rage dans tous les cœurs. La campa gne étoit pleine de piques heriffées, femblables aux épics qui couvrent les fillons fertiles dans le tems des moiffons. Déja s'élevoit un nuage de poutliere, qui deroboit peu à peu aux yeux des hommes la terre & le ciel. La confufion, l'horreur, le carnage, l'impitoyable mort s'avan çoient.

A PEINE les premiers traits étoient jettés, que Telémaque levant les yeux & les mains vers le ciel, prononça ces paroles: O Jupiter, pere des Dieux & des hommes, vous voyez de notre côté la juftice & la paix, que nous n'avons point eu de honte de chercher. C'eft à regret que nous combattons. Nous voudrions épargner le fang des hommes. Nous ne haïflons point cet ennemi même, quoiqu'il foit cruel, perfide & facrilege. Voyez & décidez entre lui & nous. S'il faut mourir, nos vies font dans vos mains.

S'il faut delivrer l'Hefperie & abattre le Tiran, ce fera votre puiflance, & la fagefle de Minerve votre fille, qui nous donneront la victoire. La gloire vous en fera dûe. C'est vous qui, la balance en main, réglez le fort des combats. Nous combattons pour vous; & puifque vous êtes jufte, Adrafte eft plus votre ennemi que le nôtre. Si votre caufe eft victorieufe, avant la fin du jour, le fang d'une hécatombes entiere ruiflellera fur vos autels.

IL

8 Une bécatombe étoit un facrifice de cent boeufs, ou de cent brebis, ou de cent pourceaux.

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Altaria

IL dit, & à l'inftant il pouffe fes courfiers fougueux & écumans dans les rangs les plus preflés des ennemis. Il rencontra d'abord Periandre Locrien, couvert d'une peau de lion qu'il avoit tué dans la Cilicie, pendant qu'il y avoit voyagé. Il étoit armé comme Hercule

d'une maflue énorme. Sa taille & fa force le rendoient femblable aux Géans. Dès qu'il vit Telémaque, il méprifa fa jeuneffe & la beauté de fon vifage. C'est bien à toi, dit-il, jeune efféminé, à nous difputer la gloire des combats! Va, enfant, va parmi les ombres chercher ton pere. En difant ces paroles, il leve fa maflue noueufe, pefante, armée de pointes de fer. Elle paroît comme un mât de navire. Chacun craint le coup de fa chute; elle menace la tête du fils d'Ulyffe. Mais il fe détourne du coup, & s'élance fur Periandre avec la rapidité d'un aigle qui fend les airs. La maflue en tombant brife une roue d'un char auprès de celui de Telémaque. Cependant le jeune Grec perce d'un trait Periandre à la gorge. Le fang, qui coule à gros bouillons de fa large plaie, étouffe fa voix. Ses chevaux fougueux ne fentant plus fa main defaillante, & les rênes flotant fur leur cou, l'emportent çà & là. Il tombe de deflus fon char, les yeux déja fermés à la lumiere, & la pâle mort étant déja peinte fur fon vifage defiguré. Telémaque eut pitié de lui. Il donna auffitôt fon corps à fes Domeftiques, & garda comme une marque de fa victoire la peau du lion avec la mafiue.

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Province de l'Afie Mineure, fituée le long de la mer Mé diterranée. Elle eft aujourd'hui comprise dans la Caramanic

ENSUITE il cherche Adrafte dans la mêlée. Mais en le cherchant il précipite dans les enfers une foule de combattans: Hilée, qui avoit attelé à fon char deux courfiers femblables à ceux du Soleil, & nouris dans les vaftes prairies qu'arrofe l'Aufide : Démoléon, qui dans la Sicile avoit autrefois prefque égalé Eryx dans les combats du cefte: Crantor, qui avoit été hôte & ami d'Hercule, lorfque ce fils de Jupiter paffant par l'Hefperie, y ôta la vie à l'infame Cacus: Ménécrate qui reflembloit, difoit-on, à Pollux dans la lutte: Hypocoon Salapien, qui imitoit l'adreffe & la bonne grace de Caftor pour mener un cheval: le fameux chaffeur Eurimede, toujours teint du fang des ours & des fangliers qu'il tuoit dans les fommets couverts de neiges du froid Apennin, & qui avoit été, disoit-on, fi cher à Diane, qu'elle lui avoit apris elle-même à tirer des fleches: Nicoftrate, vainqueur d'un Géant qui vomiffoit le feu dans les rochers du mont Gargan: Eléante, qui devoit épouser la

jeune

ħ L'Aufide, aujourd'hui Offanto, est une riviere du Royarme de Naples, qui naît aux montagnes de l'Apennin dans la Principauté Ulterieure, fépare la Capitanate de la Bafilicate, &va fe décharger dans le golfe de Venife. Ce fut près d cette riviere que fe donna la fameufe bataille de Cannes. Immani pondere cæftus

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Projecit, quibus acer Eryx in prælia fuetus
Ferre manum, duroque intendere brachia tergo.

Virg. Æn. 1. V. v. 401. i Cacus, fils de Vulcain, étoit un Berger & un voleur, qui fe retiroit près du mont Aventin, & qui deroba les bœufs d'Her cule en les emmenant à reculons dans fa caverne. Les Poëtes feignent qu'il avoit trois bouches, & qu'il jettoit du feu & des flames quand il vouloit.

Voy. fon hiftoire & fa mort dans Virg. Æn. 1. VIII. k Lemont Gargan, ou le mont St. Ange, eft une montagne du Royaume de Naples. On la prend quelquefois pour celle fur laquelle eft bâtie la ville nommée Monte di St. Angelo, autrefois pour toute la prefqu'ifle de la Capitanate qui eft extri le golfe de Manfredonia celui de Rodi.

jeune Pholoé, fille du fleuve Liris1.

ELLE avoit été promife par fon pere à celui qui la delivreroit d'un ferpent ailé, qui étoit né fur le bord du fleuve, & qui devoit la dévorer dans peu de jours fuivant la prédiction d'un oracle. Ce jeune homme, par un excès d'amour, fe dévoua pour tuer le monftre. Il réuffit. Mais il ne put goûter le fruit de fa victoire, & pendant que Pholoé, fe préparant à un doux himénée, attendoit impatiemment Eléante, elle aprit qu'il avoit fuivi Adrafte dans les combats, & que la Parque avoit tranché cruellement fes jours. Elle remplit de fes gémiflemens les bois & les montagnes, qui font auprès du fleuve. Elle noya fes yeux de larmes, arracha fes beaux cheveux; elle oublia les guirlandes de fleurs qu'elle avoit accoutumé de cueillir, & accufa le ciel d'injuftice. Comme elle ne ceffoit de pleurer nuit & jour, les Dieux touchés de fes regrets, & preffés par les prieres du fleuve, mirent fin à fa douleur. A force de verfer des larmes, elle fut tout-à-coup changée en fontaine qui, coulant dans le fein du fleuve, va joindre fes eaux à celles du Dieu fon pere. Mais l'eau de cette fontaine eft encore amere; l'herbe du rivage ne fleurit jamais, & on ne trouve d'autre ombrage, que celui des ciprès, fur ces triftes bords.

CEPENDANT Adrafte, qui aprit que Telémaque répandoit de tous côtés la terreur, le cherchoit avec empreffement. Il efperoit de vaincre facilement le fils d'Ulyffe dans un age encore fi tendre, & il menoit autour de lui trente Dauniens d'une force, d'une adreffe & d'une audace

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ex

1 Le fleuve Liris, anjourd'hui Gariglan, prend fa fource dans l'Abruzze Ulterieure, au couchant du lac Celano, paffe au-travers de la terre de Labour, & va fe décharger dans le golfe de Gaiette.

extraordinaire, auxquels il avoit promis de grandes récompenfes, s'ils pouvoient dans le combat faire perir Telémaque, de quelque maniere que ce pût être. S'il l'eût rencontré dans ce moment du combat, fans doute ces trente hommes environnant le char de Telémaque, pendant qu'Adrafte l'auroit attaqué de front, n'auroient eu aucune peine à le tuer. Mais Minerve les fit égarer.

ADRASTE Crut voir & entendre Telémaque dans un endroit de la plaine, enfoncé au pied d'une coline, où il y avoit une foule de combattans. Il court, il vole, il veut se rassasier de fang. Mais au lieu de Telémaque, il trouve le vieux Neftor, qui d'une main tremblante jettoit au hafard quelques traits inutiles*. Adrafte dans fa fureur veut le percer, mais une troupe de Pyliens fe jetta autour de Neftor.

ALORS une nuée de traits obfcurcit l'air & couvrit tous les combattans. On n'entendoit que les cris plaintifs des mourans, & le bruit des armes de ceux qui tomboient dans la mêlée. La terre gémifloit fous un monceau de corps morts. Des ruifleaux de fang couloient de toutes parts. Bellone & Mars, avec les Furies infernales vétues de robes toutes dégoutantes de fang, repaiffoient leurs yeux cruels de ce fpectacle, & renouvelloient fans ceffe la rage dans les cœurs. Ces Divinités ennemies des hommes repouffoient loin des deux partis la pitié génereufe, la valeur moderée, la douce humanité. Ce n'étoit plus dans cet amas confus d'hommes acharnés les uns fur les autres, que maflacre, vengeance, defefpoir & fureur brutale. La fage & invincible Pallas ellemême l'aïant vu, frémit & recula d'horreur.

Sic fatus fenior, telumque imbelle fine i&u
Conjecit. Virg. Æn. 1. II. v. 544.

CE

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