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CONSIDERE cet autre: c'eft un fage Légiflateur, qui aïant donné à fa nation des loix propres à les rendre bons & heureux, leur fit jurer qu'ils ne violeroient jamais aucune de ces loix pendant fon abfence. Après quoi il partit, s'exila lui-même de fa patrie, & mourut pauvre dans une terre étrangere, pour obliger fon peuple par ce ferment à garder à jamais des loix fi utiles.

CET autre que tu vois, eft Eunefime, Roi des Pyliens, & un des ancêtres du fage Neftor. Dans une pefte, qui ravageoit la terre & qui couvroit de nouvelles ombres les bords de l'Àcheron, il demanda aux Dieux d'apaifer leur colere, en payant par fa mort pour tant de milliers d'hommes innocens. Les Dieux l'exaucerent, & lui firent trouver ici la vraie Royauté, dont toutes celles de la terre ne font que de vaines ombres.

CE vieillard que tu vois couronné de fleurs, eft le fameux Belus. Il régna en Egypte, & il époufa Anchinoé, fille du Dieu Nilus m, qui cache la fource de fes eaux, & qui enrichit les terres qu'il arrofe par fes inondations. Il eut deux fils: Danaüs, dont tu fais l'histoire; & Egyptus, qui donna fon nom à ce beau Royaume. Belus fe croyoit plus riche par l'abondance où il mettoit fon peuple, & par l'amour de fes Sujets pour lui, que par tous les tributs qu'il auroit pu G 5

leur

1 C'eft de Lycurgue qu'on raporte une action fi génereufe. x Fleuve de l'enfer :

Triftior bis Acheron fanie, craffoque veneno
Aftuat,& gelidam eructans cum murmure arenam
Defcendis nigra lentus per ftagna palude.

Sil. 1. XIII. v. 569.

m. On fait que les Anciens ne connoiffoient point la fource du Nil, & c'est pour fe conformer à leurs idées qu'un celebre Sculpteur reprefente ce Dieu la tête couverte d'un voile.

leur impofer. Ces hommes que tu crois morts vivent, mon fils; & c'ett la vie qu'on traine miferablement fur la terre, qui n'eft qu'une mort. Les noms feulement font changés. Plaife aux Dieux de te rendre affez bon pour meriter cette vie heureufe, que rien ne peut plus finir ni troubler! Hâte-toi; il eft tems d'aller chercher ton pere. Avant que de le trouver, helas! que tu verras répandre de fang! Mais quelle gloire t'attend dans les campagnes de l'Hefperie? Souvienstoi des confeils du fage Mentor. Pourvu que tu les fuives, ton nom fera grand parmi tous les peuples & dans tous les ficcles.

IL dit: & auffitôt il conduifit Telémaque vers la porte d'ivoire, par où l'on peut fortir du ténébreux Empire de Pluton. Telémaque les larmes aux yeux le quita fans pouvoir l'embraffer; & fortant de ces fombres lieux, il retourna en diligence vers le camp des Alliés, après avoir rejoint fur le chemin les deux jeunes Crétois, qui l'avoient accompagné jufques auprès de la caverne, & qui n'efperoient plus de le revoir.

* His ubi tum natum Anchifes unàque Sibyllam Profequitur dictis, portâque emittit eburnâ.

Virg. Æn. I. VI. v. 897.

Fin du dix-neuvieme Livre.

SOM.

SOMMAIRE

D U

LIVRE VINGTIE ME..

455

Dans une affemblée des Chefs, Telémaque fait prévaloir fon avis, pour ne pas furprendre Vénufe, laiffée par les deux partis en dépôt aux Lucaniens. Il fait voir fa fageffe à l'occafion de deux transfuges, dont l'un nommé Acante avoit entrepris de Pempoisonner; l'autre nommé Diofcore offroit aux Alliés la tête d'Adrafte. Dans le combat qui s'engage enfuite, Telémaque porte la mort partout où il va, pour trouver Adrafte; & ce Roi, qui le cherche auffi, rencontre & tue Pififtrate fils de Neftor. Philoctete furvient; & dans le tems qu'il va percer Adrafte, il eft bleffe luimême & obligé de fe retirer du combat. Telémaque court aux cris de fes Alliés, dont Adrafte fait un carnage horrible: il combat cet ennemi, & lui donne la vie à des conditions qu'il lui impofe. Adrafte relevé veut furprendre Telémaque: mais celui-ci le faifit une feconde fois, & lui ôte la vie.

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456

LES

AVANTURES

DE

TELEMAQUE,

FILS D'ULYSSE.

C

LIVRE VINGTIEME.

EPENDANT les Chefs de l'armée s'affemblerent, pour deliberer s'il faloit s'emparer de Vénufe. C'étoit une ville forte, qu'Adrafte avoit autrefois ufurpée fur fes voifins les Apuliens Peucetes. Ceuxci étoient entrés contre lui dans la ligue, pour demander juftice fur cette invafion. Adrafte, pour les apaifer, avoit mis cette ville en dépôt entre les mains des Lucaniens. Mais il avoit cor

rompu

a Vénuse, aujourd'hui Vénose, eft une petite ville Epifcopale du Royaume de Naples dans la Bafilicate, au Nord de Cirenza dont elle eft fuffragante & éloignée de cinq lieues..

a Voy. ci-devant pag. 233. La Calabre a été apellée Пtureria par les Grecs, parcequ'elle eft remplie d'arbres qui portent la poix, que fignifie auffi le mot Hébreux calab. Voy. Sam. Bechart, Chan. l. I. 6. 33.

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rompu par argent, & la garnifon Lucanienne, & celui qui la commandoit; de maniere que la nation des Lucaniens avoit moins d'autorité effective que lui dans Vénufe; & les Apuliens, qui avoient confenti que la garnifon Lucanienne gardat Vénuse, avoient été trompés dans cette négociation.

UN citoyen de Vénufe, nommé Démophante, avoit offert fecrettement aux Alliés de leur livrer la nuit une des portes de la ville. Cet avantage étoit d'autant plus grand, qu'Adrafte avoit mis toutes fes provifions de guerre & de bouche dans un château voifin de Vénufe, qui ne pouvoit fe defendre fi Vénuse étoit prife. Philoctete & Neftor avoient déja opiné qu'il faloit profiter d'une fi heureufe occafion. Tous les Chefs, entrainés par leur autorité, & éblouïs par l'utilité d'une fi facile entreprife, aplaudiffoient à ce fentiment. Mais Telémaque à fon retour fit fes derniers efforts pour les en détour

ner.

JE n'ignore pas, leur dit-il, que fi jamais un homme a merité d'être furpris & trompé, c'est Adrafte, lui qui a fi fouvent trompé tout le monde. Je vois bien qu'en furprenant Vénufe, vous ne feriez que vous mettre en poffeffion d'une ville qui vous apartient, puisqu'elle eft aux Apuliens, qui font un des peuples de votre ligue. J'avoue que vous le pouriez faire avec d'autant plus d'aparence de raifon, qu'Adrafte qui a mis cette ville en dépôt, a corrompu le Commandant & la garnison, pour y entrer quand il le jugera à propos. Enfin je comprends comme vous que, fi vous preniez Vénufé, vous fericz dès le lendemain maîtres du château où font tous les - préparatifs de guerre qu'Adrafte y a affemblés;

6 Comme qui diroit, le Trompeur du peuple.

&

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