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mis en penfant aux malheurs de cette famille de l'impie Tantale. La divifion des deux freres Atrée & Thyefte f a rempli cette Maifon d'horreur & de fang. Helas! combien un crime en attire-t-il d'autres? Agamemnon, revenant à la tête des Grecs du fiége de Troye, n'a pas eu le tems de jouïr en paix de la gloire qu'il avoit acquife. Telle eft la deftinée de prefque tous les Conquerans. Tous ces hommes que tu vois ont été redoutables dans la guerre. Mais ils n'ont point été aimables & vertueux. Auffi ne fontils que dans la feconde demeure des Champs Elyfées.

POUR ceux-ci, ils ont régné avec justice, & ont aimé leurs peuples. Ils font les amis des Dieux; pendant qu'Achille & Agamemnon, pleins de leurs querelles & de leurs combats, confervent encore ici leurs peines & leurs defauts naturels; pendant qu'ils regrettent en vain la vie qu'ils ont perdue, & qu'ils s'affligent de n'être plus que des ombres impuiffantes & vaines. Ces Rois juftes, étant purifiés par la lumiere divine dont ils font nouris, n'ont plus rien à defirer

pour

f Atrée & Thyefte, fils de Pelops & Hippodamie, avoient une haine implacable l'un pour l'autre. Thyefte, qui ne penJoit qu'à chagriner Atrée, defponora fon lit, & fe retira_en_lies de fureté. Atrée, qui avoit les enfans de Thyefte en fon pouvoir, feignit d'avoir oublié tout le paffé & l'invita à `un fe tin. Celui-ci s'y trouva, & après qu'on fe fut levé de table, Atrée lui montra les têtes les mains coupées de fes enfans, lui faisant entendre qu'il avoit mangé leur chair. Thyefte employa fon fils naturel gifte pour le venger de fon frere.

Dans le liv. XI. de l'Odyffée Ulyffe, defcendu aux enfers, adreffe ces paroles à l'ombre d'Achille: Fils de Pelée, les Grecs, pendant que vous étiez fur la terre, vous refpectoient comme un Dieu; vous retenez fans doute le même avantage parmi ls morts, & vous ne fauriez regretter la vie. J'aimerais mieux vivre esclave d'un pauvre Laboureur, répond Achille, que de commander à tous les morts,

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pour leur bonheur. Ils regardent avec compaflion des inquiétudes des Mortels; & les plus grandes affaires, qui agitent les hommes ambitieux, leur paroiflent comme des jeux d'enfans. Leurs cœurs font raflafiés de la verité & de la vertu qu'ils puifent dans la fource. Ils n'ont plus rien à fouffrir ni d'autrui ni d'eux-mêmes; plus de defirs, plus de befoins, plus de craintes. Tout eft fini pour eux, excepté leur joie qui ne peut finir.

CONSIDERE, mon fils, cet ancien Roi Inachus qui fonda le Royaume d'Argos. Tu le vois avec cette vieille fle fi douce & fi majeftueuse. Les fleurs naiffent fous fes pas; fa démarche légere reflemble au vol d'un oiseau. H tient en fa main une lyre d'ivoire, & dans un tranfport éternel il chante les merveilles des Dieux. Il fort de fon cœur & de fa bouche un parfum exquis. L'harmonie de fa lyre & de fa voix raviroit les hommes & les Dieux. Il eft ainfi récompenfé, pour avoir aimé le peuple qu'il affembla dans l'enceinte de fes nouveaux murs, & auxquels il donna des doix.

De l'autre côté tu peux voir, entre ces mirtes, Cécrops Egyptien, qui le premier régna dans Athenes, ville confacrée à la fage Déeffe dont elle porte le nom. Cécrops aportant des loix utiles de l'Egypte, qui a été pour la Grece la fource des lettres & des bonnes mœurs, adoucit les naturels farouches des bourgs de l'Attique, & les unit par les liens de la fociété. Il fut jufte, humain, compatiflant: il laiffa les peuples dans J'abondance, & fa famille dans la médiocrité, ne voulant point que fes enfans euflent l'autorité après lui, parcequ'il jugeoit que d'autres en étoient plus dignes.

IL faut que je te montre aufli, dans cette pe-
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tite

ples, qui auroient affez de courage pour vaincre leur pareffe naturelle, & pour s'adonner à un . travail affidu. Bientôt Triptoleme aprit aux Grecs à fendre la terre, & à la fertiliser en déchirant fon fein. Bientôt les moiffonneurs ardens & infatigables firent tomber, fous leurs faucilles tranchantes, tous les jaunes épics qui couvroient les campagnes. Les peuples mêmes fauvages & farouches, qui couroient épars ça & là dans les forêts d'Epire & d'Etolie pour fe nourir de gland, adoucirent leurs mœurs, & fe foumirent à des loix, quand ils eurent apris à faire croître des moiffons, & à fe nourir de pain. Triptoleme fit fentir aux Grecs le plaifir qu'il y a de ne devoir fes richeffes qu'à fon travail, & à trouver dans fon champ tout ce qu'il faut pour rendre la vie commode & heureuse. Cette abondance fi fimple & fi innocente, qui eft attachée à l'agriculture, les fit fouvenir des fages confeils d'Ericthon. Ils mépriferent l'argent & toutes les richeffes artificielles, qui ne font ri cheffes que par l'imagination des hommes; qui les tentent de chercher des plaifirs dangereux, & qui les détournent du travail où ils trouveroient tous les biens réels, avec des mœurs pures, dans une pleine liberté. On comprit donc, qu'un champ fertile & bien cultivé eft le vrai trefor d'une famille affez fage, pour vouloir vivre frugalement comme fes peres ont vécu. Heureux les Grecs, s'ils étoient demeurés fermes dans ces maximes fi propres à les rendre puiflans, libres, heureux & dignes de l'être par une folide vertu! Mais helas! ils commencent à admirer les fauffes richeffes, ils négligent peu à peu les vraies, & ils dégénerent de cette merveilleufe fimplicité. O mon fils, tu régneras un jour. Alors fouvienstoi de ramener les hommes à l'agriculture, d'ho

norer

norer cet art, de foulager ceux qui s'y apliquent, & de ne fouffrir point que les hommes vivent, ni oififs, ni occupés à des arts qui entretiennent le luxe & la moleffe. Ces deux hommes, qui ont été fi fages fur la terre, font ici cheris des Dieux.. Remarque, mon fils, que leur gloire furpafle : autant celle d'Achille & des autres Heros, qui n'ont excellé que dans les combats, qu'un doux Printems eft au-deflus de l'Hiver glacé, & que la lumiere du folcil eft plus éclatante que celle

de la lune.

PENDANT qu'Arcefius parloit de la forte, il' aperçut que Télémaque avoit toujours les yeux carrétés du côté d'un petit bois de lauriers *, & d'un ruiffeau bordé de violettes, de rofes, de lis, & de plufieurs autres fleurs odoriferantes, dont I les vives couleurs reffembloient à celles d'Iris, quand elle defcend du ciel fur la terre pour annoncer à quelque Mortel les ordres des Dieux. C'étoit le grand Roi Sefoftris que Télémaque reconnut dans ce beau lieu. Il étoit mille fois plus majeftueux, qu'il ne l'avoit jamais été fur le trône d'Egypte. Des rayons d'une lumiere douce fortoient de fes yeux, & ceux de Telémaque en étoient éblouis. A le voir on eût cru qu'il étoit ! enivré de nectar, tant l'efprit divin l'avoit mis dans un transport au-deffus de la raison humaine, pour récompenfer fes vertus.

TELEMAQUE dit à Arcefius: Je reconnois, o mon pere, Sefoftris, ce fage Roi d'Egypte, que j'y ai vu il n'y a pas longtems. Le voilà, répondit Arcefius; & tu vois par fon exemple combien les Dieux font magnifiques à récompenfer les bons Rois. Mais il faut que tu faches G. 4 que

*Inter odoratum lauri nemus, unde fupernè
Plurimus Eridani per fylvam volvitur amnis.

Virg. Æn. 1. VI. v. 658.

que toute cette felicité n'eft rien en comparaison de celle qui lui étoit destinée, fi une trop grande profperite ne lui eût fait oublier les regles de la moderation & de la juftice. La paffion de rabaiffer l'orgueil & l'infolence des Tyriens, l'engagea à prendre leur ville. Cette conquête lui donna le defir d'en faire d'autres. Il fe laissa séduire par la vaine gloire des Conquerans. Il fubjugua, ou pour mieux dire, il ravagea toute l'Afie. A fon retour en Egypte il trouva que fon frere s'étoit emparé de la Royauté, & avoit alteré par un gouvernement injufte les meilleures loix du pays. Ainfi fes grandes conquêtes ne fervirent qu'à troubler fon Royaume. Mais ce qui le rendit plus inexcufable, c'est qu'il fut enivré de fa propre gloire. Il fit atteler à un char les plus fuperbes d'entre les Rois qu'il avoit vaincus. Dans la fuite il reconnut fa faute, & eut honte d'avoir été fi inhumain. Tel fut le fruit de fes victoires. Voilà ce que les Conquerans font contre leurs Etats, & contre eux-mêmes, en voulant ufurper ceux de leurs voifins. Voilà ce qui fit déchcoir un Roi, d'ailleurs fi jufte & fi bienfaifant, & c'eft ce qui diminue la gloire que les Dieux lui avoient préparée.

NE vois-tu pas cet autre, o mon fils, dont la bleffure paroît fi éclatante? C'est un Roi de Carie, nommé Dioclidès, qui fe dévoua pour fon peuple dans une bataille, parceque l'Oracle avoit dit que dans la guerre des Cariens & des Lyciens, la nation dont le Roi periroit, feroit victorieufe.

CON

Victo Sefoftri Ægypti rege tam fuperbo, ut prodatur an nis quibufque forte reges fingulos è fubjectis jungere ad currum Jolitus, atque ita triumphare. Plin. Hift. Nat. 1. XXXIII.

C'est une Province de l'Afie Mineure, nommée aujourd'hui Aidinelli,

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