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Telémaque conduit par Minerve descend aux enfer et demande à Pluton la permission dy chercher son3m

PLUTON étoit fur un trône d'ébene. Son vifage étoit pâle & févere; fes yeux creux & étinceJans; fon front ridé & menaçant. La vue d'un homme vivant lui étoit odieufe, comme la lumiere offense les yeux des animaux, qui ont accoutumé de ne fortir de leurs retraites que pendant la nuit. A fon côté paroiffoit Proferpine, qui atti roit feule fes regards, & qui fembloit un peu a doucir fon cœur. Elle jouïfloit d'une beauté toujours nouvelle; mais elle paroiffoit avoir joint à fes graces divines je ne fais quoi de dur & de cruel de fon époux.

* Aux pieds du trône étoit la Mort pâle & dévorante avec fa faux tranchante qu'elle aigui foit fans cefle. Autour d'elle voloient les noirs Soucis, les cruelles Defiances, les Vengeances toutes dégoutantes de fang & couvertes de plaies, les Haines injuftes, l'Avarice qui fe ronge ellemême, le Defefpoir qui fe déchire de fes propres mains, l'Ambition forcenée qui renverfe tout, la Trahifon qui veut fe repaître de fang, & qui ne peut jouïr des maux qu'elle a faits, l'Envie qui verfe fon venin mortel autour d'elle, & qui fe tourne en rage dans l'impuiflance où elle eft de nuire; l'Impiété qui fe creufe elle-même un abime fans fond, où elle fe précipite fans efperance; les Spectres hideux; les Fantômes qui reprefentent les morts pour épouvanter les vívans;

F 2

Veftibulum ante ipfum primifque in faucibus Orci
Ludus & ultrices pofuere cubilia Curae,
Pallentesque habitant Morbi, triftifque Senectus,
Et Metus & malefuada Fames & turpis Egeftas,
Terribiles vifu forme; Lethumque Laborque,
Tum confanguineus Lethi Sopor,& mala mentis
Gaudia, mortiferumque adverfo in limine Bellum,
Ferreique Eumenidum thalami & Difcordia demens,
Vipereum crinem vittis innexa cruentis.

Virg. Æn. 1. VI. v. 273.

les

des Songes affreux, les Infomnies auffi cruelles que les triftes Songes. Toutes ces images funeftes environnoient le fier Pluton, & remplif foient le Palais où il habite. Il répondit à Telémaque d'une voix bafle, qui fit mugir le fond de l'Erebe:

JEUNE Mortel, les Deftins t'ont fait violer cet azile facré des ombres. Sui ta haute destinée. Je ne te dirai point où eft ton pere. Il fuffit que tu fois libre de le chercher. Puifqu'il a été Roi fur la terre, tu n'as qu'à parcourir d'un côté l'endroit du noir Tartare où les mauvais Rois font punis, & de l'autre les Champs Elifées où les bons Rois font récompenfés. Mais tu ne peux aller d'ici dans les Champs Elysées, qu'après avoir paflé par le Tartare. Hâte-toi d'y aller, & de fortir de mon Empire.

A L'INSTANT Telémaque femble voler dans ces efpaces vuides & immenfes, tant il lui tarde de favoir s'il verra fon pere, & de s'éloigner de la presence horrible du Tiran qui tient en crainte les vivans & les morts. Il aperçoit bientôt affez près de lui le noir Tartare. I en fortoit une fumée noire & épaiffe, dont l'odeur empestée donneroit la mort, fi elle fe répandoit dans la demeure des vivans. Cette fumée couvroit un fleuve de feu & des tourbillons de flâme, dont le bruit, semblable à celui des torrens les plus impétueux, quand ils s'élançent des plus hauts rochers dans le fond des abimes, faifoit qu'on ne pouvoit rien entendre diftinctement dans ces trif tes lieux.

TELEMAQUE fecrettement animé par Minerve, entre fans crainte dans ce gouffre. D'abord

e Exebe, Dieu des enfers, engendré du Chaos, eft fouvent pris pour l'enfer même par les Poëtes; c'eft dans ce sens qu'il faut entendre ici.

bord il aperçut un grand nombre d'hommes, qui avoient vécu dans les plus baffes conditions, & qui étoient punis pour avoir cherché les richeffes par des fraudes, des trahifons & des cruautés. Il remarqua beaucoup d'impies hipocrites, qui faisant semblant d'aimer la religion, s'en étoient fervis comme d'un beau prétexte pour contenter leur ambition, & pour fe jouer des hommes crédules. Ces hommes, qui avoient abufé de la vertu même, quoiqu'elle foit le plus grand don des Dieux, étoient punis comme les plus fcelerats de tous les hommes. Les enfans qui avoient * égorgé leurs peres & leurs meres; les époufes qui avoient trempé leurs mains dans le fang de leurs maris; les traîtres qui avoient livré leur patrie aprés avoir violé tous les fermens, fouffroient des peines moins cruelles que ces hipocrites. Les trois Juges des enfers l'avoient ainfi voulu, & voici leur raifon.. C'eft que les hipocrites ne fe contentent pas d'être méchans comme le reste des impies; ils veulent encore paffer pour bons, & font par leur fauffe vertu, que les hommes n'ofent plus fe fier à la veritable. Les Dieux, dont ils fe font joués, & qu'ils ont rendus méprifables aux hommes, prennent plaifir à employer toute leur puiffance pour fe venger de. leurs infultes.

AUPRES de ceux-ci paroiffoient d'autres hommes que le vulgaire ne croit guere coupables, & que la vengeance divine pourfuit impitoyablement. Ce font les ingrats, les menteurs, les flateurs qui ont loué le vice; les critiques malins qui ont tâché de flétrir la plus pure vertu; enF 3

*Hic quibus invifi fratres, dum vita manebat,
Pulfatufque parens fraus innexa clienti ;
Aut qui divitiis foli incubuere repertis,

fin

Nec partem pofuere fuis, &c. Virg. Æn. 1. VI. v. 608.

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