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partir. Mais ce ne fut pas fans regretter le defert où il avoit paflé tant d'années. Helas!" difoit-il, faut-il que je vous quite, o aimable grote, où le fommeil paifible venoit toutes les nuits me delaffer des travaux du jour! Ici les Parques me filoient, au milieu de ma pauvreté, des jours d'or & de foie. Il fe proîterna en pleurant pour adorer la Nayade qui l'avoit fi long-tems defalteré par fon onde claire, & les Nymphes qui habitoient dans toutes les montagnes voifines. Echo entendit fes regrets, & d'une trifte voix les répéta à toutes les Divinités champêtres.

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ENSUITE Philoclès vint à la ville avec Hégefippe pour s'embarquer. Il crut que le malheureux Protefilas, plein de honte & de reffentiment, ne voudroit point le voir; mais il fe trompoit. Car les hommes corrompus n'ont aucune pudeur, & il font toujours prêts à toute forte de baffefles. Philoclès fe cachoit modeftement, de peur d'être vu par ce miferable. craignoit d'augmenter fa mifere, en lui montrant la profperité d'un ennemi qu'on alloit élever fur les ruïnes. Mais Protefilas cherchoit avec empreffement Philoclès. Il vouloit lui faire pitié, & l'engager à demander au Roi qu'il pût retourner à Salente. Philoclès étoit trop fincere pour lui promettre de travailler à le faire rapeller; car il favoit mieux que perfonne combien fon retour cût été pernicieux. Mais il lui parla

fort

Ovide dit que Junon, indignée que la Nymphe Echo, en l'amufant par fon babil, lui fit toujours manquer l'occafion de furprendre Jupiter dans fes intrigues amoureuses, lui ôta l'ufage de la voix, de maniere, qu'elle ne pouvoit plus faire autre chofe que répéter les dernieres paroles qu'elle entendoit. Ce Poëte ajoute qu'Echo étant devenue amoureuse de Narcyffe, qui la méprifa, le chagrin confuma tellement fon corps qu'il ne lui refta plus que la voix. Met. I. III.

fort doucement, lui témoigna de la compaffion, tâcha de le confoler, l'exhorta à apaiser les Dieux par des mœurs pures, & par une grande patience dans fes maux. Comme il avoit apris que le Roi avoit ôté à Protefilas tous fes biens injuftement acquis, il lui promit deux choíes qu'il exécuta fidelement dans la fuite. L'une fut de prendre foin de fa femme & de fes enfans, qui étoient demeurés à Salente dans une affreufe pauvreté, expotes à l'indignation publique: l'autre étoit d'envoyer à Protefilas dans cette ifle éloignée quelque fecours d'argent pour adoucir fa mifere.

CEPENDANT les voiles s'enflent d'un vent favorable. Hégefippe impatient fe hâte de faire partir Philoclès. Protefilas les voit embarquer. Ses yeux demeurent attachés & immobiles fur le rivage. Ils fuivent le vaifleau qui fend les ondes, & que le vent éloigne toujours.. Lors même qu'il ne peut plus les voir, il en repeint encore l'image dans fon efprit. Enfin troublé, furieux, livré à fon desespoir, il s'arrache les cheveux, fe. roule fur le fable, reproche aux Dieux leur ri gueur, apelle en vain à fon fecours la cruelle Mort, qui fourde à fes prieres ne daigne point le delivrer de tant de maux, & qu'il n'a pas le courage de fe donner lui-même.

C

CEPENDANT le vaiffeau favorisé de Neptune & des vents arriva bientôt à Salente. On vint dire au Roi qu'il entroit déja dans le port. Auffitôt il courut au-devant de Philoclès avec Mentor; il l'embraffa tendrement, lui témoigna un fenfible regret de l'avoir perfécuté avec tant d'injuf

Perfée, après avoir été pris prifonnier, fuplioit Paul Emile de ne point l'attacher à son char de triomphe. Eh! pour quoi me demander ce qui ne tient qu'à vous? lui répondit le vainqueur, lui reprochant d'être affez lâche pour furvivre à fa defaite.

d'injuftice. Cet aveu, bien loin de paroître une foibleffe dans un Roi, fut regardé par tous les Salentins comme l'effort d'une grande ame qui s'éleve au-deflus de fes propres fautes, en les avouant avec courage pour les réparer. Tout le monde pleuroit de joie de revoir l'homme de bien qui avoit aimé le peuple, & d'entendre le Roi parler avec tant de fageffe & de bonté.

PHILOCLES avec un air refpectueux & modefte recevoit les careffes du Roi, & avoit impatience de fe derober aux acclamations du peuple Il fuivit le Roi au Palais. Bientôt Mentor & lui furent dans la même confiance que s'ils avoient paffé leur vie enfemble, quoiqu'ils ne fe fuffent jamais vus. C'eft que les Dieux, qui ont refufé aux méchans des yeux pour connoître les bons, ont donné aux bons dequoi fe connoître les uns les autres. Ceux qui ont le goût de la vertu, ne peuvent être enfemble, fans être unis par la vertu qu'ils aiment. Bientôt Philoclès demanda au Roi à fe retirer auprès de Salente dans une folitude, où il continua à vivre pauvrement, comme il avoit vécu à Samos. Le Roi alloit: avec Mentor le voir prefque tous les jours dans fon defert. C'est-là qu'on examinoit les moyens. d'affermir les loix, & de donner une forme folide: au gouvernement pour le bonheur public.

LES deux principales chofes qu'on examina, furent l'éducation des enfans, & la maniere de vivre pendant la paix. Pour les enfans, Mentor difoit: Ils apartiennent moins à leurs parens qu'à

la

L'éducation des enfans n'étoit point arbitraire à Lacédédémone. Elle étoit confiée à des Magiftrats qui fe croyoient honorés par la confiance que leur témoignoit la République, en les chargeant de ce qu'elle avoit de plus précieux, Les enfans des Rois n'étoient point exemtés des exercices auxquels les jeunes Lacons étoient affujettis. Auffi la valeur & la probité n'étoient à Lacédémone que des vertus communes.

la République. Ils font les enfans du peuple, ifs en font l'efperance & la force. Il n'eft pas tems de les corriger, quand ils fe font corrompus. C'est peu que de les exchure des emplois, lorfqu'on voit qu'ils s'en font rendus indignes. Il vaut bien mieux prévenir le mal, que d'être réduit à le punir. Le Roi, ajoutoit-il, qui eft le pere de tout fon peuple, eft encore plus particulierement le pere de toute la Jeuneffe, qui eft la fleur de toute la nation. C'eft dans la fleur qu'ib faut préparer les fruits. Que le Roi ne dédaigne donc pas de veiller, & de faire veiller fur l'éducation qu'on donne aux enfans. Qu'il tienne ferme pour faire obferver les loix de Minos, qui ordonne qu'on éleve les enfans dans le mépris de la douleur & de la mort; qu'on mette l'honneur à fuir les delices & les richeffes; que l'injuftice, le menfonge, l'ingratitude, & la molefle paffent pour des vices infâmes; qu'on leur aprenne, dès leur plus tendre enfance, à chanter les louanges des Heros, qui ont été aimés des Dieux, qui ont fait des actions génereufes pour leur patrie, & qui ont fait éclater leur courage dans les combats; que le charme de la mufique faififfe leurs ames pour rendre leurs mœurs douces & pures; qu'ils aprennent à être tendres pour leurs amis, fideles à leurs alliés, équitables pour tous les hommes, même pour leurs plus cruels ennemis; qu'ils craignent moins la mort & les tourmens, que le moindre reproche de leur confcience. Si de bonne heure on remplit les enfans de ces grandes maximes, & qu'on les fafle entrer dans. leur coeur par la douceur du chant, il y en aura peu qui ne s'enflament de l'amour de la gloire, & de la vertu.

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MENTOR ajoutoit, qu'il étoit capital d'éta-. blir des Ecoles publiques, pour accoutumer la

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Jeunefle

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Jeuneffe aux plus rudes exercices du corps, & pour éviter la molefle & l'oifiveté qui corrompent les plus beaux naturels. Il vouloit uné grande variété de jeux & de fpectacles qui animaflent tout le peuple, mais furtout qui exer caflent les corps pour les rendre adroits, fouples & vigoureux. Il ajoutoit des prix pour exciter une noble émulation. Mais ce qu'il fouhaitoit le plus pour les bonnes mœurs, c'eft que les jeunes gens fe mariaffent de bonne heure, & que leurs parens, fans aucune vue d'interêt, leur laiffaffent choifir des femmes agréables de corps & d'efprit, auxquelles ils puflent s'attacher.

MAIS pendant qu'on préparoit ainfi les moyens de conferver la Jeuneffe pure, innocente, laborieuse, docile & paffionnée pour la gloire, Philoclès, qui aimoit la guerre, difoit à Mentor: En vain vous occuperez les jeunes gens à tous ces exercices, fi vous les laiffez languir dans une paix continuelle, où ils n'auront aucune experience de la guerre, ni aucun befoin de s'éprou ver fur la valeur. Par-là vous affoiblirez infenfiblement la nation. Les courages s'amoliront. -Les delices corrompront les mœurs. D'autres peuples belliqueux n'auront aucune peine à les vaincre; & pour avoir voulu éviter les maux que la guerre entraine après elle, ils tomberont dans une affreuse fervitude.

MENTOR lui répondit: Les maux de la guerre font encore plus horribles que vous ne penfez. La guerre épuife un Etat, & le met toujours en danger de perir, lors même qu'on

remporte

e Tel étoit le fruit que la Grece retiroit de fes fêtes: elles étoient confacrées à des exercices qui rendoient les hommes agiles & vigoureux. Les hymnes qu'on y chantoit étoient à l'honneur de ceux qui avoient vaincu les Barbares. La politi que avoit fait d'un culte fuperftitieux une efpece d'Ecole mili taire.

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