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les ouvrages qui étoient commencés. Il remarqua un Jupiter, dont le vifage ferein étoit fi plein de ma cité, qu'on le reconnoiffoit aisément pour le pere des Dieux & des hommes. D'un autre côté paroifloit Mars avec une fierté rude & menaçante. Mais ce qui étoit de plus touchant étoit une Minerve qui animoit les Arts. Son vifage étoit noble & doux, fa taille grande & libre. Elle étoit dans une action fi vive, qu'on auroit pu croire qu'elle alloit marcher. Hégefippe aïant pris plaifir à voir les ftatues, fortit de la grote, & vit de loin fous un grand arbre Philoclès qui lifoit fur le gafon. Il va vers lui, & Philoclès qui l'aperçoit ne fait que croire. N'eft-ce point là, dit-il en lui-même, Hégefippe avec qui j'ai f longtems vécu en Crete? Mais quelle aparence qu'il vienne dans une ifle fi éloignée? Ne feroitce point fon ombre qui viendroit après fa mort des rives du Styx.

PENDANT qu'il étoit dans ce doute, Hégefippe arriva fi proche de lui, qu'il ne put s'em pécher de le reconnoître & de l'embraffer. Eftce donc vous, dit-il, mon cher & ancien ami? Quel hafard, quelle tempête vous a jetté sur ce rivage? Pourquoi avez-vous abandonné l'ifle de Crete? Eft-ce une difgrace femblable à la mienne, qui vous arrache à notre patrie.

HEGESIPPE lui répondit: Ce n'eft point une difgrace; au contraire c'eft la faveur des Dieux qui m'amene ici. Auffi-tôt il lui raconta la longue tirannie de Protefilas, fes intrigues avec Timocrate, les malheurs où ils avoient précipité Idoménée, la chute de ce Prince, fa fuite fur les côtes de l'Hefperie, la fondation de Salente, l'arrivée de Mentor & de Telémaque, les fages

Comme celui de Phidias, qu'il avoit fait, difoit-il, d'a près la defcription d'Homere.

fages maximes dont Mentor avoit rempli l'efprit. du Roi, & la difgrace des deux traîtres. Il ajouta qu'il les avoit menés à Samos pour y fouffrir l'exil qu'ils avoient fait fouffrir à Philoclès, & il finit en lui difant qu'il avoit ordre de le conduire à Salente, où le Roi, qui connoifloit foninnocence, vouloit lui confier fes affaires & le combler de biens.

VOYEZ-Vous, lui répondit Philoclès, cette grote plus propre à cacher des bêtes fauvages qu'à être habitée par des hommes ? J'y ai goûté depuis tant d'années plus de douceur & de repos, que dans les Palais dorés de l'ifle de Crete. Les hommes ne me trompent plus; car je ne vois plus les hommes, & je n'entends plus leurs dif-” cours flateurs & empoifonnés. Je n'ai plus befoin d'eux. Mes mains endurcies au travail me donnent facilement la nouriture fimple, qui m'eft néceffaire. Il ne me faut, comme vous voyez, qu'une légere étoffe pour me couvrir. N'aïanti

plus de befoins, jouiffant d'un calme profond & d'une douce liberté, dont la fageffe de mes livres m'aprend à faire un bon ufage, qu'irois-je encore chercher parmi les hommes jaloux, trompeurs & inconftans? Non, non, mon cher Hégefippe, ne m'enviez point mon bonheur. Protefilas s'eft trahi lui-même, voulant trahir le Roi & me perdre; mais il ne m'a fait aucun mal. Au contraire il m'a fait le plus grand des biens. Il m'a delivré du tumulte & de la fervitude des affaires. Je lui dois ma chere folitude, & tous les plaifirs innocens que j'y goûte B's

Retourhez, o
Hége-

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Rien n'est plus noble que ces fentimens, & rien de plus naturel que cette peinture de la vie tranquile & heureufe dun grand homme. Le Lecteur ne fera pas fâché fans doute que nous joignions ici ce beau morceau de Virgile, où notre Auteur femble avoir puifé fes idées

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Fortu

Hégefippe, retournez vers le Roi; aidez lui & fuporter les miferes de fa grandeur & faites auprès de lui ce que vous voudriez que je fiffe. Puifque fes yeux fi longtems fermés à la verité, ont été enfin ouverts par cet homme fage que vous nommez Mentor, qu'il le retienne auprès de lui. Pour moi, après mon naufrage, il ne me convient pas de quiter le port où la tempête m'a fi heureufement jetté, pour me remettre à la merci des vents. O que les Rois font à plaindre! O que ceux qui les fervent font dignes de compaffion! S'ils font méchans, combien fontils fouffrir les hommes, & quels tourmens leur font préparés dans le noir Tartare? S'ils font bons, quelles difficultés n'ont-ils pas à vaincre ? Quels piéges à éviter? Que de maux à fouffrir? Encore une fois, Hégelippe, laiffez-moi dans: mon heureuse pauvrete.

PENDANT que Philoclès parloit ainfi avec beaucoup de véhémence, Hégefippe le regardoit avec étonnement. Il l'avoit vu autrefois en Crete, pendant qu'il gouvernoit les plus grandes affaires, maigre, languiflant, épuifé. C'eft que fon naturel ardent & auftere le confumoit dans le travail. Il ne pouvoit voir fans indignation le

vice

Fortunatus ille, Deos qui novit agreftes,
Panaque, Sylvanumque fenem, Nymphafque forores !
Illum non populi fafces, non purpura regum
Flexit, & infidos agitans difcordia fratres;
Aut conjurato defcendens Dacus ab Istro :
Non res Romana, perituraque regna: neque ille
Aut doluit miferans inopem, aut invidit habenti.
Quos rami fructus, quos ipfa volentia rura
Sponte tulere fuâ, carpfit; nec ferrea jura,
Infanumque forum, aut populi tabularia vidit.
Georg. 1. II. v. 4933

Me tabulâ facer

Votivá paries indicat bumida
Sufpendiffe potenti

Veftimenta maris Desi

Hor. 1. I. od.
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vice impuni. Il vouloit dans les affaires une certaine exactitude qu'on n'y trouve jamais. Ainfi fes emplois détruifoient fa fanté delicate. Mais à Samos Hégefippe le voyoit gras & vigoureux. Malgré les ans, la jeuneffe fleurie s'étoit renouvellée fur fon vifage. Une vie fobre, tranquile & laborieuse lui avoit fait comme un nouveau temperament.

Vous êtes furpris de me voir fi changé, dit alors Philoclès en fouriant. C'est ma folitude qui m'a donné cette fraicheur & cette fanté parfaite... Mes ennemis m'ont donné ce que je n'aurois jamais pu trouver dans la plus grande fortune.. Voulez-vous que je quite les vrais biens pour courir après les faux, & pour me replonger dans mes anciennes miferes? Ne foyez pas plus cruel que Protefilas; du moins ne m'enviez pas le bonheur que je tiens de lui.

ALORS Hégefippe lui reprefenta, mais inutilement, tout ce qu'il crut propre à le toucher. Etes-vous donc, lui difoit-il, infenfible au plaifir de revoir vos proches & vos amis, qui foupirent après votre retour, & que la feule efperance de yous embraffer comble de joie? Mais vous qui craignez les Dieux, & qui aimez votre devoir, comptez-vous pour rien de fervir votre Roi, de l'aider dans tous les biens qu'il veut faire, & de rendre tant de peuples heureux? Eft-il permis de s'abandonner à une philofophie fauvage, de fe preferer à tout le refte du genre humain, & d'aimer mieux fon repos que le bonheur de fes concitoyens? Au refte, on croira que c'eft

par

b La philofophie ne tend point à nous exclure de la fociété. Le vrai Sage eft celui qui fait faire goûter la fageffe. Tels fu rent les premiers Philofophes, & leur vie donnoit encore plus d'idée de leur fcience que leurs leçons. Les Sophiftes les imitoient à demi; ils agiffoient en hommes & parloient en Philofophes..

par reffentiment que vous ne voulez plus voir le Roi. S'il vous a voulu faire du mal, c'est qu'ib ne vous a point connu. Ce n'eft pas le veritable, le bon, le jufte Philoclès qu'il a voulu faire perir. C'étoit un homme bien different qu'il vouloit punir. Mais maintenant qu'il vous connoît, & qu'il ne vous prend plus pour un autre, il fent toute fon ancienne amitié revivre dans fon cœur. Il vous attend. Déja il vous tend les bras pour vous embraffer. Dans fon impatience, il compte les jours & les heures. Aurez-vous le cœur aflez dur pour être inexorable à votre Roi, & à tous vos plus tendres amis?

PHILOCLES, qui avoit d'abord été attendri en reconnoiffant Hégefippe, reprit fon air auftere en écoutant ce difcours. Semblable à un rocher contre lequel les vents combattent en vain, & où toutes les vagues vont le brifer en gémiflant: il demeuroit immoble, & les prieres ni les raifons ne trouvoient aucune ouverture pour entrer dans fon cœur. Mais au moment où Hégefippe commençoit à defefperer de le vaincre, Philoclès aïant confulté les Dieux, il découvrit par le vol des oifeaux, par les entrailles des victimes, & par divers autres prefages, qu'il devoit fuivre Hégefippe. ALORS il ne refifta plus. Il fe prépara à

Ille, velut pelagi rupes immota refiftit ;
Ut pelagi rupes magno veniente fragore,
Qua fefe, multis circùm latrantibus undis,
Mole tenet. Virg. Æn. 1. VII. v. 586.

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Ἠύτε πέτρα.

partir.

Ἠλίβατα, μεγάλη, πολιῆς· αλὸς ἔγγυς ἐᾶσα Ητε μένει λιγέων ανέμων λαιψηρά κέλευθα, Κύματά τε τριφόεντα, τά τε προσερεύγεται αυτήν

Homer. 11. 1. XV. v. 618.

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