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jamais aveuglément à leur zele indifcret. Mais écoutez-les favorablement, honorez leur vertu, montrez au Public que vous favez la diftinguer & furtout gardez-vous bien d'être plus longtems comme vous avez été jusqu'ici. Les Princes gâtés, comme vous l'étiez, fe contentant de méprifer les hommes corrompus, ne laillent pas de les employer avec confiance & de les combler de bienfaits. D'un autre côté, ils fe piquent de connoître auffi les hommes vertueux; mais ils ne leur donnent que de vains éloges n'ofant ni leur confier les emplois, ni les admettre dans leur commerce familier, ni répandre des bienfaits fur eux.

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ALORS Idoménée dit, qu'il étoit honteux d'avoir tant tardé à délivrer l'innocence oprimée, & à punir ceux qui l'avoient trompé. Mentor n'eut même aucune peine à déterminer le Roi à perdre fon Favori; car aufli-tôt qu'on eft parvenu à rendre les Favoris fufpects & im portuns à leurs maîtres, les Princes laffes & embaraflés ne cherchent plus qu'à s'en defaire. Leur amitié s'évanouït: les fervices font oubliés La chute des Favoris ne leur coute rien, pourvu qu'ils ne les voyent plus.

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Aussi-tôt le Roi ordonna en fecret à Hégefippe, qui étoit un des principaux Officiers de fa Maifon, de prendre Protefilas & Timocrate, & de les conduire en furété dans l'ifle de Samos; de les y laiffer, & de ramener Philoclès de ce lieu d'exil. Hégefippe, furpris de cet ordre, ne put s'empêcher de pleurer de joie. C'est main tenant, dit-il au Roi, que vous allez charmer vos Sujets. Ces deux hommes ont caufé tous malheurs, & tous ceux de vos peuples. Il y a vingt ans qu'ils font gémir tous les gens de bien, & qu'à peine ofe-t-on même gémir, tant leur tiran

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tirannie eft cruelle. Ils accablent tous ceux qui entreprennent d'aller à vous par un autre cañal que le leur.

ENSUITE Hégefippe découvrit au Roi un grand nombre de perfidies & d'inhumanités commifes par ces deux hommes, dont le Roi n'avoit jamais entendu parler, parceque perfonne n'osoit les accufer. Il lui raconta même ce qu'il avoit découvert d'une conjuration fecrette pour faire perir Mentor. Le Roi eut horreur de tout ce qu'il entendoit.

HEGESIPPE fe hâta d'aller prendre Protefilas dans fa maifon. Elle étoit moins grande, mais plus commode & plus riante que celle du Roi. L'architecture étoit de meilleur goût. Protefilas l'avoit ornée avec une dépenfe tirée du fang des miferables. Il étoit alors dans un falon de marbre auprès de fes bains, couché négligemment fur un lit de pourpre avec une broderie d'or. Il paroifloit las & épuifé de fes travaux. Ses yeux & fes fourcils montroient je ne fais quoi d'agité, de fombre & de farouche. Les plus grands de l'Etat étoient autour de lui rangés fur des tapis, compofant leurs vifages fur celui de Protefilas, dont ils obfervoient jufqu'au moindre clin d'œil. A peine ouvroit-il la bouche, que tout le monde fe récrioit pour admirer ce qu'il alloit dire.

UN des principaux de la troupe lui racontoit, avec des exagerations ridicules, ce que Protefilas lui-même avoit fait pour le Roi. Un autre lui afluroit que Jupiter aïant trompé fa mere lui avoit donné la vie, & qu'il étoit fils du pere des Dieux. Un Poëte venoit lui chanter des vers, où il difoit que Protefilas inftruit par les Mufes avoit égalé Apollon pour tous les ouvrages d'efprit. Un autre Poëte encore plus lâche & plus impudent

impudent l'apelloit dans fes vers l'inventeur des beaux arts, & le pere des peuples qu'il rendoit heureux. Il le dépeignoit tenant en main la corne d'abondance".

PROTESILAS écoutoit toutes ces louanges d'un air fec, diftrait & dédaigneux, comme un homme qui fait bien qu'il en merite encore de plus grandes, & qui fait trop de grace de fe laiffer louer. Il y avoit un flateur qui prit la liberté de lui parler à l'oreille, pour fui dire quelque chofe de plaifant contre la police que Mentor tâchoit d'établir. Protefilas fourit: toute l'affemblée fe mit à rire, quoique la plupart ne puffent point encore favoir ce qu'on avoit dit. Mais Protefilas reprenant bientôt fon air févere & hau tain, chacun rentra dans la crainte & dans le filence. Plufieurs Nobles cherchoient le moment, où Protefilas pouroit fe retourner vers eux & les écouter. Ils paroiffoient émus & embaraflés: c'eft qu'ils avoient à lui demander des graces. Leur pofture fupliante parloit pour eux. Ils paroiffoient auffi foumis qu'une mere aux pieds des autels, lorfqu'elle demande aux Dieux la guerifon de fon fils unique. Tous paroiffoient contens, attendris, pleins d'admiration pour Protefilas, quoique tous euffent contre lui dans le cœur une rage implacable.

DANS CE moment Hégefippe entre, faifit l'épée de Protefilas, & lui déclare de la part du Roi qu'il va l'emmener dans l'ifle de Samos. A

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« C'étoit la corne de la chevre Amalthée. Jupiter qu'elle avoit allaité, l'aïant placée dans le ciel, donna une de fes cornes aux femmes qui avoient eu foin de fon enfance, avec la vertu de produire entre les mains de quiconque l'avoit, tout ce qu'on pouvoit fouhaiter pour la nouriture.

a Il eft difficile de demander fans baffeffe. Les Déeffes des prieres font boiteufes, dit Homere, qui avoit fans doute éprou vé qu'on eft contraint de s'avilir dans la mauvaife fortune.

ces paroles, toute l'arrogance de ce Favori tom ba comme un rocher qui fe détache du fommet d'une montagne efcarpee*. Le voilà qui se jette tremblant aux pieds d'Hégefippe. Il pleure, il hefite, il bégaye, il tremble, il embraffe les genoux de cet homme qu'il ne daignoit pas une heure auparavant honorer d'un de fes regards. Tous ceux qui l'encenfoient, le voyant perdu fans reffource, changerent leurs flateries en des infultes fans pitié.

HEGESIPPE ne voulut lui laiffer le tems, ni de faire fes derniers adieux à fa famille, ni de prendre certains écrits fecrets. Tout fut faifi & porté au Roi. Timocrate fut arrété dans le même tems, & fa furprise fut extrême; car il croyoit qu'étant brouillé avec Protefilas, il ne pouvoit être envelopé dans fa ruïne. Ils partent dans un vaiffeau qu'on avoit préparé.

ON arrive à Samos. Hégefippe y laiffe ces deux malheureux; & pour mettre le comble à leur malheur, il les laifle enfemble. Là ils fe repro chent avec fureur l'un à l'autre les crimes qu'ils ont faits, & qui font caufe de leur chute. Ils fe trouvent fans efperance de revoir Salente, condamnés à vivre loin de leurs femmes & de leurs enfans. Je ne dis pas loin de leurs amis, car ils n'en avoient point. On les menoit dans une terre inconnue, où ils ne devoient plus avoir d'autre reffource pour vivre que leur travail; eux qui avoient paffé tant d'années dans les delices, & dans le fafte. Semblables à deux bêtes farouches, ils étoient toujours prêts à fe déchirer l'un l'autre. CEPEN

Ac veluti montis faxum de vertice præceps
Cùm ruit avulfum vento feu turbidus imber,
Proluit, aut annis folvit fublapfa vetuftas:
Fertur in abruptum magno mons improbus actu.
Virg. Æn.

XII. v.

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CEPENDANT Hégefippe demanda en quel lieu de l'ifle demeuroit Philoclès. On lui dit qu'il demeuroit affez loin de la ville fur une montagne, où une grote lui fervoit de maison. Tout le monde lui parla avec admiration de cet Etranger. Depuis qu'il eft dans cette ifle, lui difoit-on, il n'a offenté perfonne. Chacun eft touché de fa patience, de fon travail & de fa tranquilité. N'aïant rien, il paroît toujours content. Quoiqu'il foit ici loin des affaires, fans bien & fans autorité, il ne laifle pas d'obliger ceux qui le meritent, & il a mille induftries pour faire plaifir à tous fes voifins.

HEGESIPPE s'avance vers cette grote. Il la trouve vuide & ouverte; car la pauvreté & la fimplicité des mœurs de Philoclès faifoient qu'il n'avoit en fortant aucun befoin de fermer fa porte. Une natte de jonc groffiere lui fervoit de lit. Rarement il allumoit du feu, parcequ'il ne mangeoit rien de cuit. Il fe nouriffoit pendant l'Eté de fruits nouvellement cueillis, & en Hiver de dattes & de figues feches. Une claire fontaine, qui faifoit une nape d'eau en tombant d'un rocher, le defalteroit. Il n'avoit dans fa grote que les inftrumens néceffaires à la fculpture, & quelques livres qu'il lifoit à certaines heures, non pour orner fon efprit, ni pour contenter fa curiofité, mais pour s'inftruire en fe delaffant de fes travaux, & pour aprendre à être bon. Pour la fculpture, il ne s'y apliquoit que pour exercer fon corps, fuir l'oifiveté, & gagner fa vie fans a voir befoin de perfonne.

HEGESIPPE, en entrant dans la grote, admira
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les

B Socrate faifoit la même chofe pour s'occuper & pour vi. vre. On parle d'un Mercure de fa façon & des trois Graces, qu'il couvrit de draperies, au lieu qu'auparavant on les repre fentoit toutes nues. Paufanias.

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