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contre les dépenfes exceffives. Vous favez même qu'il vous loue, qu'il vous témoigne de la confiance, & qu'il n'oublie rien pour vous plaire. Pour Timocrate, il commence à n'être plus fi bien avec Protefilas. Il a fongé à fe rendre indépendant. Protefilas en eft jaloux, & c'eft en partie par leurs differends que j'ai découvert leur perfidie.

MENTOR fouriant répondit ainfi à Idoménée: Quoi donc ! Vous avez été foible, jufqu'à vous laiffer tirannifer pendant tant d'années par deux traîtres, dont vous connoiffiez la trahifon! Ah! vous ne favez pas, répondit Idoménée, ce que peuvent les hommes artificieux fur un Roi foible & inapliqué, qui s'eft livré à eux pour toutes fes affaires. D'ailleurs je vous ai déja dit, que Protefilas entre maintenant dans toutes vos vues pour le bien public.

MENTOR reprit ainfi le difcours d'un air grave: Je ne vois que trop combien les méchans prévalent fur les bons auprès des Rois. Vous en êtes un terrible exemple. Mais vous dites que je vous ai ouvert les yeux fur Protefilas, & ils font encore fermés pour laiffer le gouvernement de vos affaires à cet homme indigne de vivre. Sachez que les méchans ne font point des hommes incapables de faire le bien. Ils le font indifferemment, de même que le mal, quand il peut fervir à leur ambition. Le mal ne leur coute rien à faire, parcequ'aucun fentiment de bonté, ni aucun principe de vertu ne les retient. Mais auffi ils font le bien fans peine, parceque leur corruption les porte à le faire pour paroître bons, & pour tromper le refte des hommes. A proprement parler, ils ne font pas capables de la vertu, quoiqu'ils paroiffent la pratiquer mais ils font capables d'ajouter à tous les autres vices

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Je plus horrible des vices, qui eft l'hipocrifie Tant que vous voudrez absolument faire le bien, Protefilas fera prêt à le faire avec vous, pour conferver-l'autorité. Mais fi peu qu'il fente en vous de facilité à vous relâcher, il n'oubliera rien pour vous faire retomber dans l'égarement, & pour reprendre en liberté fon naturel trompeur & feroce. Pouvez-vous vivre avec honneur & en repos, pendant qu'un tel homme vous obfede à toute heure, & que vous favez le fage & le fidele Philoclès pauvre & defhonoré dans l'ifle de Samos.

Vous reconnoiffez bien, o ldoménée, que les hommes trompeurs & hardis, qui font prefens, entrainent les Princes foibles. Mais vous deviez ajouter, que les Princes ont encore un autre malheur, qui n'eft pas moindre: c'est celui d'oublier facilement la vertu & les fervices d'un homme éloigné. La multitude des hommes qui environnent les Princes, eft caufe qu'il n'y en a aucun qui faffe une impreffion profonde fur eux. Ils ne font frapés que de ce qui eft prefent & qui les flate. Tout le refte s'efface bientôt. Surtout la vertu les touche peu, parceque la vertu, loin de les flater, les contredit & les condamne dans leurs foibleffes. Faut-il s'étonner s'ils ne font point aimés, puifqu'ils n'aiment rien que leur grandeur & leurs plaifirs?

Fin du treizieme Livre.

SOM.

324

SOMMAIRE

DU

LIVRE QUATORZIE ME.

M

Entor oblige Idoménée à faire conduire Prote filas & Timocrate en l'ifle de Samos,& à rapeller Philocles pour le remettre en honneur auprès de lui. Hégefippe, qui eft chargé de cet ordre, T'exécute avec joie. Il arrive avec ces deux hommes à Samos, où il revoit fon ami Philoclès content d'y mener une vie pauvre & folitaire. Celui-ci ne confent qu'avec beaucoup de peine à retourner parmi les fiens: mais après avoir reconnu que les Dieux le veulent, il s'embarque avec Hégefippe & arrive à Salente. Idoménée, qui n'eft plus le même homme, le reçoit avec amitié & le confulte fur le gouvernement de fon Etat.

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325

LES

AVANTURES.

DE

TELEMAQUE,

FILS D'ULYSSE

LIVRE QUATORZIE ME.

A

PRES avoir dit ces paroles, Mentor perfuada à Idoménée qu'il faloit au plutôt chaffer Protefilas & Timocrate, pour rapeller Philoclès. L'unique difficulté qui arretoit le Roi, c'est qu'il craignoit la téverité de Philoclès. J'avoue, difoitil, que je ne puis m'empêcher de craindre un peu fon retour, quoique je l'aime & que je l'eftime. Je fuis depuis ma tendre jeunefle accoutumé à des louanges, à des empreffemens, à des complaifancès, que je ne faurois efperer de trouver dans cet homme. Dès que je faifois quelque chofe qu'il n'aprouvoit pas, fon air trifte me marquoit TOM. II. B

aflez

affez qu'il me condamnoit. Quand il étoit en particulier avec moi, fes manieres étoient refpectueufes & moderées, mais feches.

NE voyez-vous pas, lui répondit Mentor, que les Princes, gâtés par la flaterie, trouvent fec & auftere tout ce qui est libre & ingénu. Ils vont

même jufqu'à s'imaginer qu'on n'est pas zelé pour leur fervice, & qu'on n'aime pas leur autorité, dès qu'on n'a point l'ame fervile, & qu'on n'eft pas prêt à les flater dans l'ufage le plus injufte de leur puiflance. Toute parole libre & génereufe leur paroît hautaine, critique & féditieuse. Ils deviennent fi delicats, que tout ce qui n'eft point flaterie les bleffe & les irrite. Mais allons plus loin. Je fupofe que Philoclès eft effectivement fec & auftere. Son aufterité ne vautelle pas mieux que la flaterie pernicieuse de vos Confeillers? Où trouverez-vous un homme fans defauts? Et le defaut de vous dire trop hardiment la verité, n'eft-il pas celui que vous devez le moins craindre? Que dis-je! N'eft-ce pas un defaut néceflaire pour corriger les vôtres, & pour vaincre le dégoût de la verité où la flaterie vous a fait tomber? Il vous faut un homme qui n'aime que la verité & vous; qui vous aime mieux que vous ne favez vous aimer vous même; qui Vous dife la verité malgré vous; qui force tous vos retranchemens: & cet homme néceffaire, c'eft Philoclès. Souvenez-vous qu'un Prince est trop heureux, quand il naît un feul homme fous fon regne avec cette génerofité, qui eft le plus précieux trefor de l'Etat; & que la plus grande punition qu'il doit craindre des Dieux, eft de perdre un tel homme, s'il s'en rend indigne faute de favoir s'en fervir. Pour les defauts des gens de bien, il faut les favoir connoître, & ne laiffer pas de fe fervir d'eux. Redreffez-les; ne vous livrez

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