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SOMMAIRE

DU

LIVRE TREIZIEME.

Doménée raconte à Mentor fa confiance en Protefilas, & les artifices de ce Favori, qui étoit de concert avec Timocrate pour faire perir Philoclès, & pour le trahir lui-même. Il lui avoue que, prévenu par ces deux hommes contre Philoclès, il avoit chargé Timocrate de l'aller tuer dans une expédition où il commandoit fa flote; que celui-ci aïant manqué fon coup, Philoclès l'avoit épargné,

s'étoit retiré en l'ifle de Samos, après avoir remis le commandement de la flote à Polimene, que lui Idoménée avoit nommé dans fon ordre par écrit; & qu'enfin malgré la trahison de Protefilas, il n'avoit pu se resoudre à fe defaire de lui.

LES

303

LES

AVANTURES

DE

TELEMAQUE,

FILS D'ULYSSE.

D

LIVRE TREIZIEM E.

EJA la réputation du gouvernement doux & moderé d'Idoménée attire en foule de tous côtés des peuples, qui viennent s'incorporer au fien, & chercher leur bonheur fous une fi aimable domination. Déja ces campagnes, qui avoient été fi longtems couvertes de ronces & d'épines, promettent de riches moiffons, & des fruits jufqu'alors inconnus. La terre ouvre fon fein au tranchant de la charue, & prépare fes richeffes pour récompenfer le Laboureur. « L'efperance reluit de tous côtés. On voit dans les valons & fur les colines les troupeaux de moutons qui bondiffent fur l'herbe, TOM. II. A 2

&

Nec fpes deftituat, fed frugum femper acervos
Præbeat & pleno pinguia musta lacu. Tibul. I. I. eleg. I.

& les grands troupeaux de boeufs & de geniffes, qui font retentir les hautes montagnes de leurs mugiffemens. Ces troupeaux fervent à engraiffer les campagnes. C'eft. Mentor qui a trouvé le moyen d'avoir ces troupeaux. Mentor confeille à Idoménée de faire avec les Peucetes, peuples voifins, un échange de toutes les chofes fuperflues, qu'on ne vouloit plus fouffrir dans Salente, avec ces troupeaux qui manquoient aux Salentins.

En même tems la ville & les villages d'alentour étoient pleins d'une belle Jeuneffe qui avoit langui longtems dans la mifere, & qui n'avoit ofc fc marier de peur d'augmenter leurs maux. Quand ils virent qu'Idoménée prenoit des fentimens d'humanité, & qu'il vouloit être leur pere, ils ne craignirent plus la faim, & les autres fléaux par lefquels le ciel afflige la terre. On n'entendoit plus que des cris de joie, que les chanfons des Bergers & des Laboureurs qui celébroient leur himénée. On auroit cru voir le Dieu Pan & avec une foule de Satyres & de Faunes mêlés parmi les Nymphes*, & danfant au fon de la flûte à l'ombre des bois. Tout étoit tranquile

&

a Les Peucetes étoient des peuples voisins des Dauniens, qui babitoient cette partie de l'Italie apellée aujourd'hui la Terre de Bari, dans le Royaume de Naples.

b Pan étoit le Dieu de la Nature adoré particulierement par les Bergers & les Chaffeurs. Il devint amoureux de la Nymphe Syrinx, l'aïant changée en rofeau, il en fit fa fûte. & Fils de Mercure, fuivant Homere & Herodote, qui ajoute que Pénelope étoit fa mere.

Pan primis calamos cerâ conjungere, plures
Inftituit: Pan curat oves, oviumque magiftros.
Virg. Eclog. II. v. 32è

2 Dieux des campagnes & des bois :
Et vos agreftum præfentia numina, Fauni.

Virg. Georg. 1. I. v. 10.

Nympharumque leves cum Satyris chori.

Hor. 1. I. od. I

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riant. Mais la joie étoit moderée, & ces plaifirs ne fervoient qu'à delaffer des longs travaux. Ils en étoient plus vifs & plus purs.

LES vieillards étonnés de voir ce qu'ils n'auroient ofé efperer dans la fuite d'un fì long âge,. pleuroient par un excès de joie mêlée de tendreffe. Ils levoient leurs mains tremblantes vers le ciel: Béniflez, difoient-ils, o grand Jupiter, le Roi qui vous reflemble, & qui eft le plus grand don que vous nous ayez fait. Il eft né pour le bien des hommes: rendez-lui tout le bien que nous recevons de lui. Nos arrieres-neveux, venus de ces mariages qu'il favorife, lui devront tout jufqu'à leur naiflance, & il fera veritablement le pere de tous fes Sujets. Les jeunes hommes & les jeunes filles qui s'époufoient, ne faifoient éclater leur joie qu'en chantant les louanges de celui de qui cette joie fi douce leur étoit venue. Les bouches & encore plus les coeurs étoient fans ceffe remplis de fon nom. On fe croyoit heureux de le voir; on craignoit de le perdre: fa perte eût été la defolation de chaque famille.

ALORS Idoménée avoua à Mentor qu'il n'avoit jamais fenti de plaifir auffi touchant que celui d'être aimé, & de rendre tant de gens heureux. Je nel'aurois jamais cru, difoit-il. Il me fembloit que toute la grandeur des Princes ne confiftoit qu'à fe faire craindre; que le refte des hommes étoit fait pour eux; & tout ce que j'avois ouï dire des Rois, qui avoient été l'amour & les delices de leurs peu-ples, me paroifloit une pure fable. J'en reconnois maintenant la verité. Mais il faut que je vous raconte comment on avoit empoisonné mon cœur dès ma plus tendre enfance fur l'autorité des Rois. C'est ce qui a caufé tous les malheurs de ma vie. Alors Idoménée commença cette narration.

A. 3.

PRO

PROTESILA s, qui eft un peu plus âgé que moi, fut celui de tous les jeunes gens que j'aimois le plus. Son naturel vif & hardi étoit felon mon goût. Il entra dans mes plaifirs, il flata mes paflions; il me rendit fufpect un autre jeune homme que j'aimois auffi, & qui fe nommoit Philoclès. Celui-ci avoit la crainte des Dieux & l'ame grande, mais moderée. Il mettoit la grandeur, non à s'élever, mais à fe vaincre, & à ne faire rien de bas. Il me parloit librement fur mes defauts, & lors même qu'il n'ofoit me parler, fon filence & la trifteffe de fon vifage me faifoient affez entendre ce qu'il vouloit me_reprocher.

DANS les commencemens cette fincerité me plaifoit: je lui proteftois fouvent, que je l'écouterois avec confiance toute ma vie pour me preserver des flateurs. Il me difoit tout ce que je devois faire pour marcher fur les traces de mon aïeul Minos, & pour rendre mon Royaume heureux. Il n'avoit pas une auffi profonde fageffe que vous, o Mentor; mais fes maximes étoient bonnes. Je le reconnois maintenant. Peu à peu les artifices de Protefilas, qui étoit jaloux & plein d'ambition, me dégoû terent de Philoclès. Celui-ci étoit fans empreffement, & laiffoit l'autre prévaloir. Il fe contentoit de me dire toujours la verité, lorfque je voulois l'entendre. C'étoit mon bien & non fa fortune qu'il cherchoit.

PROTESILAS me perfuada infenfiblement, que c'étoit un efprit chagrin & fuperbe, qui critiquoit toutes mes actions, qui ne me deman

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A l'ufage qu'un Courtifan fait de fa faveur, il est aife de connoître s'il la doit à fon merite ou à fes intrigues. Agrippa ne deffervoit perfonne: Séjan n'étoit occupé qu'à nourir les foupçons que l'efprit inquiet de Tibere formoit à tous lea

inftans.

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