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pas moins de votre valeur que de la fageffe de vos confeils; hâtez-vous de nous fecourir.

MENTOR montre dans fes yeux une audace qui étonne les plus fiers combatans. Il prend un bouclier, un cafque, une épée, une lance: il range les foldats d'Acefte; il marche à leur tête, & s'avance en bon ordre vers les ennemis. Acefte, quoique plein de courage, ne peut dans fa vieilfeffe le fuivre que de loin. Je le fuis de plus près; mais je ne puis égaler fa valeur. Sa cuiraffe reffembloit dans le combat à l'immortelle Egide b. La mort couroit de rang en rang partout où tomboient fes coups. Semblable * à un lion de Numidie que la cruelle faim dévore, & qui entre dans un troupeau de foibles brebis: il déchire, il égorge, il nage dans le fang; & les Bergers, loin

de

L'Egide étoit le bouclier de Jupiter, ainfi nommé d'un mot Grec, qui fignifie Chevre, parce que ce Dieu fut nouri par la "Chevre Amalthée, & qu'il couvrit enfuite fon bouclier de fa peau. Il le donna depuis à Pallas, qui y attacha la tête de Me-dufe, dont le feul afpect métamorphofoit les bommes en rochers.

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En voici la defcription, faite par les deux plus granda Poëtes de l'Antiquité:

Ægidaque borrificam, turbata Palladis arma,
Certatim fquammis ferpentum auroque polibant,
Connexofque angues, ipfamque in pectore Diva
Gorgona, defecto vertentem lumina collo.

Virg. Æneid. liv. VIII. v. 435.

Αμφὶ δ ̓ ἄρ ̓ ὤμοισιν βάλετ ̓ αἰγίδα θυσσανόεσσαν Δεινὴν ἣν περὶ μ' πάντη φόβῳ ἐςεφάνωτο,

Εν δ' εις, ἐν δ ̓ ἀλκὴ, ἐν ἢ κρυόεσσα ἰωκή,

Ἐν δέ τε γοργείη κεφαλὴ δεινοῖο πελώριο.

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Homer. Iliad. 1. V. v. 738.

* Impaftus ceu plena leo per ovilia turbans,
(Suadet enim vefana fames) manditque trabitque
Molle pecus mutumque metu, fremit ore cruento.

Virg. Æn. 1. IX. v. 339.

Ως ο λέων ἐν βασὶ θορῶν ἐξ οὐχένα ἄξει Πόρτις ἠὲ βοὺς ξύλοχον καταβοσκομενάων. Homer. Iliad. 1, V, v. 162..

(

de fecourir le troupeau, fuyent tremblans pour fe derober à fa fureur.

CES Barbares, qui efperoient de furprendre la ville, furent eux-mêmes furpris & déconcertés. Les Sujets d'Acefte, animés par l'exemple & par les paroles de Mentor, eurent une vigueur dont ils ne fe croyoient point capables. De ma lance je renverfai le fils du Roi de ce peuple ennemi: il étoit de mon âge, mais il étoit plus grand que moi; car ce peuple venoit d'une race de Géans, qui étoient de la même origine que les Cyclopes. Il méprifoit un ennemi auffi foible que moi: mais fans m'étonner de fa force prodigieuse, ni de fon air fauvage & brutal, je pouflai ma lance contre fa poitrine, & je lui fis vomir en expirant des torrens d'un fang noir. Il penfa m'écrafer dans fa chute. Le bruit de fes armes retentit jufqu'aux montagnes.. Je pris fes dépouilles, & je revins trouver Acefte. Mentor aïant achevé de mettre les ennemis en defordre, les tailla en pieces, & poufla les fuyards jufques dans les forêts.

UN fuccès fi inefperé fit regarder Mentor comme un homme cheri & infpiré des Dieux. Acefte, touché de reconnoiffance, nous avertit qu'il craignoit tout pour nous, fi les vaiffeaux d'Enée revenoient en Sicile. Il nous en donna un pour retourner fans retardement en notre pays; nous combla de prefens, & nous preffa de partir, pour prévenir tous les malheurs qu'il prévoyoit. Mais il ne voulut nous donner ni un Pilote, ni des rameurs de fa nation, de peur qu'ils ne fuflent trop expofés fur les côtes de la Grece. TOм. I.

B

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Il eft donné aux Heros d'être grands fans être vains. Ils peuvent raporter leurs belles actions fans en exténuer la gloire. Les Anciens qui s'entendoient fi bien en modeftie, n'ont point blâmé Xénophon, ni Cefar d'avoir écrit leurs victoires.

Il nous donna des Marchands « Phéniciens, qui étant en commerce avec tous les peuples du Monde, n'avoient rien à craindre, & qui devoient ramener le vaifleau à Aceste, quand ils nous auroient laiflés en Ithaque: mais les Dieux, qui fe jouent des deffeins des hommes, nous reservoient à d'autres dangers.

Peuple très ingénieux de la Syrie. On les fait inventeurs de l'Ecriture:

Phoenices primi, fama fi creditur, aufi
Manfuram rudibus vocem fignare figuris.

Lucan. Pharf. 1. III. v. 2294

Fin du premier Livre.

SOM

SOMMAIRE

D U

LIVRE SECOND.

T

27

Elémaque raconte, qu'il fut pris fur le vaisseau Tyrien par la flote de Sefoftris, & emmené captif en Egypte. Il dépeint la beauté de ce pays, & la fagesse du gouvernement de fon Roi. Il ajoute, que Mentor fut envoyé efclave en Ethiopie; que lui-même Telémaque fut réduit à condaire un troupeau dans le defert d'Oafis; que Termofiris Prêtre d'Apollon le confola, en lui aprenant à imiter ce Dieu, qui avoit

été autrefois Berger chez le Roi Admete; que Sefoftris aïant apris tout ce qu'il faifoit de mer

veilleux parmi les Bergers, l'avoit rapellé, & qu'après avoir reconnu fon innocence, il lui avoit promis de le renvoyer à Ithaque : mais que la mort de ce Roi l'avoit replongé dans de nouveaux malheurs; qu'on le mit en prison dans une tour fur le bord de la mer, d'où il vit le nouveau Roi Bocchoris, qui perit dans un combat contre fes Sujets révoltés, fecourus par les Tyriens.

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28

LES

AVANTURES

DE

TELEMAQUE,

FILS D'ULYSSE.

L

LIVRE SECOND.

ES Tyriens, par leur fierté, avoient irrité contre eux le Roi Sefoftris, qui régnoit en Egypte, & qui avoit conquis tant de RoyauLes richeffes qu'ils ont acpar le commerce & la force de l'imprenable ville de Tyr, fituée dans la mer, avoient

mes.

quifes

a Nommé autrement Sefonchofis, un des plus grands Conquerans qui ayent jamais été. Il fubjugua diverfes nations de l'Afie, comme on peut voir dans Herodote, qui fait un ample récit de fes victoires; mais fon frere aïant voulu ufurper la Souveraineté, il revint en Egypte après neuf ans d'abfence, & le chaffa de fes Etats.

B Dans la Phénicie. Cette ville, autrefois fi celebre & fi puiffante, n'eft plus qu'un miferable bourg, que l'on nomme Sur. On peut voir dans Pline I. V. c. 19. & dans Strabon 1. XVI. à quel dégré de grandeur & de magnificence elle étoit parvenue du tems qu'Alexandre l'affiégea.

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