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Il veut une paix dont toutes les Parties foient contentes, qui finifle toutes les jaloufies, qui apaife tous les reflentimens, & qui guerifle toutes les defiances. En un mot, Idoménée eft dans les fentimens où je fuis fûr que vous voudriez qu'il fût. Il n'eft queftion que de vous en perfuader. La perfuafion ne fera pas difficile, fi vous voulez m'écouter avec un efprit dégagé & tranquile.

ECOUTEZ donc, o peuples remplis de valeur ; & vous, o Chefs fi fages & fi unis, écoutez ce que je vous offre de la part d'Idoménée. Il n'eft pas jufte qu'il puifle entrer dans les terres de fes voifins. Il n'eft pas jufte auffi que fes voifins puiffent entrer dans les fiennes. Il confent que les paffages que l'on a fortifiés par de hautes. tours, foient gardés par des troupes neutres. Vous, Neftor, & vous, Philoctete, vous êtes Grecs d'origine; mais en cette occafion vous. vous êtes déclarés contre Idoménée. Ainfi vous ne pouvez être fufpects d'être trop favorables à fes interêts. Ce qui vous touche, c'eft l'interêt commun de la paix & de la liberté de l'Hefperie. Soyez vous-mêmes les dépofitaires & les gardiens de ces paffages, qui caufent la guerre. Vous n'avez pas moins d'interêt à empêcher que les anciens peuples de l'Hefperie ne détruisent SaJente, nouvelle colonie des Grecs, femblable à celle que vous avez fondée, qu'à empécher qu'Idoménée n'ufurpe les terres de fes voifins. Tenez l'équilibre entre les uns & les autres. Au lieu de porter le fer & le feu chez un peuple que vous devez aimer, refervez-vous la gloire d'être les juges & les médiateurs. Vous me direz que ces conditions vous paroîtroient merveilleufes, fi vous pouviez vous affurer qu'Idoménée les accompliroit de bonne foi; mais je vais vous fatiffaire.

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I y aura pour fureté réciproque les otages dont je vous ai parlé, jufqu'à ce que tous les paffages foient mis en dépôt dans vos mains. Quand le falut de l'Hefperie entiere, quand celui de Salente même & d'Idoménée fera à votré difcrétion, ferez-vous contens? De qui pourezvous deformais vous defier? Sera-ce de vousmêmes? Vous n'ofez vous fier à Idoménée, & Idoménée eft fi incapable de vous tromper, qu'il veut fe fier à vous. Oui, il veut vous confier le repos, la vie, la liberté de tout fon peuple & de lui-même. S'il eft vrai que vous ne defiriez qu'une bonne paix, la voilà qui se presente à vous, & qui vous ôte tout prétexte de reculer. Encore une fois, ne vous imaginez pas que crainte réduise Idoménée à vous faire ces offres.. C'eft la fageffe & la juftice qui l'engagent à pren. dre ce parti, fans fe mettre en peine fi vous imputerez à foibleffe ce qu'il fait par vertu. Dans les commencemens il a fait des fautes, & il met fa gloire à les reconnoître par les offres dont il vous prévient. C'eft foibleffe, c'eft vanité, c'eft ignorance groffiere de fon propre interêt, que d'efperer de pouvoir cacher fes fautes en affectant de les foutenir avec fierté & avec hauteur. CELUI qui avoue fes fautes à fon ennemi, & qui offre de les réparer, montre par-là qu'il est devenu incapable d'en commettre, & que l'ennemi a tout à craindre d'une conduite fi fage & fi ferme, à moins qu'il ne fafle la paix. Gardez-vous bien de fouffrir qu'il vous mette à fon tour dans le tort. Si vous refufez la paix & la justice qui viennent à vous, la paix & la juftice feront vengées. Idoménée, qui devoit craindre de trouver les Dieux irrités contre lui, les tournera pour lui contre vous. Telémaque & moi nous combattrons pour la bonne caufe. Je prends tous

les

les Dieux du ciel & des enfers à témoins des juftes propofitions que je viens de vous faire.

EN achevant ces mots, Mentor leva fon bras pour montrer à tant de peuples le rameau d'olivier, qui étoit dans fa main le figne pacifique. Les Chefs, qui le regarderent de près, furent é tonnés & éblouïs du feu divin qui éclatoit dans fes yeux. Il parut avec une majesté & une autorité, qui eft au-deffus de tout ce qu'on voit dans les plus grands d'entre les Mortels. Le charme de fes paroles douces & fortes enlevoit les cœurs. Elles étoient femblables à ces paroles enchantées, qui tout-à-coup, dans le profond filence de la nuit, arrêtent au milieu de POlympe la lune & les étoiles, calment la mer irritée, font taire les vents & les flots, &. fufpendent le cours des fleuves rapides.

- MENTOR étoit au milieu de ces peuples furieux, comme + Bacchus lorfqu'il étoit environné de tigres qui, oubliant leur cruauté, venoient par la puiflance de fa douce voix lécher fes pieds, & fe foumettre par leurs careffes. D'abord il fe fit un profond filence dans toute l'armée. Les Chefs fe regardoient les uns les autres, & ne pouvoient refifter à cet homme, ni comprendre qui il étoit. Toutes les troupes immobiles avoient

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Carmina vel cælo poffunt deducere Lunam.
Virg. Eclog. VIII. v. 69.

Qua fydera excantata voce Theffala,
Lunamque celo deripit. Hor. Epod. V.

Per atque libros carminum valentium
Refixa calo devocare fydera.

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Et polo

Deripere Lunam vocibus poffim meis.

+ C'est du même Dieu qu'Horace dit:
Te vidit infons Cerberus aureo
Cornu decorum, leniter atterens
Caudam & recedentis trilingui
Ore pedes tetigitque crura.

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Id. Epod. XVII. . ·

Id. ib,

1. II..od. 19.

les yeux attachés fur lui. On n'ofoit parler, de peur qu'il n'eût encore quelque chofe à dire, & qu'on ne l'empéchat d'être entendu. Quoiqu'on ne trouvat rien à ajouter aux chofes qu'il avoit dites, on auroit fouhaité qu'il eût parlé plus longtems. Tout ce qu'il avoit dit demeuroit comme gravé dans tous les cœurs. En parlant il fe faifoit aimer, il fe faifoit croire. Chacun étoit avide & comme fufpendu, pour recueillir jufqu'aux moindres paroles qui fortoient de fa bouche.

ENFIN après un affez long filence, on enter dit un bruit fourd qui fe répandoit peu à peu. Ce n'étoit plus ce bruit confus des peuples qui frémiffoient dans leur indignation. C'étoit au contraire un murmure doux & favorable. On découvroit déja fur les vifages je ne fais quoi de ferein & de radouci. Les Manduriens fi irrités fentoient que leurs armes leur tomboient des -mains. Le farouche Phalante avec les Lacédémoniens fut furpris de trouver fes entrailles de fer fi attendries. Les autres commencerent à foupirer après cette heureufe paix qu'on venoit leur montrer. Philoctete, plus fenfible qu'un autre par l'experience de fes malheurs, ne put retenir fes larmes. Neftor, ne pouvant parler dans le tranfport où le difcours de Mentor venoit de le mettre, l'embrafla tendrement; & tous les peuples à la fois, comme fi c'eût été un fignal, s'écrierent auffi-tôt: O fage vieillard, vous nous defarmez ! La paix, la paix.

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C

NESTOR un moment après voulut commen cer un difcours. Mais toutes les troupes impatientes craignirent qu'il ne voulût reprefenter quelque

Telle fut la joie de la Grece affemblée à Némée, quand Quintus Flaminius lui rendit la liberté & la paix, au nom de la République Romaine. Il courut rifque d'être accablé fous le poids des couronnes qu'on fit voler de toutes parts fur fa Bêter

quelque difficulté. La paix, la paix, s'écrierentelles encore une fois. On ne put leur imposer fi-lence qu'en faifant crier avec eux par tous leg Chefs de l'armée: La paix, la paix.

NESTOR, Voyant bien qu'il n'étoit pas libre de faire un difcours fuivi, fe contenta de dire: Vous voyez, o Mentor, ce que peut la parole d'un homme de bien. Quand la fageffe & la vertu parlent, elles calment toutes les paffions. Nos juftes reffentimens fe changent en amitié &. en defirs d'une paix durable. Nous l'acceptons telle que vous l'offrez. En même tems tous les Chefs tendirent les mains en figne de consente

ment.

MENTOR Courut vers la porte de Salente pour la faire ouvrir, & pour mander à Idoménée de fortir de la ville fans précaution. Cependant Neftor embraffoit Telémaque, difant: Aimable fils du plus fage de tous les Grecs, puiffiezvous être aufli fage & plus heureux que. lui!! N'avez-vous rien découvert fur fa deftinée? Le fouvenir de votre pere, à qui vous reflemblez, a fervi à étouffer notre indignation. Phalante, quoique dur & farouche, quoiqu'il n'eût jamais vu. Ulyffe, ne laifla pas d'être touché de fes mal-heurs & de ceux de fon fils. Déja on preffoit Telémaque de raconter fes avantures, lorfque Mentor revint avec Idoménée & toute la Jeuneffe Crétoife qui le fuivoit.

A LA vue d'Idoménée, les Alliés fentirent que leur couroux fe rallumoit: mais les paroles de

B C'est ce que Virgile a peint fi énergiquement & fi naturellement dans ces vers, où après avoir reprefenté le trouble & la fureur d'une fédition, il ajoute :

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Tum pietate gravem, ac meritis, fi forte virum quem
Confpexere, filent, arrectifque auribus aftant:
Ille regit dictis animos, pectora mulcet.

n. 1. I.. v. 15Ie 3

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