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apaifer, en leur reprefentant qu'on les avoit attaqués, faute de favoir l'alliance qui venoit d'être jurée. Il faloit leur offrir toutes les furetés qu'ils auroient demandées, & établir de rigoureuses peines contre ceux de vos Sujets, qui auroient manqué à l'alliance. Mais qu'eft-il arrivé depuis ce commencement de guerre?

JE crus, répondit Idoménée, que nous n'aurions pu fans baffeffe rechercher ces Barbares, qui affemblerent à la hâte tous leurs hommes en âge de combattre, & qui implorerent le fecours de tous les peuples voifins, auxquels ils nous rendirent fufpects & odieux. Il me parut que le parti le plus affuré étoit de s'emparer promtement de certains paffages dans les montagnes, qui étoient mal gardés. Nous les primes fans peine, & par là nous nous fommes mis en état de defoler ces Barbares. J'y ai fait élever des tours, d'où nos troupes peuvent accabler de traits tous les ennémis qui viendroient des montagnes dans notre pays. Nous pouvons entrer dans le leur, & ravager, quand il nous plaira, leurs principales habitations. Par ce moyen nous fommes en état de refifter, avec des forces inégales, à cette multitude innombrable d'ennemis qui nous environnent. Au refte la paix entre eux & nous eft devenue très difficile. Nous ne faurions leur abandonner ces tours, fans nous expofer à leurs incurfions, & ils les regardent comme des citadelles, dont nous voulons nous fervir pour les réduire en fervitude.

MENTOR répondit ainfi à Idoménée: Vous êtes un fage Roi, & vous voulez qu'on vous découvre la verité fans aucun adouciffement. Vous n'êtes point comme ces hommes foibles qui craignent de la voir, & qui manquant de courage pour fe corriger, n'employent leur autorité qu'à

foutenir

foutenir les fautes qu'ils ont faites. Sachez donc que ce peuple barbare vous a donné une merveilleufe leçon, quand il eft venu vous demander la paix. Etoit-ce par foibleffe qu'il la demandoit? Manquoit-il de courage, ou de refources contre vous? Vous voyez que non, puisqu'il eft fi aguerri & foutenu par tant de voifins redoutables. Que n'imitez-vous fa moderation? Mais une mauvaise honte & une fauffe gloire vous ont jetté dans ce malheur. Vous avez craint de rendre l'ennemi trop fier, & vous n'avez pas craint de le rendre trop puiffant, en réüniffant tant de peuples contre vous par une conduite hautaine & injuste. A quoi fervent ces tours que vous vantez tant, finon à mettre tous vos voifins dans la néceffité de perir, ou de vous faire perir vous-même, pour fe preferver d'une fervitude prochaine? Vous n'avez élevé ces tours que pour votre fureté, & c'est par ces tours que vous êtes dans un fi grand peril. Le rempart le plus fûr d'un Etat eft la juftice, la moderation, la bonne foi, & l'affurance où font vos voisins, que vous êtes incapable d'ufurper leurs terres. Les plus fortes murailles peuvent tomber par divers accidens imprévus. La fortune eft capricieufe & inconftante dans la guerre; mais l'amour & la confiance de vos voifins, quand ils ont fenti votre moderation, font que votre Etat ne peut être vaincu, & n'eft prefque jamais attaqué. Quand même un voifin injufte l'attaqueroit, tous les autres intereffés à fa confervation prennent auffi-tôt les armes pour le defendre. Cet apui de tant de peuples, qui trouvent leurs veritables interêts à foutenir les vôtres, vous auroit rendu bien plus puiffant que ces tours qui rendent vos maux irrémédiables. Si vous aviez fongé d'abord à éviter la jaloufie de tous vos voisins, votre ville naiffante fleuriroit

dans

dans une heureuse paix, & vous feriez l'arbitre de toutes les nations de l'Hefperie. Retranchons-nous maintenant à examiner comment on peut réparer le paflé par l'avenir. Vous avez commencé à me dire, qu'il y a fur cette côte diverfes colonics Greques k. Čes peuples doivent être difpofés à vous fecourir. Ils n'ont oublié, ni le grand nom de Minos fils de Jupiter, ni vos travaux au fiége de Troye, où vous vous êtes fignalé tant de fois entre les Princes Grecs, pour la querelle commune de toute la Grece. Pourquoi ne fongez-vous pas à mettre ces colonies dans votre parti?

ELLES font toutes, répondit Idoménée, refolues à demeurer neutres. Ce n'eft pas qu'elles n'euffent quelque inclination à me fecourir; mais le trop grand éclat que cette ville a eu dès fa naiflance, les a épouvantés. Ces Grecs, auflibien que les autres peuples, ont craint que nous n'euffions des defleins fur leur liberté. Ils ont penfé, qu'après avoir fubjugué les Barbares des montagnes, nous poufferions plus loin notre ambition. En un mot, tout eft contre nous. Ceux mêmes qui ne nous font pas une guerre ouverte, defirent notre abaiffement, & la jaloufie ne nous laiffe aucun allié.

ETRANGE extrémité, reprit Mentor! Pour vouloir paroître trop puiflant, vous ruïnez votre puiflance; & pendant que vous êtes au-dehors l'objet de la crainte & de la haine de vos voifins,

Vous

k Il y en avoit une fi grande quantité fur la côte occidentale d'Italie, qu'on l'apellcit la Grande Grece. Les colonies étoient toujours dans une efpece de dépendance de leur Métropole, c'eft-à-dire, de la ville qui les avoit fondées. C'étoit un Métropolitain qui prefidoit aux affemblées, & qui offroit les facrifices les plus folemnels. L'objet principal des loix de la Grece, c'étoit d'entretenir une étroite liaifon entre les differens peuples qui l'habitoient.

vous vous épuifez au-dedans par les efforts néceffaires pour foutenir une telle guerre. O malheureux, & doublement malheureux Idoménée, que ce malheur même n'a pu inftruire qu'à demi! Aurez-vous encore befoin d'une feconde chute, pour aprendre à prévoir les maux, qui menacent les plus grands Rois? Laiffez-moi faire, & racontez-moi feulement en détail quelles font donc ces villes Greques, qui refusent votre al❤ liance.

LA principale, lui répondit Idoménée, eft la ville de Tarente. Phalante l'a fondée depuis trois ans. Il ramaffa dans la Laconie1 un grand nombre de jeunes hommes, nés des femmes qui avoient oublié leurs maris abfens pendant la guerre de Troye. Quand les maris revinrent, les femmes ne fongerent plus qu'à les apaifer, & qu'à defavouer leurs fautes. Cette nombreuse jeunefle, qui étoit née hors du mariage, ne connoiflant plus ni pere, ni mere, vécut avec une licence fans bornes. La féverité des loix réprima leurs defordres. Ils fe réunirent fous Phalante, Chef hardi, intrépide, ambitieux, & qui fut gagner les cœurs par fes artifices. Il eft venu fur ce rivage avec ces jeunes Laconiens. Ils ont fait de Tarente une feconde Lacédémone. D'un aute côté, Philoctete qui a eu une fi grande gloire au fiége de Troye, en y portant les fleches d'Hercule, a élevé dans ce voifinage les murs de Pétilie', moins puiffante à la verité, mais plus

fage

1 La Laconie étoit une Province du Peloponnefe; c'est aujour d'hui Traconia dans la Morée.

1910

Hic illa ducis Melibai

Parva Philoctetæ fubnixa Petilia muro.

Virg. Æn. 1. III. v. 4.01. Le pédantefque & pointilleux Auteur de la Telémacomanie a eu l'audace de dire, que ce nom de Pétilie eft inconnu à toute l'Antiquité. Voilà un échantillon de la jufteffe & de la folidité des remarqués du Cenfeur.

fagement gouvernée que Tarente. Enfin nous avons ici-pres la ville de Metaponte, que le fage Neftor ma fondée avec fes Pyliens.

QUOI, reprit Mentor! Vous avez Neftor dans l'Hefperie, & vous n'avez pas fu l'engager dans vos interêts? Neftor qui vous a vu tant de fois combattre contre les Troyens, & dont vous aviez l'amitié? Je l'ai perdue, repliqua Idoménée, par l'artifice de ces peuples qui n'ont rien de barbare que le nom. Ils ont eu l'adreffe de lui perfuader que je voulois me rendre le Tiran de l'Hefperie. Nous le détromperons, dit Mentor: Telémaque le vit à Pylos avant qu'ïl fût venu fonder fa colonie, & avant que nous euffions entrepris nos grands voyages pour chercher Ulyffe. Il n'aura pas encore oublié ce Heros, ni les marques de tendrefle qu'il donna à fon fils Telémaque. Mais le principal est de guerir fa defiance. C'eft par les ombrages donnés à tous vos voifins, que cette guerre s'eft allumée, & c'eft en diffipant ces vains ombrages que cette guerre peut s'éteindre. Encore un coup laiflez-moi faire.

A CES mots Idoménée embraffant Mentor s'attendriffoit, & ne pouvoit parler. Enfin il prononça à peine ces paroles: O fage vieillard, envoyé par les Dieux pour réparer toutes mes fautes, j'avoue que je me ferois irrité contre tout autre qui m'auroit parlé auffi librement que Vous. J'avoue qu'il n'y a que vous feul qui puiffiez m'obliger à chercher la paix. J'avois refolu de perir, ou de vaincre tous mes ennemis; mais il eft jufte de croire vos fages confeils plutôt que ma paffion. O heureux Telémaque! vous ne pourez jamais vous égarer comme moi,

puifque

m Il eft reprefenté dans l'Iliade comme le plus fage des Rois, parcequ'il est le plus pacifique.

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