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demeure comme malgré lui dans un filence plein d'étonnement.

TOUT le peuple eft glacé de crainte. Idoménée tremblant n'ofe lui demander qu'il acheve. Telémaque même furpris comprend à peine ce qu'il vient d'entendre; à peine peut-il croire qu'il ait entendu ces hautes prédictions. Mentor eft le feul que l'efprit divin n'a point étonné. Vous entendez, dit-il à Idoménée, le deflein des Dieux. Contre quelque nation que vous ayez à combattre, la victoire fera dans vos mains, & vous de vrez au jeune fils de votre ami le bonheur de vos armes. N'en foyez point jaloux. Profitez feulement de ce que les Dieux vous donnent par lui.

IDOMENE'E n'étant pas encore revenu de fon étonnement, cherchoit en vain des paroles fa langue demeuroit immobile. Telémaque plus promt dit à Mentor: Tant de gloire promife ne me touche point; mais que peuvent donc fignifier ces dernieres paroles: tu reverrasə ... Eftce mon pere, ou feulement Ithaque? Helas! que n'a-t-il achevé! Il m'a laiffé plus en doute que je n'étois. O Ulyffe ! O mon pere, feroit-ce vousmême que je dois revoir? Seroit-il vrai? Mais je me flate; cruel Oracle, tu prends plaifir à te jouer d'un malheureux: encore une parole, & j'étois au comble du bonheur.

MENTOR lui dit: Refpectez ce que les Dieux découvrent, & n'entreprenez pas de découvrir ce qu'ils veulent cacher. Une curiofité témeraire merite d'être confondue. C'eft par une fagefle pleine de bonté que les Dieux cachent aux foibles hommes leurs deftinées dans une nuit impé nétrable. Il eft utile de prévoir ce qui dépend de nous pour le bien faire; mais il n'est pas moins utile d'ignorer ce qui ne dépend pas de nos foins, & ce que les Dieux veulent faire de nous.

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TELE

TELEMAQUE touché de ces paroles se retint avec beaucoup de peine. Idoménée, qui étoit revenu de fon étonnement, commença de fon côté à louer le grand Jupiter, qui lui avoit envoyé le jeune Telémaque & le fage Mentor, pour le rendre victorieux de fes ennemis. Après qu'on eut fait un magnifique repas, qui fuivit le facrifice, il parla ainfi aux deux Etrangers.

J'AVOUE que je ne connoiffois point encore aflez l'art de régner, quand je revins en Crete après le fiége de Troye. Vous favez, chers amis, les malheurs qui m'ont privé de régner dans cette grande ifle, puifque vous m'aflurez que vous y avez été depuis que j'en fuis parti. Encore trop heureux, fi les coups les plus cruels de la fortune ont fervi à m'inftruire & à me rendre plus moderé! Je traverfai les mers comme un fugitif, que la vengeance des Dieux & des hommes pourfuit. Toute ma grandeur paffée ne fervoit qu'à me rendre ma chute plus honteufe & plus infuportable. Je vins refugier mes Dieux ↳ Pénates • fur cette côte deferte, où je ne trouvai que des terres incultes couvertes de ronces & d'épines; des forêts auffi anciennes que la terre, des rochers prefque inacceffibles, où fe retiroient les bêtes farouches. Je fus réduit à me réjouïr de pofléder, avec un petit nombre de foldats & de compagnons, qui avoient bien voulu me fuivre dans mes malheurs, cette terre fauvage, & d'en faire ma patrie, ne pouvant plus efperer de revoir jamais.

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h Les Dieux Pénates, auffi nommés Dieux Lares, n'étoient que de petits marmoufets attachés en divers lieux de la maison. Les Païens les bonoroient comme leurs protecteurs domestiques & leur offroient du vin & de l'excens en facrifice.

• Enée dit à fon pere Anchife, avant que de fe fauver de Troye

Tu, genitor, cape facra manu, patriofque Penates.
Virg. Æn. 1. II. v. 717.

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cette ifle fortunée, où les Dieux m'avoient fait naître pour y régner. Helas! difois-je en moimême, quel changement! Quel exemple terrible ne fuis-je point pour les Rois! Il faudroit me montrer à tous ceux qui regnent dans le Monde, pour les inftruire par mon exemple. Ils s'imaginent n'avoir rien à craindre, à caufe de leur élévation au-deffus du refte des hommes. Hé! c'eft leur élévation même qui fait qu'ils ont tout à craindre. J'étois craint de mes ennemis, & aimé de mes Sujets. Je commandois à une nation puiffante & belliqueufe. La Renommée avoit porté mon nom dans les pays les plus éloignés. Je régnois dans une ifle fertile & delicieufe. Cent villes me donnoient chaque année un tribut de leurs richefles. Ces peuples me reconnoifloient pour être du fang de Jupiter né dans leur pays. Ils m'aimoient comme le petitfils du fage Minos, dont les loix les rendent fi puiffans & fi heureux. Que manquoit-il à mon bonheur, finon d'en favoir jouïr avec moderation? Mais mon orgueil & la flaterie que j'ai écoutée, ont renversé mon trône. Ainfi tomberont tous les Rois qui fe livreront à leurs defirs, & aux confeils des efprits flateurs. Pendant le jour je tâchois de montrer un vifage gai & plein d'efperance, pour foutenir le courage de ceux qui m'avoient fuivi. Faifons, léur difois-je, une nouvelle ville, qui nous confole de tout ce que nous avons perdu. Nous fommes environnés de peuples, qui nous ont donné un bel exemple pour cette entreprife. Nous voyons TarchK 4.

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i Il n'eft pas néceffaire de recourir aux tems fabuleux, pour trouver des exemples auffi frapans. Deux fois le trône de Denis le Jeune fut renverfé, & la Grece entiere vit ce Tiran vieillir à Corinthe dans ces voluptés infâmes, qui avoient été la cause de fa chute..

tek, qui s'éleve affez près de nous. C'eft Phalante, avec fes Lacédémoniens, qui á fondé ce nouveau Royaume. Philoctete donné le nom de Pétilie à une grande ville, qu'il bâtit fur la même côte. Métaponte eft encore une femblable colonie. Ferons-nous moins que tous ces Etrangers errans comme nous? La fortune ne nous eft pas plus rigoureuse.

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PENDANT que je tâchois d'adoucir par ces. paroles les peines de mes compagnons, je cachois au fond de mon coeur une douleur mortelle. C'étoit une confolation pour moi, que la lumiere: du jour me quitat, & que la nuit vînt m'enveloper de fes ombres, pour déplorer en liberté ma iniferable deftinée. Deux torrens de larmes aincres couloient de mes yeux, & le doux fommeil m'étoit inconnu. Le lendemain je recom-. mençois mes travaux avec une nouvelle ardeur. Voilà, Mentor, ce qui fait que vous m'avez trouvé fi vieilli.

APRES qu'Idoménée eut achevé de raconterfes peines, il demanda à Telémaque & à Mentor leurs fecours dans la guerre où il fe trouvoit engagé. Je vous renverrai, leur difoit-il, à Itha-. que dès que la guerre fera finic. Cependant je fe-. rai partir des vaiffeaux vers toutes les côtes les plus éloignées, pour aprendre des nouvelles d'Ulyffe. En quelque endroit des terres connues que

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Tarente, ville des Salentins dans la Province Meffapie, aujourd'hui ville Archiepifcopale d'Otrante, fur la côte meridio-. nale, dans le Royaume de Naples.

1 Philoctete, ami & compagnon d'Hercule, à qui il fit ju rer de ne découvrir à perfonne le lieu de fa fépulture, & à qui il fit prefent de les fleches teintes dans le fang de l'hidre de Lerne. in Pétilie, ille de la Grande Grece, à l'occident de Cro

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la tempête ou la colere de quelque Divinité l'ait jetté, je faurai bien l'en retirer. Plaise aux Dieux qu'il foit encore vivant! Pour vous, je vous renverrai avec les meilleurs vaifleaux, qui ont jamais été conftruits dans l'ifle de Crete. Ils font faits du bois coupé fur le veritable mont Ida, où Jupiter naquit. Ce bois facré ne fauroit perir dans les flots. Les vents & les rochers le craignent & le refpectent. Neptune même dans fon. plus grand couroux n'oferoit foulever les vagues: contre lui. Affurez-vous donc que vous retournerez heureusement à Ithaque fans peine, & qu'aucune Divinité ennemie ne poura plus vous faire errer fur tant de mers. Le trajet eft court & facile. Renvoyez le vaiffeau Phénicien qui vous a portés jufqu'ici, & ne fongez qu'à acqucrir la gloire d'établir le nouveau Royaume d'Ido-ménée, pour réparer tous fes malheurs. C'eft à ce prix, o fils d'Ulyffe, que vous ferez jugé digne. de votre pere. Quand inême les Deftinées rigoureufes l'auroient déja fait defcendre dans le fombre Royaume de Pluton, toute la Grece char-mée croira le revoir en vous.

A CES mots, Telémaque interrompit Ido-ménée. Renvoyons, dit-il, le vaiffeau Phénicien.. Que tardons-nous à prendre les armes pour attaquer vos ennemis? Ils font devenus les nôtres. Si nous avons été victorieux en combattant dans : la Sicile pour Acefte, Troyen & ennemi de la Grece, ne ferons-nous pas encore plus ardens

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Les Poëtes Grecs & Latins exaltent beaucoup la bonté & la beauté de ce bois: le cheval de Troye en fut conftruit, au raport de Pétrone:

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Delio profante, cæfi vertices
Ide trabuntur, fciffaque in molem cadunt
Robora, minacem quæ figurarent equum.

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