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203

LES

AVANTURES

D. E.

TELEMAQUE,

FILS D'ULYSSE.

Р.

LIVRE NE UVIE ME..

ENDANT que Telémaque & A-doam s'entretenoient de la forte, oubliant le fommeil, & n'apercevant pas que la nuit étoit déja au milieu de fa courfe, une Divinité ennemie & trompeufe les éloignoir d'Ithaque, que leur Pilote Athamas cherchoit en vain. Neptune, quoique favorable aux Phéniciens, ne pouvoit fuporter plus longtems que Telémaque eût échapé à la tempête, qui l'avoit jetté contre les rochers de l'ifle de Calypfo. Vénus étoit encore plus irritée de voir ce jeune homme qui triomphoit, aïant vaincu l'Amour & tous fes charmes. Dans le tranfport de fa douleur, elle quita Cythere, Paphos, Idalie,, &

tous

tous les honneurs qu'on lui rend dans l'ifle de Cypre. Elle ne pouvoit plus demeurer dans des lieux, où Telémaque avoit méprifé fon empire. Elle monte vers l'éclatant Olympe, où les Dieux étoient affemblés auprès du trône de Jupiter. * De ce lieu ils aperçoivent les aftres qui roulent fous leurs pieds. Ils voyent le globe de la terre comme un petit amas de boue. Les mers immenfes ne leur paroisent que eomme des goutes d'eau, dont ce monceau de boue eft un peu détrempé. Les plus grands Royaumes ne font à leurs yeux qu'un peu de fable qui couvre la furface de cette boue. Les peuples innombrables & les plus puifiantes armees ne ont que comme des fourmis, qui fe difputent les unes aux autres un brin d'herbe fur ce monceau de boue. Les Immortels rient des affaires les plus ferieufes qui agitent les foibles Humains, & elles leur paroiffent des jeux d'enfans. Ce que les hommes apellent grandeur, gloire, puifiance, profonde politique, ne paroît à ces fuprémes Divinités que mitere & foiblefle.

C'EST dans cette demeure fi élevée au-deffus de la terre, que Jupiter a pofé fon trône immobile. Ses yeux percent juiques dans l'abime, & éclairent jusques dans les derniers replis des cours. Ses regards doux + & fereins répandent le calme & la joie dans tout l'Univers. Au contraire, quand il fecoue fa chevelure, il ébranle le ciel

Jupiter æthere fummo

Defpiciens mare velivolum terrafque jacentes,

Littoraque & latos populos. Virg. Æn. 1. I. v. 223*
Vultu quo cœlum tempeftatefque ferenat.

Id. ib. v. 255.

Terrificam capitis concuffit terque quaterque

Cæfariem, cum qua terram, mare, fydera movit.
Ovid. Met. I. I. v. 179.

&

"H,

& la terre. Les Dieux mêmes, éblouïs des rayons de gloire qui l'environnent, ne s'en aprochent qu'avec tremblement.

TOUTES les Divinités celeftes étoient dans ce moment auprès de lui. Vénus fe prefenta avec tous les charmes qui naiflent dans fon fein. Sa robe flotante avoit plus d'éclat que toutes les couleurs dont Iris a fe pare au milieu des fombres nuages, quand elle vient promettre aux Mortels effrayés la fin des tempêtes, & leur annoncer le retour du beau tems. Sa robe étoit nouée par cette fameuse ceinture & fur laquelle paroifient les graces. * Les cheveux de la Déefle étoient attachés par derriere négligemment avec une trefle d'or. Tous les Dieux furent furpris de fa beauté, comme s'ils ne l'euffent jamais vue, & leurs yeux en furent éblouïs, comme ceux des Mortels le font, quand Phébus, après une longue nuit, vient les éclairer par fes rayons. Ils fe regardoient les uns les autres avec étonnement, &

leurs

Ἦ, καὶ κυανέησιν ἐπ ̓ ἐσούσι νεῦσε Κρονίων Αμβρόσιαι δ' άρα κεῖται ἐτεῤῥώσαντο άνακτα, Κρατὸς ἀπ' ἀθανάτοιο, μέγαν δ ̓ ἐλέλιξεν Ὄλυμπον, Homer. Il. 1. I. v. 528.

a Iris, fille de Thaumas & d'Electre, étoit la Meffagere des Dieux & furtout de Junon, comme Mercure étoit Meflager de Jupiter:

Ixim de cælo mifit Saturnia Juno.

2

Virg. Æn. i. V. v. 606. & 1. IX. v.2.

C'est l'arc-en-ciel chez les Poëtes.

Rien n'est plus beau. que la defcription qu'Homere en fait

en ces termes :

Η, καὶ ἀπὸ ςήθεσφιν ἐλύσα]ο κεςὸν ἱμάνα, Ποικίλον ἔνθα ἢ οἱ θελκτίρια πάντα τέτυκτο. Ἔνθ ̓ ἔνι με φιλότης, ἐν δ ̓ Ἵμερος, ἐν δ ̓ Οαeιςὺς, Πάρφασις, ἦτ ̓ ἔκλεψε νόον σύκα της φρονεόντων.

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II. 1. XIV. V. 214.
Crines nodantur in aurum.

Virg. Æn. 1. IV. v. 138.

leurs yeux revenoient toujours fur Vénus. Mais ils aperçurent que les yeux de cette Déeffe é-toient baignés de larmes, & qu'une douleur amere étoit peinte fur fon visage.

CEPENDANT elle s'avançoit vers le trône de Jupiter d'une démarche douce & légere, comme le vol rapide d'un oifeau qui fend l'efpace immenfe des airs. I la regarda avec complaifance; § il lui fit un doux fouris, & fe levant il l'embrafla. Ma chere fille, lui dit-il, quelle eft votre peine? Je ne puis voir vos larmes fans en être: touché: ne craignez point de m'ouvrir votre cœur ; vous connoiflez ma tendreffe & ma complaifance.

VENUS lui répondit d'une voix douce, mais entrecoupée de profonds foupirs: O pere des. Dieux & des hommes; vous qui voyez tout,. pouvez-vous ignorer ce qui fait ma peine? Minerve ne s'eft pas contentée d'avoir renversé jufqu'aux fondemens la fuperbe ville de Troye que je defendois, & de s'être vengée de a Paris, qui avoit preferé ma beauté à la fienne; elle conduit par toutes les terres & par toutes les mers le fils: d'Ulyffe, ce cruel destructeur de Troye. Telé

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Lacrymis oculos fuffufa nitentes.
Virg. Æn. 1. I. v. 228.

maque

† Σεύατ ̓ ἔπειτ ̓ ἐπὶ κῦμα, λάρῳ ὄρνιθι ἐοικώς.

Homer. Odyfi. 1. V. v. 51..

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Olli fubridens hominum fator atque Deorum,· Ofcula libavit natæ. Virg. Æn. v. 254. & 256. a La Difcorde aïant jetté une pomme d'or au milieu de la compagnie affemblée aux noces de Pelée de Thétis, & cette pomme, felon Pinfcription qu'elle portoit, devant être adjugée à la plus belle, Junon, Pallas & Vénus fe la difputerent, & prirent Paris pour juge de leur differend. Celui-ci, féduit par les attraits de Vénus, décida en fa faveur, ce qui lui attira la baine des deux autres Déeffes.

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Manet alta mente repoftum
Judicium Paridis, fpretæque injuria forme.
Virg. Æn. l. I. v 26.

maque eft accompagné par Minerve; c'eft ce qui empêche qu'elle ne paroiffe ici en fon rang avec les autres Divinités. Elle a conduit ce jeune témeraire dans l'ifle de Cypre pour m'outrager. Il a méprisé ma puiffance. Il n'a pas daigné feulement brûler de l'encens fur mes autels; il a témoigné avoir horreur des fêtes que l'on celebre en mon honneur; il a fermé fon cœur à tous mes plaifirs. En vain Neptune, pour le punir à ma priere, a irrité les vents & les flots contre lui. Telémaque, jetté par un naufrage horrible dans l'ifle de Calypfo, à triomphé de l'Amour même que j'avois envoyé dans cette ifle, pour attendrir le cœur de ce jeune Grec. Ni la jeuneffe, ni les charmes de Calypfo & de fes Nymphes, ni les traits enflâmés de l'Amour n'ont pu furmonter les artifices de Minerve. Elle l'a arraché de cette ifle. Me voilà confondue. Un enfant triomphe de moi.

JUPITER, pour confoler Vénus, lui dit: Il eft vrai, ma fille, que Minerve defend le cœur de ce jeune Grec contre toutes les fleches de votre fils, & qu'elle lui prépare une gloire que jamais jeune homme n'a meritée. Je fuis fâché qu'il ait méprifé vos autels; mais je ne puis le foumettre à votre puiffance. Je confens, pour l'amour de vous, qu'il foit encore errant par mer & par terre, qu'il vive loin de fa patrie, expofé à toutes fortes de maux & de dangers: mais les Destins ne permettent ni qu'il periffe, ni que fa vertu fuccombe dans les plaifirs dont vous flatez les hommes. Confolez-vous donc, ma fille; foyez contente de tenir dans votre empire tant d'au tres Heros & tant d'Immortels.

EN difant ces paroles, il fit à Vénus un fouris plein de grace & de majefté. Un éclat de lumiere, femblable aux plus perçans éclairs, for

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