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dans le cœur de Baléazar la même defiance & les mêmes foupçons, qu'elle avoit vus dans celui du Roi fon pere. Mais Baléazar, ne pouvant plus fouffrir la noire malignité de cette femme, l'interrompit & apella des Gardes. On la mit en prifon. Les plus fages vieillards furent commis pour examiner toutes fes actions.

On découvrit avec horreur qu'elle avoit em-poisonné & étouffé Pygmalion. Toute la fuite de fa vie parut un enchainement continuel de crimes monftrueux. On alloit la condamner au. fuplice qui eft destiné à punir les plus grands crimes dans la Phénicie: c'eft d'être brûlé à petit feu. Mais quand elle comprit qu'il ne lui reftoit plus aucune efperance, elle devint femblable à une Furie fortie de l'enfer. Elle avala du poison qu'elle portoit toujours fur elle pour fe faire mourir, en cas qu'on voulût lui faire fouffrir de longs tourmens. Ceux qui la gardoient aperçurent qu'elle fouffroit une violente douleur. Ils voulurent la fecourir; mais elle ne voulut jamais leur répondre, & elle fit figne qu'elle ne vouloit aucun foulagement. On lui parla des juftes Dieux qu'elle avoit irrités. Au lieu de témoigner la confufion & le repentir que fes fautes. meritoient, elle regarda le ciel avec mépris & arrogance, comme pour infulter aux Dieux.

LA rage & l'impiété étoient peintes fur fon vifage mourant. On ne voyoit plus aucun refte de cette beauté qui avoit fait le malheur de tant d'hommes. Toutes fes graces étoient effacées. Ses yeux éteints rouloient dans fa tête, & jettoient des regards farouches. Un mouvement convulfif agitoit fes levres, & tenoit fa bouche ouverte d'une horrible grandeur. Tout fon vifage tiré & retréci faifoit des grimaces hideufes. Une pâleur livide & une froideur mortelle avoit

faifi tout fon corps*. Quelquefois elle fembloit fe ranimer, mais ce n'étoit que pour pouffer des hurlemens. Enfin elle expira, laiflant remplis d'horreur & d'effroi tous ceux qui la virent. Ses mânes impies defcendirent fans doute dans ces triftes lieux, où les cruelles & Danaïdes puifent éternellement de l'eau dans des vafes percés; où • Ixion? tourne à jamais fa roue; ouf Tantale brûlant de foif ne peut avaler l'eau qui s'enfuit de fes levres; où & Sifyphe roule inutilement un rocher

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Frigufque per ungues

Labitur, & pallent amiffo fanguine venæ

Ovid. Met. 1. II. v. 824.

d Les Danaïdes étoient cinquante filles de Danaus, Roi d'Argos, mariées à autant de fils d'Egiftbus leurs coufins, qui tuerent leurs maris en une nuit, excepté Hipermneftre qui sauva Lyncée. Les Poëtes feignent que dans les enfers ellès travailLent fans ceffe à remplir d'eau des tonneaux percés. Audiat Lyde fcelus atque notas Virginum panas, & inane lympha

Dolium fundo pereuntis imo. Hor. I. III. od. 11.

Ixion, fils de Phlegias Roi de Theffalie, voulant jouir de Junon, embraja une nuée que Jupiter avoit formée pour le tromper, d'où naquirent les Centaures. Il fut enfuite précipité dans les enfers, où l'on feint qu'il tourne fans ceffe une roue. Illic Junonem tentare Ixionis aufi

Verfantur celeri noxia membra rotâ. Tibul. 1. I. eleg. 3. f Tantale, fils de Jupiter & de la Nymphe Flore, aïant préparé un feftin aux Dieux, voulut éprouver leur divinité. Pour cela il leur fit fervir un plat rempli des membres de fon fils Pelops qu'il avoit coupé en pieces. Jupiter aïant reconnu ce crime, foudroya Tantale & le précipita dans les enfers, où. Pon feint qu'il foufre une faim & une foif éternelle.

Quærit aquas in aquis & poma fugacia captat
Tantalus. Ovid. I. II. Amor. eleg. 2.

Tantalus eft illic & circum ftagna, fed acrem

Fam jam poturo deferit unda fitim. Tibul. 1. I. eleg. 3. Voy. auffi Homere, Ody. 1. XI.

Sifyphe, fils d'Eole, faifoit le métier de voleur dans l'At-' tique, où il fut tué par Thefée. La fable lui fait rouler dans les enfers un gros caillou, du pié d'une montagne jufqu'au baut, d'où il retombe fans ceffe.

Sifyphus eft illic faxum volvenfque petenfque:

Ovid. in Ibin, v. 175. Voy. auffi Homere, Odyff, 1. XI.

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rocher qui retombe fans ceffe; & où Titye fentira éternellement dans fes entrailles toujours renaiflantes un vautour qui les ronge*.

BALEAZAR, delivré de ce monftre, rendit graces aux Dieux par d'innombrables facrifices. Il a commencé fon regne par une conduite toute opofée à celle de Pygmalion. Il s'eit apliqué à faire refleurir le commerce, qui languiffoit tous les jours de plus en plus. Il a pris les confeils de Narbal pour les principales affaires, & n'eft pourtant pas gouverné par lui; car il veut tout voir par lui-même. Il écoute tous les differens avis qu'on veut lui donner, & décide enfuite fur ce qui lui paroît le meilleur. Il ett aimé des peuples. En poflédant les cœurs, il poffede plus de trefors que fon pere n'en avoit amaffés par fon avarice cruelle; car il n'y a aucune famille qui ne lui donnat tout ce qu'elle a de

h Titye, fils de Jupiter & d'Elara, aiant voulu forcer Latone, fut tué par Apollon à coups de fleches & précipité dans les enfers, où un vautour lui ronge le cœur qui renaît fans ceffe.

Nec non & Tityon terræ omnipotentis alumnum
Cernere erat, per tota novem cui jugera corpus
Porrigitur; roftroque immanis vultur obunce
Immortale jecur tundens, foecundaque poenis
Vifcera: rimaturque epulis, babitatque fub alto
Pettore: nec fibris requies datur ulla renatis.'
1 Virg. Æn. 1. VI. v. 595.
Porrectus novem Tityus per jugera terræ,
Affiduas atro vifcera pafcit aves.

Voy. auffi Homere, Ody. 1. X1.

Tibul. 1. I. eleg. 3.

* Ovide a renfermé tous ces differens fuplices dans les vers fuivans, que notre Auteur a imités:

Vifcera præbebat Tityus lanianda novemque
Jugeribus diftra&tus erat. Tibi, Tantale, nullæ
Deprenduntur aquæ, quæque imminet, effugit arbor.
Aut petis aut urges ruiturum, Sifyphe, faxum.
Volvitur Ixion, & fe fequiturque fugitque :
Molirique fuis lethum patruelibus aufæ,
Affiduè repetunt, quas perdunt, Belides, undas:
Ovid. Met. I. IV. v. 457-

de bien, s'il fe trouvoit dans une preffante néceffité. Ainfi ce qu'il leur laifle eft plus à lui que s'il le leur ôtoit. Il n'a pas befoin de fe précautionner pour la fureté de fa vie, car il a toujours autour de lui la plus fure garde, qui eft l'amour des peuples. Il n'y a aucun de fes Sujets qui ne craigne de le perdre, & qui ne hafardat fa propre vie pour conferver celle d'un fi bon Roi. Il vit heureux, & tout fon peuple est heureux avec lui. Il craint de charger trop fes peuples; fes peuples craignent de ne lui offrir pas une af fez grande partie de leurs biens. Il les laifle dans l'abondance, & cette abondance ne les rend ni indociles, ni infolens; car ils font laborieux, adonnés au commerce, fermes à conferver la pureté des anciennes loix. La Phénicie eft remontée au plus haut point de fa grandeur & de fa gloire. C'est à fon jeune Roi qu'elle doit tant de profperités.

NARBAL gouverne fous lui. O Telémaque, s'il vous voyoit maintenant, avec quelle joie vous combleroit-il de prefens? Quel plaifir feroit-ce pour lui de vous renvoyer magnifiquement dans votre patrie? Ne fuis-je pas heureux de faire ce qu'il voudroit pouvoir faire lui-même, & d'aller dans l'ifle d'Ithaque mettre fur le trône le fils d'Ulyffe, afin qu'il y regne aufli fagement que Baléazar regne à Tyr.

APRES qu'Adoam eut ainfi parlé, Telémaque charmé de l'hiftoire que ce Phénicien venoit de raconter, & plus encore des marques d'amitié qu'il en recevoit dans fon malheur, l'embraffa tendrement. Enfuite Adoam lui demanda par quelle avanture il étoit entré dans l'ifle de Calypfo. Telémaque lui fit à fon tour l'hiftoire de fon départ de Tyr; de fon paffage dans l'ifle de Cypre; de la maniere dont il avoit retrouvé.

Mentor;

Mentor; de leur voyage en Crete; des Jeux publics pour l'élection d'un Roi après la fuite d'Idoménéé; de la colere de Vénus; de leur naufrage; du plaifir avec lequel Calypfo les avoit reçus; de la jaloufie de cette Déeffe contre une de fes Nymphes, & de l'action de Mentor qui avoit jetté fon ami dans la mer, dès qu'il vit le vaiffeau Phénicien.

APRES ces entretiens, Adoam fit fervir un magnifique repas, & pour témoigner une plus grande joie, il raffembla tous les plaifirs dont on pouvoit jouïr. Pendant le repas, qui fut fervi par de jeunes Phéniciens, vétus de blanc & couronnés de fleurs, on brûla les plus exquis parfums de l'Orient. Tous les bancs des rameurs étoient pleins de joueurs de flûtes. Achitoas les interrompoit de tems en tems par les doux accords de fa voix & de fa lyre, dignes d'être entendues à la table des Dieux, & de ravir les oreilles d'Apollon même. Les Tritons, les Nereïdes, toutes les Divinités qui obéïffent à Neptune, les monftres marins mêmes fortoient de leurs grotes humides & profondes, pour venir en foule autour du vaiffeau, charmés par cette melodie. Une troupe de jeunes Phéniciens d'une rare beauté, & vétus de fin lin plus blanc que la neige, danferent longtems les danfes de leur pays, puis celles d'Egypte, & enfin celles de la Grece. De tems en tems des trompettes faifoient retentir l'onde jufqu'aux rivages éloignés. Le filence de la nuit,

x Filles de Nerée & de Doris :

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Placidifque natant Nereïdes undis.

Ovid. Met. 1. XIII. v. 900.

Suivant Properce elles étoient au nombre de cent:
O centum æquorea, Nereo genitore, puellæ.
1. III. eleg. 5.

le

Mais Hefiode n'en compte que cinquante, dont il raportè tous les noms. Theog.

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