Imágenes de página
PDF
ePub

état * immortel. Mais l'aveugle paffion de retourner dans fa miferable patrie, lui fit rejetter tous ces avantages k. Vous voyez tout ce qu'il a perdu pour 1thaque qu'il n'a pu revoir. Il voulut me quiter; il partit, & je fus vengée par la tempête. Son vaiffeau, après avoir été longtems le jouet des vents, fut enfeveli dans les ondes. Profitez d'un fi trifte exemple. Après fon naufrage vous n'avez plus rien à efperer, ni pour le revoir, ni pour régner jamais dans l'ifle d'Ithaque après lui, Confolez-vous de l'avoir perdu, puifque vous trouvez une Divinité prête à vous rendre heureux, & un Royaume qu'elle vous offre. La Déesse ajouta à ces paroles de longs difcours, pour montrer combien Ulyffe avoit été heureux auprès d'elle. Elle raconta fes avantures dans la caverne du Cyclope Polyphême

&

* Τὸν μὲ ἐγὼ φίλεόν τε καὶ ἔτρεφον, ἠδὲ ἔφασκον Θήσειν αθάνατον. Homer. Odyff. 1.-V.v. 135. Ulyffe ne trouvoit rien qui fût preferable à fa patrie, & c'est ce qu'Homere lui fait dire à lui-même:

is

Ως ἐδὲν γλυκίον ἧς πατείδα ἐδὲ τοκήων
Five. Ody. 1. IX. v. 34. I

[ocr errors]

Cependant l'épithete que notre Auteur donne ici à sa patrie lui convient parfaitement bien. Voy. ci-deffous la note ».

k La caufe de fon impatience étoit fon amour pour sa femme Penelope, dont l'image l'occupoit nuit jour. Il l'aimoit fi tendrement, qu'il contrefit l'infenfé, pour ne pas aller au fiége de Troyes mais fa rufe fut découverte.

Ifle de la mer Ionienne, près de Céphalonie. On l'apelle aujourd'hui Ifola del Compare, ou Val di Compare. Son nom d'Ithaque vient du mot Hébreux atbac, qui veut dire dur & fauvage. Voy. Sam. Bochart, Chan. 1. I. c. 23. Cette étimologic s'accorde avec ce qu'en difent les Anciens, & particulierement Homere, Ody. 1. XIII. où l'on peut voir la defcription qu'il en fait.

[ocr errors]
[ocr errors]

• Horace a tout renfermé dans ces vers de fon Art Poëtique ; Ut fpeciofa dehinc miracula promat, Antiphatem, Circemque, & cum Cyclope Charybdin, v. 144 Car c'eft ainfi qu'il faut lire felon le D. B.

in & chez Antiphates Roi des Leftrigons". Elle n'oublia pas ce qui lui étoit arrivé dans l'ifle de Circé, fille du Soleil, & les dangers qu'il avoit courus entre Scylle & Charybde P. Elle reprefenta la derniere tempête que Neptune avoit ex-citée contre lui, quand il partit d'auprès d'elle. Elle voulut faire entendre qu'il étoit peri dans ce naufrage, & elle fuprima fon arrivée dans l'ifle des Phéaciens 9..

TELE

On peut voir dans le IX. Lire de l'Odyffee la defcription de cette caverne, qui étoit dans la Sicile: comment Ulyffe fes compagnons s'y trouverent enfermés de quelle maniere ils creverent l'œil au Géant Polypheme, après avoir lié fes forces. par le vin; G comment ils en fortirent, en fe liant eux-mêmes Tous le ventre des plus forts beliers de fon troupeau. Voy. ci-après : fur les Cyclopes la Note

n. Les Leftrigons faifoient leur demeure dans la ville de Lamus,, anciennement Formies, fur la côte de la Campanie ; on croit qu'ils avoient auparavant babité la Sicile. Leur nom vient du mot Punique Lais tircon, leo mordax, felen Sam. Bochart, Chan. 1. 1. c. 30. Ulyffe perdit chez eux quelques-uns de fes compagnons,. qui furent dévorés par ces peuples. Homer, Odyff. Liv. X.

• L'ifle de Circé s'apelloit a, ou Circeï, qui eft une montagne fort voifine de Formies. Homere l'apelle une ifle, parce que· la mer les marais qui l'environnent en font une prefqu'ifle. Les compagnons d'Ulyffey furent changés en pourceaux. Id. Ibid.

P. Scylle Charybde font deux roches placées à l'entrée du Dé troit de la Sicile, du côté de Pelore: la premiere fur la côte d'Ita lie, & la feconde fur celle de Sicile. C'étoient anciennement des écueils fort dangereux, à cause de la qualité des vaiffeaux qu'on avoit alors, mais on s'en mocque aujourd'hui que la navigation eft beaucoup plus perfectionnée. “Ulysse y perdit encore fix de fes com pagnons. Id. XII.

à Voyez-en la defcription dans Homere, Ody 1. V..

On en trouvera le détail dans le même livre & dans le fuivant.

13

L'ifle des Phéaciens eft Corcyre ou Corfou, apellée ancienne ment Scherie. Elle eft vis-à-vis du continent d'Epire. Les Pheniciens l'avoient nommée Scherie, de Schara, qui fignifie lieu de Dégoce.TM

TELEMAQUE, qui s'étoit d'abord abandon né trop promptement à la joie d'être fi bien traité de Calypfo, reconnut enfin fon artifice, & la fageffe des confeils que Mentor venoit de lui donner. Il répondit en peu de mots: O Déeffe, pardonnez à ma douleur. Maintenant je ne puis que m'affliger. Peut-être que dans la fuite j'aurai plus de force pour goûter la fortune que vous m'offrez. Laiffez-moi en ce moment pleu-rer mon pere. Vous favez mieux que moi combien il merite d'être pleuré.

CALYPSO n'ofa d'abord le preffer davantage. Elle feignit même d'entrer dans fa douleur & de s'attendrir pour Ulyffe. Mais pour mieux con-. noître les moyens de toucher le cœur du jeune homme, elle lui demanda comment il avoit fait naufrage, & par quelles avantures il étoit fur fes côtes. Le récit de mes malheurs, dit-il, feroit trop long. Non, non, répondit-elle, il me tarde de les favoir; hâtez-vous de me les raconter. Elle le preffa longtems. Enfin il ne put lui refifter, & il parla ainfi ;

J'ETOIS parti d'Ithaque pour aller demander aux autres Rois, revenus du fiége de Troye, des nouvelles de mon pere. Les amans de ma mere Pénelope furent furpris de mon départ. J'avois pris foin de le leur cacher, connoiffant leur perfidie. Neftor, que je vis à Pylos,.ni Ménelas', qui

L'extrême beauté de Penelope avoit attiré auprès d'elle plufieurs Princes, qui prétendoient l'époufer, croyant Ulyffe mort.

s Neftor, fils de Nelée & de Chloride, fut un des Rois qui allerent au fiége de Troye; il y mena une flote de 90. vaiffeaux. ℗ Voy,, Homere 1. III. de l'Odyss

Pylos, cù Neftor régnoit, eft fituée dans la Morée: on Tapelle aujourd'hui Navarino.

T

Menelas étoit fils d'Atrée & d'Erope: il avoit épousé Helene, fille de Jupiter & de Léda, dont l'enlevement fut caufe de la guerre de Troye

T

[ocr errors]

qui me reçut avec amitié dans Lacédémone, ne purent m'aprendre fi mon pere étoit encore en vie. Laflé de vivre toujours en fufpens & dans l'incertitude, je me refolus d'aller dans la Sicile, où j'avois ouï dire que mon pere avoit été jetté par les vents. Mais le fage Mentor, que vous voyez ici prefent, s'opofoit à ce témeraire deffein. Il me reprefentoit d'un côté les Cyclopes, Géans monftrueux qui dévorent les hommes; de l'autre la flote d'Enée x & des Troyens qui étoient fur ces côtes. Ces Troyens, difoit-il, font animés contre tous les Grecs: mais furtout ils répandroient avec plaifir le fang du fils d'Ulyffe. Retournez, continuoit-il, en Ithaque; peut-être que votre pere, aimé des Dieux, y fe ra auffi-tôt que vous. Mais fi les Dieux ont refolu fa perte; s'il ne doit jamais revoir fa patrie, du moins il faut que vous alliez le venger, delivrer votre mere, montrer votre fageffe à tous les peuples, & faire voir en vous à toute la Grece un Roi auffi digne de régner, que le fut jamais Ulyffe lui-même. Ces paroles étoient falutaires:

Voy. Homere 1. IV. de l'Ody

mais

Ou Sparte, ancienne ville du Peloponefe, nommé à prefent la Morée. Elle s'apelle aujourd'hui Mifftra. C'eft le terme des voyages de, Telémaque dans l'Ody. 1. XV: Tous ceux qui fuivent, font de l'invention de l'Auteur.

Premiers habitans de la Sicile. Ils demeuroient aux environs de mont Etna; & c'eft ce qui a donné occafion aux Poëtes de les faire forgerons des Dieux. Hefiode dit qu'ils ont été nommés ainfi, parcequ'ils n'avoient qu'un œil au milieu du front:

Κύκλωπες δ ̓ ὄνομ ̓ ἦσαν ἐπώνυμον, ἕνεκ ̓ ἄρα σφέων Κυκλοτερής ὀφθαλμὸς ἕεις ἐνέκειτο μετώπῳ.

Mais Sam. Bochart derive leur nom du mot Phénicien Chek lub, Sinus ad Libyam.

"

x Fils d'Anchise & de Vénus, affez connu par le poëme de Virgile qui porte fon nom, & pour avoit jetté les premiers fondemens de l'Empire Romain..

mais je n'étois pas affez prudent pour les écouter.. Je n'écoutai que ma paffion. Le fage Mentor m'aima jufqu'à me fuivre dans un voyage témeraire, que j'entreprenois contre fes confeils; & les Dieux permirent que je fifle une faute, qui devoit fervir à me corriger de ma prefomption.

PENDANT que Telémaque parloit ainfi, Calypfo regardoit Mentor. Elle étoit étonnée: elle croyoit fentir en lui quelque chofe de divin; mais elle ne pouvoit démêler fes penfées confufes. Ainfi elle demeuroit pleine de crainte & de defiance à la vue de cet inconnu. Alors elle apréhenda de laifler voir fon trouble. Continuez, dit-elle à Telémaque, & fatisfaites ma curiofité. Telémaque reprit ainfi :

Nous eumes affez longtems un vent favorable pour aller en Sicile; mais enfuite une noire tempête deroba le ciel à nos yeux, & nous fûmes envelopés dans une profonde nuit. A la lueur des éclairs nous aperçûmes d'autres vaiffeaux expofés au même peril, & nous reconnûmes bientôt que c'étoient les vaiffeaux d'Enée. Ils n'étoient pas moins à craindre pour nous que les rochers. Alors je compris, mais trop tard, ce que l'ardeur d'une jeuneffe imprudente m'avoit empéché de confiderer attentivement. Mentor parut dans ce danger non feulement ferme & intrépide, mais encore plus gai qu'à l'ordinaire. C'étoit lui qui m'encourageoit. Je fentois qu'il

m'in

Les hommes ne fe corrigent gueres que par leurs propres fau tes; il en eft peu qui ayent l'art de mettre à profit celles d'autrui. Le Heros parfait n'eft que dans nos Romans medernes : notre Au teur dépeint le fien d'après le goût de l'antiquité; il lui donne les foibles de fon âge.

• Eripiunt fubitò nubes cœlumque diemque

Teucrorum ex oculis ponto nos incubat atra,
Intonuere poli, & crebris micat ignibus æther.
Virg. Æn. l. I. v. 88,

« AnteriorContinuar »