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VENONS maintenant au Roi pacifique: Il eft vrai qu'il n'est pas propre à de grandes conquêtes; c'eft-à-dire, qu'il n'eft pas né pour troubler le repos de fon peuple, en voulant vaincre les autres peuples que la juftice ne lui a pas foumis; mais s'il eft veritablement propre à gouverner en paix, il a toutes les qualités néceffaires pour mettre fon peuple en fureté contre fes ennemis. Voici comment: Il eft jufte, moderé & commode à l'égard de fes voifins: il n'entreprend jamais contre eux rien qui puiffe troubler la paix; il eft fidele dans fes alliances. Ses Alliés l'aiment, ne le craignent point, & ont une entiere confiance en lui. S'il a quelque voifin inquiet, hautain & ambitieux, tous les autres Rois voifins, qui craignent ce voifin inquiet & qui n'ont aucune jaloufie du Roi pacifique, fe joignent à ce bon Roi pour l'empêcher d'être oprimé. Sa probité, fa bonne foi, fa moderation le rendent l'arbitre de tous les Etats qui environnent le fien. Pendant que le Roi entreprenant eft odieux à tous les autres, & fans ceffe expofé à leurs ligues, celui-ci a la gloire d'être comme le pere & le tuteur de tous les autres Rois. Voilà les avantages qu'il a au-dehors. Ceux dont il jouït au-dedans font encore plus folides. Puifqu'il eft propre à gouverner en paix, je fupofe qu'il gouverne par les plus fages loix. Il retranche le fafte, la molefle & tous les arts qui ne fervent qu'à flater les vices. Il fait fleurir les autres arts qui font utiles aux veritables befoins de la vie; furtout il aplique fes Sujets à l'agriculture. Par là il les met dans l'abondance des chofes néceffaires. Ce peuple laborieux, fimple dans fes mœurs, accoutumé à vivre de peu, gagnant facilement fa vie par la F 3

culture

culture de fes terres, fe multiplie à l'infini. Voilà dans ce Royaume un peuple innombrable; mais un peuple fain, vigoureux, robufte, qui n'eft point amoli par les voluptés, qui eft exercé par la vertu, qui n'est point attaché aux douceurs d'une vie lache & delicieufe, qui fait méprifer la mort, qui aimeroit mieux mourir que de perdre cette liberté qu'il goûte fous un fage Roi, apliqué à ne régner que pour faire régner la raifon. Qu'un conquerant voifin attaque ce peuple, il ne le trouvera, peut-être pas affez ac-. coutumé à camper, à fe ranger en bataille, ou à dreffer des machines pour affiéger une ville: mais il le trouvera invincible par fa multitude, par fon courage, par fa patience dans les fatigues, par fon habitude de fouffrir la pauvreté, par fa vigueur dans les combats, & par une vertu que les mauvais fuccès même ne peuvent abattre. D'ailleurs, fi ce Roi n'est pas aflez experimenté pour commander lui-même fes armées, il les fera commander par des gens qui en feront capables, & il faura s'en fervir fans perdre fon autorité. Cependant il tirera du fecours de fes Alliés. Ses Sujets aimeront mieux mourir que de paffer fous la domination d'un autre Roi violent & injufte : les Dieux mêmes combattront pour lui. Voyez quelle reffource il aura au milieu des plus grands perils. Je conclus donc que le Roi pacifique, qui ignore la guerre, eft un Roi très imparfait, puifqu'il ne fait pas remplir une de fes plus grandes fonctions, qui eft devaincre fes ennemis; mais j'ajoute qu'il est néan-moins infiniment fuperieur au Roi conquerant, qui manque des qualités néceffaires dans la paix, & qui n'eft propre qu'à la guerre.

J'APERÇUS dans l'aflemblée beaucoup de gens qui ne pouvoient goûter cet avis; car la

plupart

plupart des hommes h, éblouïs par les chofes éclatantes, comme les victoires & les conquêtes, les preferent à ce qui eft fimple, tranquile & folide, comme la paix & la bonne police des peuples. Mais tous les vieillards déclarerent que j'avois parlé comme Minos.

LE premier de ces vieillards s'écria: Je vois l'accompliflement d'un oracle d'Apollon connu dans toute notre ifle. Minos avoit confulté ce Dieu, pour favoir combien de tems fa race régneroit fuivant les loix qu'il venoit d'établir. Le Dieu lui répondit: Les tiens cefferont de régner, quand un Etranger entrera dans ton ifle pour y faire régner tes loix. Nous avons craint que quelque Etranger viendroit faire la conquête de l'iile de Crete; mais le malheur d'Idoménée & la fagefle du fils d'Ulyffe, qui entend mieux que nul autre Mortel les loix de Minos, nous . montrent le fens de l'oracle. Que tardons-nous à couronner celui que les Deftins nous donnent pour Roi?

h Les peuples, dit Guichardin, accuferent Ferdinand d’avarice, parcequ'ils font affez aveugles pour preferer le fafte & la prodigalité d'un Roi qui les oprime, à la fage économie de celui qui ménage leur fubftance.

Fin du cinquieme Livre,

SOM

F 4

128

SOMMAIRE

T

DU

LIVRE SIXIE M E.

Elémaque raconte qu'il refufa la Royauté de Crete pour retourner en Ithaque ; qu'il propofa d'élire Mentor, qui refufa auffi le diadême: qu'enfin l'affemblée preffant Mentor de choisir pour toute la nation, il leur avoit expofé ce qu'il venoit d'aprendre des vertus d'Aristodême, qui fut proclamé Roi au même moment; qu'enfuite Mentor & lui s'étoient embarqués pour aller en Ithaque mais que Neptune, pour confoler Vénus irritée, leur avoit fait faire le naufrage, après lequel la Déeffe Calypfo venoit de les recevoir dans fon ifle,

LES

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LIVRE SIXIE ME.

USSITOT les vieillards fortirent de l'enceinte du bois facré, & le premier me prenant par la main, annonça au peuple, déja impatient dans l'attente d'une décifion, que j'avois remporté le prix. A peine acheva-t-il de parler, qu'on entendit un bruit confus de toute l'affemblée. Chacun pouffà des cris de joie. Tout le rivage & toutes les montagnes voifines retentirent de ce cri: QUE LE FILS D'ULYSSE, SEMBLABLE A'MINOS, REGNE SUR LES CRETOIS.

J'ATTENDIS un moment, & je faifois figne de la main pour demander qu'on m'écoutat. Cependant Mentor me difoit à l'oreille: RenoncezE 5

Vous

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