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prix la Royauté à celui qu'on jugera vainqueur de tous les autres, & pour l'efprit & pour le corps. On veut un Roi dont le corps foit fort & adroit, & dont l'ame foit ornée de la fagcffe & de la vertu. On apelle ici tous les Etran

gers.

APRES nous avoir raconté toute cette histoire étonnante, Nauficrate nous dit: Hâtez-vous donc, o Etrangers, de venir dans notre affemblée. Vous combattrez avec les autres; & fi les Dieux. destinent la victoire à l'un de vous, il régnera en ce pays. Nous le fuivimes fans aucun defir de vaincre, mais par la feule curiofité de voir une chofe fi extrordinaire.

Nous arrivames à une efpece de Cirque très vafte *, environné d'une épaifle forêt. Le milieu du Cirque étoit une arene préparée pour les combatans: elle étoit bordée par un grand amphithéatre d'un gafon frais, fur lequel étoit affis & rangé un peuple innombrable. Quand nous arrivames, on nous reçut avec honneur; car les Crétois font les peuples du Monde qui exercent le plus noblement & avec le plus de religion l'hofpitalité. On nous fit affeoir, & on nous invita à combattre. Mentor s'en excufa fur fon âge, & Hazaël fur fa foible fanté. Ma jeuneffe & ma vigueur m'ôtoient toute excufe: je jettai néanmoins un coup d'œil fur Mentor, pour découvrir fa penfée, & j'aperçus qu'il fouhaitoit que je combattiffe. J'acceptai donc l'offre qu'on me faifoit: je me dépouillai de mes habits. On fit couler des flots d'huile + douce & luifante fur tous les membres de mon corps, &

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Quem collibus undique curvis

Cingebant fylva; medinque in valle theatri
Circus erat. Virg. Æn. 1. V. v. 287.

Nudatofque humeros oleo perfufa nitescit. Id. ib. v. 135.

je

je me mêlai parmi les combattans. On dit de tous côtés que c'étoit le fils d'Ulyffe, qui étoit venu pour tâcher de remporter le prix ; & plufieurs Crétois, qui avoient été à Ithaque pendant mon enfance, me reconnurent.

LE premier combat fut celui de la lutte. Un Rhodien, d'environ trente-cinq ans, furmonta tous les autres qui oferent fe prefenter à lui. Ir étoit encore dans toute la vigueur de la jeunesse; fes bras étoient nerveux & bien nouris: au moindre mouvement qu'il faifoit, on voyoit tous fes mufcles; il étoit également fouple & fort. Je ne lui parus pas digne d'être vaincu ; & regardant avec pitié ma tendre jeunefle, iľ voulut fe retirer; mais je me prefentai à lui..

Alors nous nous faifimes l'un l'autre; nous nous ferrames à perdre la refpiration. Nous étionsépaule contre épaule, ‡ pied contre pied, tous les nerfs tendus & les bras entrelaffés comme des ferpens; chacun s'efforçant d'enlever de terre. fon ennemi. Tantôt il cflayoit de me furprendre en me pouffant du côté droit; tantôt il s'efforçoit de me pancher du côté gauche. Pendant. qu'il

De l'ifle de Rhodes, dans la mer Méditerranée. Cette ifle. a eu anciennement divers noms. Celui de Rhodes lui a été donné du mot grec, pódor, rofe, parcequ'il y croiffoit beaucoup de rofes. Sam. Bochart, Phal. I. III. c. 6. Homere la partage. en trois provinces:

Οἱ Ῥόδον ἀμφενέμοντο διατειχα κοσμηθέντες,
Λίνδον, Ἰηλυσσον τε, καὶ αργινόεντα Κάμερον.
Il. 1. II. v. 655.
Oftenditque bumeros latos, alternaque jactat
Brachia protendens. Virg. Æn. 1. V. v. 376.
† Αγκὰς δ ̓ ἀλλήλων λαβέτην χερσὶ ςιβαρῆσιν.

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Homer. II. XIII. v. 711.

Hæret pede pes denfufque viro vir.

Virg. Æn. 1. X. v. 361.

Ovid. Met. 1. IX. v. 44d

Cum pede pes junctus, totoque ego corpore pronus
Et digitos digitis, & frontem fronte premebam..

qu'il me tâtoit ainfi, je le pouffai avec tant de violence, que fes reins plierent: il tomba fur l'arene, & m'entraina fur lui. En vain il tâcha de me mettre deffous; je le tins immobile fous moi. Tout le peuple cria: Victoire au fils d'Ulyffe; & j'aidai au Rhodien confus à fe rele

yer.

LE combat du cefte fut plus difficile. Le fils d'un riche citoyen de Samos avoit acquis une haute réputation dans ce genre de combat, *Tous les autres lui céderent; il n'y eut que moi qui efperai la victoire. D'abord il me donna dans la têtet, & puis dans l'eftomac, des coups qui me firent § vomir le fang, & qui répandirent fur mes yeux un épais nuage. Je chancelai; il me preffoit, & je ne pouvois plus refpirer mais je fus ranimé par la voix de Mentor, qui me crioit: O fils d'Ulyffe, feriezvous vaincu? La colere me donna de nouvel|| les forces; j'évitai plufieurs coups dont j'aurois été accablé. Auffi-tôt que le Samien m'avoit porté un faux coup, & que fon bras s'alongeoit en vain, je le furprenois dans cette posture pan

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• Virgile en fait la defcription en ces termes:
Immani pondere cæftus ---
Obftupuere animi: tantorum ingentia feptem
Terga boum plumbo infuto ferroque rigebant.

En. 1. V. v. 401. & 404

chée.

☛ Ifle de la mer Ionienne, confacrée à Junon. Elle a été ainfi nommée du mot Arabe fama, qui fignifie élevé, parcequ'elle est pleine de montagnes affez hautes. Sam. Bochart, Chan. 1. I. c. 8.

+

---. Nec quifquam ex agmine tanto

Audet adire virum, manibufque inducere cæftus.

Virg. Æn. 1. V. v. 378.

Erratque aures & tempora circùm`

Crebra manus. Id. ib. v. 435.

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Graffumque cruorem

Id. ib. v. 49.

Acrier ad pugnam redit, & vim fufcitat ira. Id. ib. v. 454.

chée. Déja il reculoit, quand je hauffai mon cefte pour tomber fur lui avec plus de force: il voulut efquiver, & perdant l'équilibre, il me donna le moyen de le renverser. A peine fut-il étendu par terre, que je lui tendis la main pour le relever i fe redreffa lui-même couvert de pouffiere & de fang; fa honte fut extrême, mais il n'ofa renouveller le combat.

AUSSI-TOT on commença les courses des chariots que l'on diftribua au fort. Le mien fe trouva le moindre pour la légereté des roues, & pour la vigueur des chevaux. Nous partons; un nuage de pouffiere vole & couvre le ciel. Au commencement je laiffai les autres paffer devant moi. Un jeune Lacédémonien, nommé Crantor, laifloit d'abord tous les autres derriere lui. Un Crétois nommé Policlete le fuivoit.de près. Hippomaque parent d'Idoménée, qui afpiroit à lui fuccéder, lâchant § les rênes à fes chevaux fumans de fueur, étoit tout panché fur leurs crins flotans; & le mouvement des roues de fon chariot étoit fi rapide, qu'elles paroiffoient immobiles comme les ailes d'un aigle qui fend les airs. Mes chevaux s'animerent & fe mirent peu à peu en haleine; je laiflai loin derriere moi prefque tous ceux qui étoient partis avec tant d'ardeur. Hippomaque parent d'Idoménée, preffant trop fes chevaux, le plus vigoureux s'abatit, & ôta par fa chute à fon maître l'efperance de régner.

POLICLETE fe panchant trop fur fes chevaux,

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Ὑπὸ ἢ σέρνοισι κονίη

Ιςατ ̓ ἀειρομένη, ὥςε νέα, με θύελλα.

Homer. I. 1. XXIII. v. 365.

Et proni dant lora; volat vi fervidus axis.

Virg. Georg. l. II. v. 107.

Pronique in verbera pendent.

Id. n. 1. V. v. 147.

*

vaux, ne put fe tenir ferme dans une fecouffe ; il tomba, les rênes lui échaperent, & il fut trop heureux de pouvoir éviter la mort. Crantor, voyant avec des yeux pleins d'indignation que j'étois tout auprès de lui, redoubla fon ardeur. Tantôt il invoquoit les Dieux, & leur promettoit de riches offrandes; tantôt † il parloit à fes chevaux pour les animer. Il craignoit que je ne paffaffe entre la borne & lui; car mes chevaux mieux ménagés que les fiens, étoient en état de le devancer; il ne lui reftoit plus d'autre reffource, que celle de me fermer le paffage. Pour y réuffir, il hafarda de fe brifer contre la borne'; il y brifa effectivement fa roue. Je ne fongeai qu'à faire promptement le tour, pour n'être pas engagé dans fon defordre, & il me vit un moment après au bout de la carriere. Le peuple s'écria encore une fois; Victoire au fils d'Ulyffe; c'eft lui que les Dieux destinent à régner fur nous.

CEPENDANT les plus illuftres & les plus fages d'entre les Crétois nous conduifirent dans un bois antique & facré, reculé de la vue des hommes profanes, où les vieillards, que Minos avoit établis juges du peuple & gardes des loix, nous affemblerent. Nous étions les mêmes qui avions combatu dans les Jeux; nul autre n'y fut admis. Les Sages ouvrirent les livres, où toutes les loix de Minos font recueillies. Je me fentis faifi de refpect & de honte, quand j'aprochai de ces vieillards, que l'âge rendoit vénerables, fans leur ôter la vigueur de l'efprit. Ils étoient affis avec ordre, & immobiles dans leurs places;

*

Inftantem tergo & propiora tenentem.

Virg. n. 1. V. v. 168.

* Αντίλοχος δ' πποισιν ἐκέκλετο πατρὸς ἑοῖο.

Homer. II. XXIII. v. 402.

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