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du grand Labyrinthe que nous avions vu en Egypte. Pendant que nous confiderions ce curieux édifice, nous vimes le peuple qui couvroit le rivage, & qui accouroit en foule dans un lieu aflez voisin du bord de la mer. Nous demandames la caufe de leur empreflement, & voici ce qu'un Crétois, nommé Nauficrate, nous ra

conta.

IDOMENEE, fils de Deucalion & petit-fils de Minos, dit-il, étoit allé comme les autres Rois de la Grece au fiége de Troye. Après la ruïne de cette ville, il fit voile pour revenir en Crete; mais la tempête fut fi violente, que le Pilote de fon vaiffeau & tous les autres qui étoient experimentés dans la navigation, crurent que leur naufrage étoit inévitable. Chacun avoit la mort devant les yeux: chacun voyoit les abimes ouverts pour l'engloutir: chacun déploroit fon malheur, n'efperant pas même le trifte repos des ombres qui traverfent le Styx, après avoir reçu la fépulture. Idoménée levant les yeux & les mains vers le ciel, invoquoit Neptune: O puiffant Dieu, s'écrioit-il, toi qui tiens l'empire des ondes, daigne écouter un malheureux. Si

tu

entrés n'en pouvoient fortir. Il y fut lui-même retenu prifonnier aves fon fils Icare pour avoir offenfé le Roi; mais il trouva moyen de fe faire des ailes, pour s'envoler de là par le milieu des airs.

Voyez comment Dédale fe fauva de ce Labyrinthe dans Ovid. Met. 1. VIII.

Expertus vacuum Dædalus aera

Pennis non homini datis. Hor. 1. 1. od. 3.

Les Païens prétendoient que les ames de ceux qui n'avoient pas été enfevelis erroient cent ans le long du Styx, avant que de pouvoir le traverser:

Hæc omnis, quam cernis inops inhumataque turba eft.
Nec ripas datur borrendas nec rauca fluenta
Transportare prius, quàm fedibus offa quierunt:
Centum errant annos, volitantque hæc littora circùm.

Virg. En. I. VI. v. 325 & 327.

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tu me fais revoir l'ifle de Crete, malgré la fureur des vents, je t'immolerai la premiere tête qui fe prefentera à mes yeux..

CEPENDANT fon fils, impatient de revoir fon pere, fe hâtoit d'aller au-devant de lui pour l'embrafler; malheureux, qui ne favoit pas que c'étoit courir à fa perte. Le pere échapé à la tempête arrivoit dans le port defiré : il remercioit Neptune d'avoit écouté fes vœux; mais bientôt il fentit combien fes vœux lui étoient funeftes. Un preffentiment de fon malheur lui donnoit un cuifant repentir de fon vou indifcret; il craignoit d'arriver parmi les fiens, & il apréhendoit de revoir ce qu'il avoit de plus cher au Monde. Mais la cruelle Némefis f, Déefle impitoyable qui veille pour punir les hommes, & furtout les Rois orgueilleux, pouffoit d'une main fatale & invifible Idoménée. Il arrive; à peine ofe-t-il lever les yeux. Il voit fon fils: il recule faifi d'horreur; fes yeux cherchent, mais en vain, quelque autre tête moins chere qui puifle lui fervir de victime. Cependant le fils fe jette à fon cou, & eft tout étonné que fon pere répond fi mal à fa tendrefle; il le voit fondant en larmes.

OMON pere, dit-il, d'où vient cette trifteffe? Après une fi longue abfence, êtes-vous fâché de vous revoir dans votre Royaume, & de faire la joie de votre fils? Qu'ai-je fait ? Vous détournez vos yeux de peur de me voir. Le pere accablé de douleur ne répondit rien. Enfin après de profonds foupirs, il dit: Ah! Neptune, que t'ai-je promis? A quel prix m'as-tu garanti du naufrage? Rends-moi aux vagues &

aux

Némefis, fille de la Nuit, felon Hefiode, prefidoit à la pu• nition des crimes. Elle avoit un temple fameux à Rhamnus, wille d'Attique.

C

aux rochers, qui devoient en me brifant finir ma trifte vie; laiffe vivre mon fils. O Dieu cruel, tiens, voilà mon fang, épargne le fien. En parlant ainfi il tira fon épée pour fe percer: mais tous ceux qui étoient auprès de lui arréterent fa main. Le vieillard Sophronime, interprete des volontés des Dieux, lui aflura qu'il pouroit contenter Neptune fans donner la mort à fon fils. Votre promefle, difoit-il, a été imprudente: les Dieux ne veulent point être ho norés par la cruauté. Gardez-vous bien d'ajouter à la faute de votre promeffe celle de l'accomplir contre les loix de la Nature. Offrez cent taureaux plus blancs que la neige à Neptune; faites couler leur fang autour de fon autel couronné de fleurs; faites fumer un doux encens en l'honneur de ce Dieu.

IDOMENE'E écoutoit ce difcours la tête baiffée & fans répondre. La fureur étoit allumée dans fes yeux; fon vifage pâle & defiguré changeoit à tout moment de couleur ; on voyoit fes membres tremblans. Cependant fon fils lui difoit: Me voici, mon pere; votre fils eft prêt à mourir pour apaifer le Dieu de la mer; n'attirez pas fur vous fa colere. Je meurs content, puifque ma mort vous aura garanti de la vôtre. Frapez, mon pere, ne craignez point de trouver en moi un fils indigne de vous, qui craigne de mourir.

EN ce moment Idoménée tout hors de lui, & comme déchiré par les Furies infernales, furprend

Elles étoient trois fœurs, nommées Tifiphone, Alecton & Megere. Leur emploi étoit de tourmenter les méchans dans les enfers & même fur la terre:

Continuò fontes ultrix accintta flagello

Tifiphone quatit infultans, torvofque finiftra
Intentans angues, vocat agmina fæva fororum.
Virg. Æn. 1. VI. v. 570.

Fafa

prend tous ceux qui l'obfervoient de près; il enfonce fon épée dans le cœur de cet enfant. Il la retire toute fumante & toute pleine de fang, pour la plonger dans fes propres entrailles: il eft encore une fois retenu par ceux qui l'environnent. L'enfant tombe dans fon fang; fes yeux fe couvrent des ombres de la mort. * Il les entrouvre à la lumiere; mais à peine l'a-t-il trouvée, qu'il ne peut plus la fuporter. † Tel qu'un beau lis au milieu des champs, coupé dans fa racine par le tranchant de la charue, languit & ne fe foutient plus: t il n'a point encore perdu cette vive blancheur, & cet éclat qui charme les yeux; mais la terre ne le nourit plus, & fa vie eft éteinte. Ainfi le fils d'Idoménée, comme une jeune & tendre fleur, eft cruellement moiffonné dès fon premier âge. Le pere, dans l'excès de fa douleur, devient infenfible; il ne fait où il eft, ni ce qu'il fait, ni ce qu'il doit faire ; il marche chancelant vers la ville,& demande fon fils.

CEPENDANT le peuple, touché de compaffion pour l'enfant, & d'horreur pour l'action barbare du pere, s'écrie que les Dieux juftes l'ont livré aux Furies. La fureur leur fournit des armes: ils prennent des bâtons & des pierres;

1611

Facta virum multantes vindice pœnâ
Eumenides, quibus anguineo redimita capillo
Frons. Catul. in Argon. v. 192.

---Oculifque errantibus alto

Quafivit cælo lucem, ingemuitque repertâ.

Virg. Æn. 1. IV. v. 691..

+ Purpureus veluti cùm flos fuccifus aratro

Languefcit moriens.

Id. ib. 1. IX. v. 435.

Cui neque fulgor adhuc, necdum fua forma receffit:
Non jam mater alit tellus, viresque miniftrat.

Id. ib. 1. XI. v. 70.

Jamque faces & fana volant, furor arma miniftrat.

Id. ib. 1. I. v. 150.

la

la Difcorde fouffle dans tous les cœurs un venin mortel. Les Crétois, les fages Crétois oublient la fageffe qu'ils ont tant aimée; ils ne reconnoiffent plus le petit-fils du fage Minos. Les amis d'Idoménée ne trouvent plus de falut pour lui, qu'en le ramenant vers fes vaiffeaux: ils s'embarquent avec lui; ils fuyent à la merci des ondes. Idoménée, revenant à foi, les remercie de l'avoir arraché d'une terre qu'il a arrofée du fang de fon fils, & qu'il ne fauroit plus habiter. Les vents les conduifent vers l'Hefperie, & ils vont fonder un nouveau Royaume dans le pays des, Salentins.

CEPENDANT les Crétois n'aïant plus de Roi pour les gouverner, ont refolu d'en choisir un qui conferve dans leur pureté les loix établies.. Voici les mefures qu'ils ont prifes pour faire ce choix. Tous les principaux citoyens des cent villes font aflemblés ici. On a déja commencé par des facrifices; on a aflemblé tous les Sages les plus fameux des pays voifins, pour examiner la fageffe de ceux qui paroîtront dignes de commander. On a préparé des Jeux publics, où tous les prétendans combattent; car on veut donner pour prix

a Infremuere tubæ, ac fciffo Difcordia crine
Extulit ad Superos ftygium caput: bujus in ore
Concretus fanguis, contufaque lumina flebant.
Stabant rati fcabrâ rubigine dentes;
Tabo lingua fuens, obfeffa draconibus ora;
Atque inter toto laceratam pectore veftem
Sanguinea tremulam quatiebat lampada dextra.

Petron.

Fama volat, pulfum regnis ceffiffe paternis
Idomenea ducem, defertaque littora Creta.

Virg. Æn. 1. III. v. 121.

Et Salentinos obfedit milite campos
Lyftius Idomeneus. Id. ib. v. • 4.00.

Le pays des Salentins eft aujourd'hui la partie meridionale de la terre d'Otrante, fur la mer Jonienne, dans le Royaume de Naples.

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