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Locher, tomboit à gros bouillons pleins d'écume, &*s'enfuyoit au travers de la prairie...:

LA grote de la Déeffe étoit fur le panchant d'une coline. De là on découvroit la mer quelquefois claire & unie comme une glace, quelquefois + follement irritée contre les rochers, où elle fe brifoit en gémiflant, & élevant fes vagues comme des montagnes. D'un autre côté, on voyoit une riviere, où fe formoient des ifles bordées de tilleuls fleuris & de hauts peupliers, qui portoient leurs têtes fuperbes jufques dans les nues. Les divers canaux, qui formoient ces ifles, fembloient fe jouer dans la campagne. Les uns rouloient leurs eaux claires avec rapidité; d'autres avoient une eau paifible & dormante; d'autres, par de longs détours, revenoient fur leurs pas, comme pour remonter vers leur fource, & fembloient ne pouvoir quiter ces bords enchan-tés. On apercevoit de loin des colines & des montagnes, qui fe perdaient dans les nues, & dont la figure bifare formoit un horifon à fouhait pour le plaifir des yeux.. Les montagnes voifines étoient couvertes de pampres verds, qui pendoient en feftons. Le raifin plus éclatant que la pourpre ne pouvoit fe cacher fous les feuilles, & la vigne étoit accablée fous fon fruit. Le figuier, l'olivier, le grenadier, & tous les autres arbres couvroient la campagne, & en faifoient un grand jardin..

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A 5

CA

Et tenuis fugiens per gramina rivus. I Virg. Georg. 1. IV. v. 19. Infani feriant fine littora fluctus. Virg. Eclog. IX. 143. Non fecus ac liquidus Phrygiis Mæandros in arvis • Ludit ambiguo lapfu refluitque fluitquezon col Occurrenfque fibi venturas adfpicit undas ; ! 1), 0! Et nunc ad fontes, nunc in mare versus apertum, Incertas exercet aquas. “Ovid; Met. l. VIII. v. 162,

I 1

CALYPSO aïant montré à Telémaque toutes ces beautés naturelles, lui dit: Repofez-vous; vos habits font mouillés; il eft tems que vous en changiez. Enfuite nous nous reverrons, & je yous raconterai des hiftoires dont votre cœur fera touché. En même tems elle le fit entrer, avec Mentor, dans le lieu le plus fecret & le plus reculé d'une grote voifine de celle où la Déefle demeuroit. Les Nymphes avoient eu foin d'allumer en ce lieu un grand feu de bois de cedre, dont la bonne odeur fe répandoit de tous côtés, & elles y avoient laiffé des habits pour les nouveaux hôtes. Telémaque voyant qu'on lui avoit deftiné une tunique d'une laine fine, dont la. blancheur effaçoit celle de la neige, & une robe de pourpre avec une broderie d'or, prit le plaifir qui eft naturel à un jeune homme, en confiderant cette magnificence.

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MENTOR lui dit d'un ton grave: Eft-ce donc là, o Telémaque, les penfées qui doivent occuper le cœur du fils d'Ulyffe? Songez plutôt à foutenir la réputation de votre pere, & à vaincre la fortune qui vous perfécute. Un jeune homUN me, qui aime à fe parer vainement comme une femme, eft indigne de la fagefle & de la gloire.. La GLOIRE n'eft due qu'à un cœur qui fait fouffrir la peine & fouler aux pieds les plaifirs.

TELEMAQUE répondit en foupirant: Que les Dieux me faffent perir, plutôt que de fouffrir que la moleffe & la volupté s'emparent de mon cœur! Non, non, le fils. d'Ulyffe ne fera jamais vaincu par les charmes d'une vie lâche & efféminée mais quelle faveur du ciel

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L'Ame ne fauroit s'élever à de grands fentimens, lorsqu'elle fe plaît à de petits objets. Ce n'eft point aux Graces, mais aux Corybantes que l'éducation de Jupiter fut confiée. Les Lacédémoni- ens qui s'entendoient fi bien à former des foldats, ne donnoient aux enfans d'autres amusemens que des armes,.

nous a fait trouyer, après notre naufrage, cette Déeffe, ou cette Mortelle, qui nous comble de biens?

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CRAIGNEZ, repartit Mentor, qu'elle ne vous accable de maux. Craignez fes trompeufes douceurs plus que les écueils qui ont brifé votre navire. Le NAUFRAGE & la mort font moins funeftes que les plaifirs qui attaquent la vertu, Gardez-vous bien de croire ce qu'elle vous ra contera. La JEUNESSE eft prefomptueufe; elle fe promet tout d'elle-même: quoique fragi le, elle croit pouvoir tout, & n'avoir jamais, rien à craindre; elle fe confie légerement & fans précaution, Gardez-vous d'écouter les paroles douces & fateufes de Calypfo, qui fe glifferont comme un ferpent fous les fleurs: craignez ce poifon caché. Defiez-vous de vous-même, & attendez toujours mes confeils. {!,

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ENSUITE ils retournerent auprès de Calyp fo qui les attendoit. Les Nymphes, avec leurs cheveux treffés & des habits blancs, fervirent d'abord un repas fimple, mais exquis pour le goût & pour la propreté. On n'y voyoit aucune autre viande que celle des oifeaux qu' u'elles avoient pris dans les filets, ou des bêtes qu'elles avoient percées de leurs fleches à la chaffe. Un vin, plus doux que le nectar, couloit des grands vafes d'argent dans les taffes d'or couronnées de fleurs. On aporta dans des corbeilles tous les fruits que le Printems promet, & que l'Automne répand fur la terre. En même tems quatre jeunes Nymphés fe mirent à chanter. D'abord

K

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elles

i. L'Auteur retrace ce qu'on ne fauroit trop eftimer dans les mœurs anciennes. Chez les Grecs les Mufes étoient de tous les feftins, & il étoit difficile de fe livrer uniquement aux plaifirs de la table, lorfque la mufique & la poefie élevoient l'ame par le récit des actions des Heros. On voit dans l'Odyffée qu'à la table du

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elles chanterent le combat des Dieux contre les Géans, puis les amours de Jupiter & de Sémelé, la naiffance? de Bacchus & fon éducation conduite par le vieux Silene, la courfe d'Atalante & d'Hippomene, qui fut vainqueur par le moyen des pommes d'or cueillies au jardin des Hefperi

des.

Roi des Phéaciens, on eft plus occupé à entendre le chantre Démodocus qu'à louer la delicateffe des mets.

Les Géans, enfans de la Terre, aïant entrepris de détrôner les Dieux, & de s'emparer du ciel, entafferent des montagnes les unes fur les autres, pour exécuter leur deffein. Mais Jupiter les foudroya. Ovid. Met. l. I.

Saturne & Rhée eurent trois fils; Jupiter, Neptune & Pluton. Ces trois Dieux aïant partagé l'Empire du Monde, le ciel échut à Jupiter. C'eft ce qu'Homere fait dire à Neptune: Ζεὺς δ ̓ ἔλαχ ̓ ἐρανὸν εὐρὺν ἐν αἰθέρι και νεφέλησι.

Iliad. 1. XV. v. 192.

.

: ? Junon, auffi ardente à fe venger des intrigues de Jupiter
fon mari, qu'alerte à les découvrir, fignala fa fureur jaloufe dans:
delle qu'il eut avec Sémelé. Cette Déeffe, aïant pris la figure
de la nourice de fa rivale, lui inspira adroitement des defian-
ces fur la qualité de fon Amant, & lui confeilla, pour s'af-
furer fi c'étoit Jupiter lui-même, d'exiger qu'il vint la trou-
ver avec toutes les marques de fa divinité. La crédule Sémelé
donna dans le piége; & Jupiter, engagé par un ferment irré-
vocable à lui aceorder cette grace, qu'elle lui avoit demandée
fans déclarer ce que c'étoit, fe rendit auprès d'elle, armé de la
foudre & au milieu du tonnerre & des éclairs. Sémelé perit
dans les flames; Bacchus, dont elle étoit enceinte, fut tiré de.
fon
corps, & Jupiter l'enferma dans fa cuiffe où il resta juf-
qu'au terme de fa maturité. Ovid. Met. l. III.

Nouricier & compagnon de Bacchus, & prefque toujours ivre.
Inflatum befterno venas, ut femper, Iaccho.

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Virg. Eclog. VI. v. 15.

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Atalante couroit d'une viteffe extrême,, & étoit en même tems parfaitement belle. Perfécutée par fes Amans, elle promit qu'elle épouferoit celui qui la vaincroit à la courfe. Hippomene, protégé par la Déeffe Vénus qui lui donna les pommes d'or dont il eft ici queftion, & qui lui aprit l'ufage qu'il en devoit faire, les jetta l'une après l'autre en courant. Atalante s'étant amufée à les rámaffer, Hippomene arriva au bout de la carriere avant elle. Ovid. Met. l. X. Eft ager, indigena Damafenum nomine dicunt.

Medio nitet arbor in arvo,

Fulva comas, fulvo ramis crepitantibus auro. Id. ib. v. 644. 647.

des. Enfin la guerre de Troye fut auffi chantée; les combats d'Ulyffe & fa fageffe furent élevés jufqu'aux cieux. La premiere des Nymphes, qui s'apelloit Leucothoé, joignit les accords de fa lyre aux douces voix de toutes les autres. Quand Telémaque entendit le nom de fon pere, les larmes, qui coulerent le long de fes joues, donnerent un nouveau lustre à sa beauté. Mais comme Calypfo aperçut qu'il ne pouvoit manger, & qu'il étoit faifi de douleur, elle fit figne aux Nymphes. A l'inftant on chanta le combat des Centaures avec les Lapithes, & la defcente d'Orphée aux Enfers pour en retirer Eurydice.

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QUAND le repas fut fini, la Déeffe prit Telémaque, & lui parla ainfi: Vous voyez, fils du grand Ulyffe, avec quelle faveur je vous reçois. Je fuis immortelle. Nul Mortel ne peut entrer dans cette ifle, fans être puni de fa témerité; & votre naufrage même ne vous garantiroit pas de mon indignation, fi d'ailleurs je ne vous aimois. Votre pere a eu le même bonheur que vous: mais helas! il n'a pas fu en profiter. Je l'ai gardé longtems dans cette ifle. Il n'a tenu qu'à lui d'y vivre avec moi dans un

état

* Demi-hommes & demi-chevaux, enfans d'Ixion & des, Nues. Aux noces de Pirithous, fils d'Ixion Roi des Lapithes, un Centaure étant tout-à-coup devenu amoureux de l'Epoufée, la voulut enlever; ce qui fit dégénerer la fête en un combat furieux & fanglant. Ovid. Met. 1. XII.

x Eurydice, femme d'Orphée, étoit morte de la morfure d'un ferpent. Orphée ofa l'aller chercher dans les enfers, & joignant à fes prieres touchantes les fons enchanteurs de fa lyre,' il fléchit Pluton & Proferpine qui permirent à Eurydice de le' fuivre, à condition qu'il ne regarderoit point derriere lui. Mais l'empreffement de revoir fa femme lui aïant fait tourner la tête, à la fortie des enfers, elle y fut replongée. Ovid. Met. i. X. & Virg. Georg. t. IV,

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