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son prochain feuilleton, Le comte de Monte-Christo, par le même auteur.

De telles publications annoncées, ou en voie d'exécution scandaleuse, ne pouvaient manquer d'émouvoir la sollicitude pastorale de Sa Grandeur Mgr l'archevêque de Montréal.

Le Monde et la Patrie reçurent en même temps un avertissement de leur Ordinaire. Le Monde n'a pas rendu publique la communication qu'il a reçue; mais la Patrie a publié, dans son numéro de samedi, la lettre suivante :

Archevêché de Montréal,

Montréal, 15 février 1894.

A M. HONORE BEAUGRAND,

Directeur-propriétaire de La Patrie.

M. le Directeur,

Dans un de ses derniers numéros, votre journal annonce la publication prochaine d'un roman d'Alexandre Dumas: Le Comte de Monte-Christo.

Monseigneur l'archevêque de Montréal me charge de vous informer que toutes les œuvres d'Alexandre Dumas (père et fils) ayant été mises à l'index, (déc. 22 juin 1863), un catholique ne saurait les lire sans pécher gravement et sans s'exposer à tomber sous les censures de l'Eglise. C'est pourquoi, si votre journal, malgré cet avis, publie Le Comte de Monte-Christo par Alexandre Dumas, Sa Grandeur sera forcée de rappeler aux fidèles les règles de l'Index à ce sujet.

Votre humble serviteur,

ALFRED ARCHAMBEAULT,

Chancelier.

Qui pourrait trouver à redire à cette démarche de l'autorité diocésaine? Un journal annonce la publication d'un roman à l'Index. L'Ordinaire avertit ce journal que cette publication ne peut être faite dans une feuille catholique. Rien de plus correct; l'évêque en agissant ainsi, accomplit un devoir de justice et de charité.

Mais M. Beaugrand a d'autres notions, tout-à-fait spéciales, sur la juridiction, les devoirs, les pouvoirs et le caractère de l'épiscopat. Et, en réponse à M. le chanoine Archambeault, il publiait dans la Patrie de samedi une lettre qui est un chef-d'œuvre d'impudence et de grossièreté, en même temps que l'acte d'insubordination et de révolte contre les prescriptions de l'Eglise, le plus scandaleux qu'un homme se disant catholique ait commis depuis longtemps dans cette province.

M. Beaugrand prétend que c'est un piège qu'il a tendu à son archevêque, qu'il a voulu le faire tomber dans un panneau, qu'il a fait un pari dont l'enjeu était un panier de champagne, et la condition un acte de l'autorité diocésaine. En un mot M. Beaugrand raconte que, voyant les Trois Mousquetaires publiés par le Monde avec la permission de l'Ordinaire (?) il a parié que la Patrie recevrait un monitum de l'évêché si elle annonçait la publication de Monte-Christo. Il faut citer cela :

"Tout cela est le résultat d'un pari. Une dizaine d'amis intimes se trouvaient réunis chez moi, il y a une quinzaine et nous devisions de choses et d'autres de théâtre et d'opéra, de littérature et d'histoire, de journaux et de discipline ecclésiastique.

-Comment se fait-il, disait un camarade, que le théâtre français fasse salle comble tous les soirs et que le Monde ait la permission de l'Ordinaire de publier Les Trois Mousquetaires de Dumas, alors que le CanadaRevue a été censuré par mandement pour avoir annoncé la publication du même ouvrage.

-Comment et pourquoi ? répondis-je. Tout bonnement une question de politique, une question de rouge et de bleu. Que la Patrie annonce demain un feuilleton de Dumas père et je parie que l'Archevêché interviendra dans les huit jours pour nous faire défense de publier.

-Allons donc c'est de l'exagération. L'autorité ecclésiastique n'osera pas intervenir contre la Patrie alors qu'elle a accordé la permission au Monde.

-Je vous parie que si, répondis-je, et nous allons tenter l'expérience dès demain en annonçant la publication du plus moral des livres de Dumas père, le Comte de Monte-Christo. Vous verrez venir l'interdiction dans la huitaine, sans cela je m'engage à vous payer un panier de champagne.

-Accepté et le pari tient bon.

Et voilà, M. le Chanoine, pourquoi nous ne publierons pas le Monte-Christo vous laissant le soin de décider si j'ai perdu ou gagné mon pari."

Telle est l'histoire que nous raconte M. Beaugrand. Acceptons-la comme elle nous est donnée, et voyons. sous quel jour elle nous montre le directeur de la Patrie.

Voici un directeur de journal soi-disant catholique, qui se vante d'avoir voulu jouer un tour à son archevêque, d'avoir tenté de discréditer son autorité, de le livrer aux railleries des impies et des hérétiques, de

ruiner son prestige; en un mot, voici un catholique qui se glorifie d'avoir voulu jeter un évêque en pâture au mépris public.

C'est là le rôle odieux que veut se donner M. Beaugrand.

Dieu merci, il a manqué son effet. En admettant que son fameux pari ne soit pas une fable arrangée après coup, il n'a pas atteint son but qui, d'après lui, était de taxer Mgr l'archevêque de Montréal d'inconséquence et d'injustice.

Le Monde n'avait pas reçu le visa de l'Ordinaire pour la publication des Trois Mousquetaires. Il avait prétendu que le roman tel que publié était une œuvre refaite et émondée, et même à l'aide de ces représentations, il n'avait pas obtenu l'autorisation de publier ce feuilleton. Dès que l'attention de l'Ordinaire fut appelée sur la véritable nature de l'œuvre, le Monde reçut un avertissement en même temps que la Patrie. Donc l'autorité diocésaine de Montréal n'a pas deux poids et deux mesures.

M. Beaugrand donne la politique comme raison de la partialité chimérique qu'il dénonce: le Monde est un journal bleu, la Patrie un journal rouge! Le Monde un journal conservateur! elle est bien bonne celle-là ! Le Monde a fait plus de mal au parti conservateur depuis un an que la Patrie depuis cinq ans. Cette finesse de M. Beaugrand est d'une jolie ineptie, on l'admettra.

En somme M. Beaugrand, en voulant humilier son archevêque, n'a fait de mal qu'à lui-même. Il a joué le rôle d'un gamin qui rate sa gaminerie, et sa lettre qui vise au persiflage spirituel n'est qu'une longue et plate polissonnerie.

LA FAMEUSE ÉPITRE DE M. BEAU

GRAND

22 février 1894.

A part les injures à l'adresse de son Ordinaire, l'épitre de M. Beaugrand contient plus d'une perle.

En voici une qui jette beaucoup de lumière sur ses prédilections en fait de littérature contemporaine :

"S'il m'était permis d'offrir des conseils à l'autorité religieuse, au sujet de la question qui nous occupe, je proposerais l'établissement d'une librairie archiepiscopale où tous les journaux du pays, anglais comme français, seraient forcés d'acheter les romans qu'ils voudraient publier en feuilleton. Un saint prêtre, avec des talents littéraires bien connus, l'abbé Baillargé, par exemple, serait chargé de revoir, de corriger, de rogner ou d'amplifier les œuvres d'Alphonse Daudet, de Jules Claretie, de Hector Malot, de Paul Bourget, d'Emile Richebourg, de Georges Ohnet, de Dumas père et fils, de Balzac, d'Eugène Sue, en un mot de tous ces écrivains qui font la gloire de la France et le désespoir de ceux qui, ayant la tournure d'esprit voulue, comme les rédacteurs de la Vérité, du Courrier du Canada et de la Minerve, trouveraient des obscénités, dans les pages si orthodoxes de Jean de Calais ou de Geneviève de Brabant."

Ipse magister dixit, les écrivains qui font la gloire de la France ce sont les Dumas, les Balzac, les Eugène Sue, etc., c'est-à-dire des malfaiteurs intellectuels, qui

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