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surant; mais sans pénétrer au delà de la superficie des phénomènes. »

La valeur physiologique de cet ouvrage a été appréciée par Czermak, qui fait ressortir la surprenante analogic de la doctrine de Schopenhauer avec la théorie des couleurs de Young et de Helmholtz. Comment un ouvrage de cette importance a-t-il pu rester complètement ignoré jusqu'à nos jours? C'est que, dit justement Czermak, quoique Schopenh uer ait sa théorie propre, ses fureurs anti-newtoniennes et sa partialité pour Goethe lui nuisaient près des physiciens et des physiologistes, méfiants d'ailleurs à l'égard de ses tendances métaphy siques.

Ce n'était qu'un épisode du grand travail auquel i se livrait et qui devait rester son œuvre définitive. Il parut en 1819, sous ce titre Le monde comme volonté et comme représentation (perception) 1. C'était un volume divisé en quatre livres. L'intelligence y est considérée d'abord comme soumise au principe de raison suffisante et produisant, comme telle, le monde des phénomènes (1er livre). Elle y est étudiée ensuite comme indépendante du principe de la raison suffisante et donnant lieu à la production esthétique (3e livre). La volonté y est examinée de même de deux manières, comme le principe dernier auquel tout se ramène (2o livre), comme base d'une curieuse morale renouvelée du Bouddhisme (4 livre). — A ce premier volume, Schopenhauer en ajouta, vingt-cinq ans plus tard (1844), un second où il reprenait divers points traités dans le premier et les développait; mais sans y rien changer. En réalité, Schopenhauer est tout entier dans cet ouvrage de 1819, qui à lui seul suffirait pour donner une idée exacte de sa philosophie. Aussi dans l'exposé qui va suivre, nous suivrons scrupuleusement l'ordre même

1. Die Welt als Wille und Vorstellung. Leipzig, 1819. - La édition est de 134. La 3 de 1859; c'est celle qui nous a servi pour ce travail. Traduit en français par M. A. Burdeau.

de l'auteur, en empruntant à ses autres publications tous les éclaircissements nécessaires.

L'insuccès de ce livre fut complet. Schopenhauer, aussitôt après avoir remis son manuscrit à l'éditeur, était parti pour visiter Rome et Naples (automne do 1818). Il resta près de deux ans en Italie, étudiant les œuvres d'art, fréquentant les musées, les théâtres, les églises, sans dédaigner des plaisirs qu'il avait pourtant condamnés.

En 1820, il revint à Berlin et y professa comme privat docent pendant un semestre. Mais le succès de Hegel et de Schleiermacher qui enseignaient à la même Université lui porta ombrage, et de cette époque date son horreur pour l'enseignement officiel et les professeurs de philosophie. Au printemps de 1822, il retournait en Italie où il resta jusqu'à 1825, complétant ses études esthétiques et ses observations morales. - Il revint encore à Berlin où il paraît avoir eu quelque désir de s'essayer de nouveau à l'enseignement philosophique. « Son nom fut inscrit sur le programme des cours, dit l'un de ses biographes; mais il ne professa pas. » Il vécut dans cette ville, solitaire, presque oublié, jusqu'au moment où les ravages du choléra le firent s'enfuir à Francfort-sur-le-Mein. Il se fixa « dans ce séjour si bien fait pour un ermite » et y passa tout le reste de sa vic, c'est-à-dire vingt-neuf ans.

Il ne faut pas oublier qu'il était encore totalement inconnu. Dans la retraite de Francfort, sa mauvaise humeur, son indignation « contre les charlatans et les calibans intellectuels >> auxquels il attribuait ses insuccès, ne faisait que couver et s'accroître de jour en jour. En 1836, il publia un nouvel ouvrage scus le titre de la Volonté dans la nature1. Même silence autour de cet écrit, qui parut mort-né comme les autres. Schopenhauer y développait sa théorie de la volonté, en l'appli

1. Ueber den Willen in der Natur. Frankfurt a M. 1836

quant à diverses questions de physique et de sciences naturelles. Il y passe en revue la physiologie, la pathologie, l'anatomie comparée, la physiologie végétale, l'astronomie physique, le magnétisme animal et la magie, la linguistique, s'attachant à montrer partout le rôle que la volonté joue dans ces phénomènes. Il s'emporte beaucoup dans la conclusion contre la philosophie des Universités, cette ancilla theologiæ, cette mauvaise doublure de la scholastique dont le plus haut critérium de la vérité philosophique est le catéchisme du pays ».

Ce fut en 1839 que le nom de Schopenhauer fut enfin connu du public d'une façon tout à fait inattendue. La Société royale des sciences de Norvège ayant mis au concours la question de la liberté, le mémoire de Schopenhauer sur la Liberté de la volonté fut couronné et l'auteur fut nommé membre de cette Académie. L'année suivante, il présenta à la Société royale des sciences de Copenhague un autre mémoire « sur le fondement de la Morale » qu'il place dans la sympathie. Le mémoire ne fut pas couronné. L'Académie fut blessée des injures que Schopenhauer prodiguait à Fichte et à Hegel; elle lui reprochait en outre quod scriptor in sympathia fundamentum ethices constituere conatus est, neque ipsa disserendi forma nobis satisfecit, neque satis hoc fundamentum sufficere evicit. Schopenhauer publia plus tard ces deux mémoires sous un titre commun: Les deux Problèmes fondamentaux de la morale 1.

C'était un succès modeste, et cependant le commencement de sa gloire date de là. Il fut loué, critiqué, discuté. Ses premiers ouvrages, après plus de vingt ans d'attente, sont réédités. Il compte enfin quelques disciples dévoués comme Frauenstaedt et Lindner. « Il excite incessamment l'ardeur de leur zèle, il les encourage et les caresse, appelant celui-ci son cher apôtre,

1. Die beiden Grund probleme der Ethik. Frankfurt a M., 1841.

cclui-là son archi-évangéliste, un troisième son doctor indefatigabilis. Mais viennent-ils d'aventure à forligner, dérogent-ils tant soit peu à la rigueur de la doctrine, il les tance aussitôt sévèrement. La moindre mention de son nom dans un livre, l'adhésion de quelque inconnu, le plus chétif article sont des événements que l'on commente en détail 1. »

La philosophie de Hegel baissait de jour en jour. La doctrine, puissante à la mort du maître (1832) et mêiée à toutes les questions politiques, religieuses, sociales, esthétiques, s'affaiblissait par ses discordes intestines. Elle s'était scindée dès 1840, en centre, droite et gauche. L'extrême gauche qui se forma plus tard et eut pour principaux représentants Feuerbach, Bruno Bauer, Max Stirner, arriva au pouvoir en 1848. Elle professait les opinions les plus radicales en philosophie et en politique et elle les soutint au parlement de Francfort. On sait comment finit ce mouvement national et quelle réaction l'a suivi. L'influence sociale de l'hégélianisme périt du coup et laissa la place libre à une autre métaphysique et ce fut Schopenhauer qui en profita.

Mais il souffrit beaucoup des agitations politiques dont Francfort fut le théâtre pendant les années 1848 et 1849 partisan de l'ordre à tout prix et préoccupé avant tout de n'être pas troublé dans ses paisibles spéculations, il applaudit aux répressions sanglantes, notamment à celle du 17 septembre 1848; et il a légué toute sa fortune « à la caisse de secours fondée à Berlin en faveur de ceux qui en 1848 et 1849 avaient défendu l'ordre et de leurs orphelins. »

L'orage passé, il publia son dernier ouvrage : Parerga und Paralipomena, recueil de fragments, d'esquisses et d'essais dont quelques-uns n'ont qu'un rapport assez indirect avec sa philosophie. Ce livre, curieux comme

1. Challemel-Lacour: article cité.

2. 2 volumes, Berlin, 1851. La 2e édition a été donnée par Frauenstaedt en 1862.

éclaircissement de la doctrine générale, n'y ajoute rien en substance; il est cependant indispensable de le lire pour connaître, dans Schopenhauer, le moraliste et l'écrivain. Il comptait ne plus rien écrire après ce livre, mais simplement revoir et corriger ce qu'il avait écrit.

C'est en ce moment même qu'il commence à arriver à la gloire. La Westminster Review, en avril 1853, publia sur lui un article important que Lindner traduisit et inséra dans la Gazette de Voss. L'année suivante, Frauenstaedt publia une exposition complète de sa doctrine, dans un livre court, clair et auquel il ne manque qu'un peu plus d'ordre pour être un bon manuel1. Enfin l'année suivante, l'Université de Leipzig mit au concours une étude sur la philosophie. Sa renommée, le nombre de ses lecteurs, de ses disciples, de ses critiques allèrent ainsi croissant toujours et il ne mourut qu'après avoir connu la gloire. Il prétendait que son régime le conduirait jusqu'à cent ans, mais il fut emporté le 23 septembre 1860, par une apoplexie pulmonaire, à l'âge de 72 ans 2.

[I

Il vécut en misanthrope, toujours mécontent des hommes et des choses. M. Fichte l'appelle « un hypo

1. Ce livre a pour titre : Lettres sur la philosophie de Schopenhauer. Briefe ueber die Schopenhauer'sche Philosophie. Leipzig, 1851. 2. Gwinner, qui s'est livré à des recherches minutieuses sur le crâne et le cerveau de son maître, en conclut qu'il est « la plus forte tête connue ».

Il donne comme mesure du cráne 7"5"
Le cerveau de Schopenhauer mesure 5′′5m

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