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fraternelle qu'ils avoient à lui, comme pource qu'en leur absence, il gouvernoit léalement et sagement leur dominations, terres et seigneuries.

CHAPITRE CCXXXIX

Comment le seigneur de l'Ile-Adam, maréchal de France, fut envoyé à Joigny; et la rendition des villes et châtel faites par les assiégés.

OR convient retourner à l'état du siége de Melun, où étoient, comme vous avez ouï, les rois de France et d'Angleterre, et le duc de Bourgogne. Durant lequel, le seigneur de l'Ile-Adam, qui encore étoit maréchal de France, fut envoyé de par le roi en garnison à Joigny, atout foison de gens d'armes, pour tenir frontière contre les Dauphinois, qui très fort dégâtoient le pays. Et après qu'ils eurent séjourné et assis ses gens audit lieu de Joigny, peu de temps après, retourna audit siége de Melun; et avoit fait faire une cotte de blanc gris, atout laquelle alla devers le roi d'Angleterre, pour aucuns affaires touchant son office; et lui venu devant lui, après qu'il eut fait la révérence comme il appartenoit, et dit aucunes paroles touchant iceux affaires, ledit roi d'Angleterre lui demanda, par manière de gabois ( moquerie ): « Comment, l'Ile-Adam, est-ce cy la robe de ma

réchal de France?» A quoi il fit réponse, en regardant icelui roi en la face: « Sire, je l'ai fait faire telle pour venir par eau dedans les bateaux parmi la rivière de Seine. » Et adonc le roi lui dit derechef: « Comment osez-vous regarder ainsi un prince au visage, quand vous parlez à lui?» Et le sire de l'Ile-Adam répondit : « Sire, la coutume >> des François est telle, que si un homme parle à >>> un autre, de quelque état ou autorité qu'il soit, » la vue baissée, on dit que c'est un mauvais homme, et qu'il n'est pas prud'homme, puis qu'il n'ose regarder celui à qui il parle en la chère (face). Et le roi dit : « Ce n'est pas notre >> guise. >>>

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Après lesquelles paroles et aucunes autres, prit congé ledit sire de l'Ile-Adam à icelui roi, et se partit de sa présence. Si perçut assez bien à cette fois, qu'il n'étoit pas bien en sa grâce; et assez bref ensuivant, lui fut ôtée l'office du maréchal de France; et encore depuis lui advint autre aventure, car le roi dessusdit le fit détenir prisonnier, comme vous orrez ci-après.

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En outre, icelui siége durant, se férit en l'ost du roi d'Angleterre grand' mortalité d'épidémie, pourquoi il perdit grand nombre de ses gens. Et d'autre côté, se partit de l'ost du duc de Bourgogne, le prince d'Orange et plusieurs autres. Pour lequel partement, ledit duc voyant son ost affoibli, envoya hâtivement devers mouseigneur de Luxembourg, lors capitaine de Picardie, de par

le roi de France, lui mandant que sans délai assemblât le plus grand nombre de gens d'armes et de trait qu'il pourroit finer, et qu'iceux il conduisit et menât devers lui audit siége de Melun. Lequel de Luxembourg, comme lui avoit mandé tedit duc, se prépara incontinent, et assembla de toutes parts gen's d'armes et gens de trait à venir autour de Péronne; et bref ensuivant atout (avec) iceux gens d'armes, par le pont de Saint Maxence, alla devers Melun, atout (avec) les gens d'arnies dessusdits. Mais quand il vint au-dessus de Melun, ayant ses gens en bataille, les assiégés, ce voyant, cuidèrent avoir leur secours, et commencèrent à faire sonner leurs cloches et monter sur la muraille, criant hautement à ceux de l'ost qu'ils missent leurs selles, et qu'ils seroient délogés: néanmoins perçurent assez bref que c'étoient leurs ennemis. Pourquoi, les têtes baissées, faisant cesser toute joie, descendirent de leurdit mur, non ayant espérance de ce jour en avant de plus avoir secours du dauphin leur seigneur. Et tantôt après messire Jean du Luxembourg, atout ses gens, ful envoyé loger en la ville de Brie-Comte-Robert, et là se tint jusques à la rendition dudit Melun.

Et entre temps, ledit roi de France envoya ses lettres en plusieurs bonnes villes du royaume de France, par lesquelles il mandoit expressément à chacunes dicelles, qu'ils envoyassent certains commis de par eux à Paris, devers lui, pour être le quatrième jour de janvier, afin d'avoir conseil et

délibération avec les nobles et gens d'église, sur la réparation et autres affaires du royaume de France. Et après, les dessusdits assiégés de Melun voyant le grand danger où ils étoient, non ayant espérance, comme dit est, d'avoir quelque secours, car déjà avoient plusieurs fois envoyé devers le dauphin lui noncer la pestilence où ils étoient. comment, passé long-temps ils étoient contraints, par force de famine, de manger chiens, chats, chevaux et autres vivres non appartenant à créature humaine, en lui requérant qu'il les voulsît secourir et donner aide, et les ôter de ce danger où ils étoient pour soutenir sa querelle, comme promis leur avoit ; à quoi finablement avoit été répondu par les gouverneurs dudit dauphin, que de présent n'avoit point si grand' puissance que pour les délivrer de la puissance du roi d'Angleterre et du duc de Bourgogne, et qu'ils fissent et traitassent avec eux au mieux qu'ils pourroient; sur laquelle réponse commencèrent à parlementer et traiter avec les du dessusdit roi Henri d'Angleterre, gens qui à ce furent commis; entre lesquels étoient le comte de Warwick, le seigneur de Cornouaille et autres, qui enfin furent d'accord, après ce que ledit siége eut par grands labeurs, par les assiégeants été continué le temps et espace de dix-huit semaines, par les conditions ci-après déclarées.

« Premièrement, fut ordonné que les dessusdits assiégés rendroient réellement et de fait aux rois de France et d'Angleterre, la ville et châtel de

Melun, et se mettroient tous généralement, tant hommes d'armes, bourgeois, habitants, comme toutes autres personnes étant, en icelle ville et châtel, en la grâce desdits rois.

» Item, que les deux rois dessusdits les recevront tous par telle manière que, s'il y en a aucuns qui soient trouvés coupables ou consentants de la mort du duc Jean de Bourgogne, on leur fera justice et raison.

» Item, que tous les autres, qui de ce ne seront pas trouvés coupables, de quelque état qu'ils soient, n'auront garde de mort, mais ils demeureront prisonniers jusques à tant qu'ils auront baillé bonne caution de jamais eux armer avec les ennemis desdits rois.

» Item, que si les soupçonnés de la mort dudit duc Jean ne sont trouvés coupables ou consentants, ils demeureront sous les conditions des dessusdits; et ceux qui seront nés et sujets de ce royaume, seront remis à leurs terres, lesquelles ils tenoient quand le siége fut mis devant Melun, après qu'ils auront baillé sûreté idoine, comme dit est.

Item, Que tous les bourgeois et habitants demeureront en la disposition des deux rois.

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Item, que tous les dessusdits, tant bourgeois comme gens d'armes, mettront ou ferònt mettre toutes leurs armures et habillements de guerre dedans le châtel de Melun, en tel lieu qu'ils puissent venir à connoissance, sans ce qu'ils les dépiè cent ou dégâtent; et pareillement ils y feront mettre tous leurs biens meubles.

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