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de ceux qui étoient en cette armée, en assez grand nombre, se départirent et retournèrent en leurs lieux, pource que les dessusdits capitaines, comme il leur sembloit, usoient de trop grand' convoitise.

En outre, le cardinal duc de Bar, et avec lui Regnier d'Anjou, son neveu, fils de sa sœur, et du roi Louis derrain mort, lequel Regnier icelui cardinal avoit déjà déclaré son héritier de ladite duché, et lui avoit donné à jouir présentement sa marquisie du Pont, fit assiéger puissamment la ville et châtel de Ligny en Barrois, chef-lieu d'icelle comté, pour tant que Jean de Luxembourg n'avoit pas fait les devoirs de relever pour son neveu, le jeune comte de Saint-Pol, duquel il avoit le bail et gouvernement, ni pareillement le duc Jean de Brabant, frère dudit comte. Et étoient dedans ladite ville de Ligny, de long temps, aimant et favorisant la partie de Bourgogne ; et ledit cardinal et tous ses pays étoient de partie opposite. Néanmoins, en la fin, après que ledit siége eut duré certaine espace, firent ceux de ladite ville obéissance à icelui cardinal, lequel y mit gouverneurs et officiers de par lui. Mais bref ensuivant, par aucuns moyens faits entre les parties, le jeune comte de Saint-Pol fut restitué en sadite ville, forteresse et comité ; et y furent derechef mis et établis gens de par lui.

CHAPITRE CCXXXVI.

Comment le siége fut mis tout à l'environ de Melun; la prise du comte de Conversan, et le partement du jeune roi de Sicile pour aller à Rome.

OR, faut revenir à parler des rois de France et d'Angleterre, et du duc de Bourgogne, lesquels, après qu'ils eurent conquis Montereau, comme vous avez ouï, se partirent de là pour venir devers Melun, , que tenoient les gens du dauphin. Laquelle ville, par ledit duc de Bourgogne et le roi d'Angleterre, fut assiégée en grand' puissance, et environnée tout autour. Et ledit roi de France, avec les deux reines dessusdites, allèrent tenir leur état à Corbeil; et fut icelui roi Henri, avec lui ses frères le rouge duc de Bavière, son serourge (beau-frère), et ses autres princes, logé au côté vers Gâtinois; et le duc Philippe de Bourgogne, atout (avec) ses gens, et le comte de Hautiton, (Huntingdon) avec aucuns autres capitaines anglois, furent logés à l'autre côté vers la Brie. Si mirent iceux assiégeants toute leur intention et volonté d'approcher et combattre leurs adversaires; et, pour les adommager, firent en plusieurs lieux asseoir leurs engins volants, bombardes, canons et autres instruments,

et habillements de guerre, pour dérompre, confondre et abattre les murs de la ville.

Dedans laquelle étoit principal capitaine le seigneur de Barbasan, noble vassal, expert, subtil et renommé en armes; et avec lui le seigneur de Préaux, c'est à savoir messire Pierre de Bourbon et un nommé Bourgeois, qui avoient en leur compagnie de six à sept cents combattants; lesquels, par grand' vigueur, montrèrent à leurs ennemis semblant de grand' hardiesse, en eux défendant vaillamment contre les entreprises et approchements desdits assiégeants. Toutefois, nonobstant les défenses dessusdites, furent en plusieurs lieux autour de leur ville approchés jusques à leurs fossés, tant par mines, taudis, bouleverts, comme par autres habillements de guerre; et tant fut par lesdits assiégeants continué, que les murs de la ville furent fort dommagés en plusieurs lieux.

Et d'autre part, du côté où étoit ledit duc de Bourgogne, fut par soudain assaut pris un très fort boulevert, que avoient fait lesdits assiégés dehors leurs fossés; par lequel ils travailloient fort ceux du siége. Et depuis la prise dessusdite fut icelui fortifié par ledit duc de Bourgogne, et tenu durant ledit siége, en faisant guet de nuit et de jour. En outre, fut fait un pont par-dessus la rivière de Seine sur bateaux, par lequel les deux osts pou

1. Mauvaises maisons.

voient aller l'un avec l'autre pleinement; et avec ce, fit le roi d'Angleterre clorre son ost tout autour de bons fossés et de pieux attachés sus, afin que de ses ennemis point ne fût surpris, délaissant en aucuns lieux nécessaires entrées, lesquelles se fermoient à bonnes barrières, et y faisoit-on guet de nuit et de jour. Et pareillement fut fait au côté où étoit logé le duc de Bourgogne et les autres Anglois. Et en tel état dura ledit siége l'espace de dixhuit semaines, durant lequel furent faites aucunes escarmouches et saillies par les assiégés, et non pas grandement. Toutefois en icelles furent tués par trait un très vaillant capitaine anglois, nommé messire Philippe Lis, et un notable gentilhomme du pays de Bourgogne, nommé messire Éverard de Vienne, avec plusieurs autres. Et comme lesdits assiégeants entendissent curieusement à gréver nuit et jour, et subjuguer leurs ennemis, en cas pareil les assiégés se défendoient par grand' vigueur, et tantôt que leurs murs étoient dérompus par les engins de leurs adversaires, les refortifioient de queues pleines de terre et de bois, et d'autres besognes à ce compétentes.

En après, du côté du roi d'Angleterre fut faite une mine au-dessous de la ville, laquelle fut percée jusques assez près des murs; mais les assiégés se doutant, contreminèrent à l'opposite d'icelle; et firent si bonne diligence, qu'elle fut effondrée, et y eut des deux partis grands poussis de lances. Et adone, du côté des Anglois, fut faite une bar

rière dedans ladite mine, en laquelle combattoient ensemble contre deux Dauphinois le roi d'Angleterre et le duc de Bourgogne, en poussant de lances l'un contre l'autre; et depuis, en continuant, allèrent plusieurs chevaliers et écuyers combattre à ladite mine. Desquels y furent faits chevaliers de l'hôtel dudit duc de Bourgogne, Jean de Hornes, seigneur de Baussignies; Robert de Mamines, et

aucuns autres.

Et entre temps, le dessusdit roi d'Angleterre s'en alloit de fois à autre à Corbeil, voir sa femme la reine, avec laquelle étoit la duchesse de Clarence, et autres nobles dames du pays d'Angleterre. Et après certaine espace, que ledit siége de Melun fut refermé, comme dit est, y fut amené le roi de France, afin que plus sûrement on pût sommer lesdits assiégés, qu'ils rendissent la ville de Melun au roi de France, leur naturel et vrai seigneur; mais à ce firent réponse, que à son état privé lui feroient ouverture très volontiers, sans en rien contredire, disant qu'au roi anglois, ancien ennemi mortel de France, point n'obéiroient. Néanmoins le dessusdit roi de France fut grand espace audit siége logé en ses tentes, sous le gouvernement de son beaufils le roi Henri d'Angleterre, non pas en tel état de compagnie et habillements que autrefois avoit été vu; car, au regard du temps passé, étoit peu de chose de le voir à présent.

Et en ce même siége, fit ledit roi amener sa femme la reine, grandement accompagnée de

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