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un faubourg sur eux, qu'ils cuidoient (croyoient) garder; à laquelle prise, tant d'un côté comme d'autre, y eut plusieurs hommes navrés. Entre lesquels y fut navré, en la partie de messire Jean de Luxembourg, un vaillant homme d'armes, nommé Robinet de Rebretaignes, lequel, à l'occasion d'icelle navrure, mourut en dedans certain temps ensuivant.

En après, messire Jean de Luxembourg fit loger grand nombre de ses gens, tout autour de la ville, en plusieurs faubourgs et autres maisons qui y étoient, et il se logea à un village, environ à demilieue de ladite ville; et après, envoya le sire de Humbercourt, bailli d'Amiens, à Amiens et à Corbie, requerre qu'on lui envoyât des arbalêtriers, canons, et autres habillements de guerre, pour combattre et subjuguer la ville de Roye. Lesquels d'Amiens et de Corbie envoyèrent avec ledit de Humbercourt, des arbalêtriers et habillements dessusdits, très largement. Et pareillement furent mandés les arbalêtriers de Douai, Arras, Péronne, Saint Quentin, Mont-Didier, Noyon et autres, l'obéissance du roi. Auquel mandement furent enles par gouvoyés diligemment en grand nombre verneurs desdites villes; et après que les arbalêtriers furent venus, et aussi les habillements de guerre, ledit de Luxembourg fit très puissamment environner et combattre ladite ville; et fit asseoir plusieurs bombardes et gros engins contre les portes et murailles, dont les assiégés furent moult

de

travaillés. Néanmoins se défendirent vigoureusement, et firent aucunes saillies sur les assiégeants, où ils profitèrent bien peu. Finablement lesdits assiégés, non ayant l'espérance d'être secourus, firent traité avec ledit de Luxembourg ou ses commis le dix-huitième jour de janvier, par condition qu'ils s'en iroient saufs leurs corps et leurs biens, et avec ce emporteroient aucune partie des biens qu'ils avoient gagnés en la ville.

Apres lequel traité fait et confirmé, se partirent sous le sauf-conduit de messire Jean de Luxemhourg, chef de cette armée; lequel, avec ce, pour les conduire, leur bailla Hector de Saveuse. Et tous ensemble, quand ils furent hors de la ville, prirent leur chemin vers Compiégne, et chevauchèrent très fort; mais assez tôt après leur partement, vinrent audit lieu de Roye, environ deux mille Anglois, dont étoient capitaines le comte de Hautiton (Huntingdon '), et le seigneur de Cornouaille, son beau-père. Lesquels Anglois venoient en icelle place en l'aide des gens du duc de Bourgogne contre les Dauphinois; car, comme dit est, icelles

1. Jean Holland, fils de Jean, comte de Holland et duc d'Exeter. Henri V lui rendit le comté de Huntingdon, confisqué sur son frère, lors de son exécution. (Voyez tom. 14 de J. Froissart. )

2. Elisabeth, sœur d'Henri IV, après la mort du premier duc de Huntingdon, épousa sire Jean de Cornewall, depuis lord Fanhope.

parties avoient déjà trèves l'une avec l'autre, espérant avoir bien bref bonne paix ensemble, comme ils eurent.

Lesquels Anglois là venus, sachant la départie des Dauphinois, se mirent hâtivement sur le train, et les poursuivirent tant et si roidement, qu'ils les ratindirent (ratteignirent) environ à quatre lieues de Roye ; et tantôt qu'ils les aperçurent, sans barguigner, frappèrent en eux, jà-soit-ce qu'ils étoient en petit nombre, pour tant qu'ils avoient chevauché si fort, que les trois parts de leurs gens étoient denieurés en train derrière eux. Et avec lesdits Anglois s'étoient boutés grand' quantité de gens d'armes de messire Jean de Luxembourg, desquels étoient les principaux, Butor bâtard de Croy, Aubert de Folleville, le bailli de Fauquessole, le bâtard de Duvon, et moult d'autres gentilhommes. Et finablement les dessusdits Dauphinois, sans faire grand' résistance ni défense, furent mis tantôt en grand desroy (désordre), et par iceux pris, morts et détroussés, sinon aucuns qui se sauvèrent par fuite le mieux qu'ils purent ès bois et autres lieux. Et adonc ledit Hector, ce voyant, prit là messire Karados de Quesnes comme son prisonnier, afin de le sauver et le renvoyer; mais ledit Cornouaille lui ôta tantôt en disant qu'il n'avoit cause de le prendre, attendu qu'il avoit sauf-conduit de son capitaine. Et pource que ledit Hector ne voulut pas le laisser aller aux premières paroles, icelui Cornouaille lui donna de son poing, atout

(avec) son gantelet, sur le bras, et le repoussa assez durement, dont grandement fut troublé icelui Hector; mais il n'en put avoir autre raison parce que les Anglois étoient en plus grand nombre.

Toutefois ledit messire Karados, le sire de Flavi, et la plus grand' partie des hommes d'armes qui y étoient furent prisonniers desdits Anglois ; et ceux qui furent pris desPicards furent tous tués par iceux, pour tant qu'ils ne les osoient ramener à leurs logis pour le sauf-conduit dessusdit, excepté Harbonnières, qui fut pris d'Aubert de Folleville, et mené à Noyon, où il eut la tête coupée; et après ladite détrousse, s'en retournèrent les dessusdits Anglois, atout (avec) leurs prisonniers, à un village à deux lieues de Roye, et là se logèrent.

En outre, le dessusdit Hector de Saveuse, au plus tôt qu'il pût, retourna devers messire Jean de Luxembourg, et lui raconta l'état de la dessusdite détrousse, dont grandement fut troublé et ennuyé de ce que son sauf-conduit avoit été ainsi enfreint et rompu, et par espécial de ceux qui étoient sous sa conduite et de son armée. Pour quoi; tout ému, envoya devers Antoine, seigneur de Croy, lui signifier qu'il lui envoyât Butor de Croy, son frère, et aucuns autres de ses gens, qui avoient rompu son sauf-conduit, pour les punir. Et en ce cas pareil manda au seigneur de Longueval, qu'il lui envoyât le bâtard de Duvon, frère de sa femme. Mais les dessusdits de Croy et de Longueval ne voulurent pas à ce obéir; et

pour ce leur fut mandé, que s'ils ne les bailloient, ledit duc de Luxembourg les iroit querre de force en leur logis. Et lors ledit de Longueval dit que s'il y alloit, et il n'étoit plus fort, il ne les emmeneroit pas, et que ainçois (plutôt ) il conseilleroit qu'on le tuât.

Pour lesquelles paroles, et aucunes autres touchant icelles besognes, s'engendra grand' haine entre ledit de Luxembourg et les deux seigneurs dessusdits; laquelle haine dura long-temps après. Toutefois n'y eut pour le présent faite autre force, car les facteurs se partirent secrètement, et s'en allèrent où bon leur sembla. Et le lendemain messire Jean de Luxembourg, accompagné d'une partie de ses gens, alla voir le comte de Hautiton (Huntingdon) et Cornouaille à leurs logis, auxquels il recommanda ledit messire Karados de Quesnes, et autres prisonniers, qui avoient été pris sous bon sauf-conduit; mais néanmoins demeurèrent prisonniers. Et furent messire Karados et Charles de Flavi menés en Angleterre, où ils demeurèrent longue espace, et depuis furent mis à délivrance parmi payant grand' finance.

En outre, après que ledit de Luxembourg eut été certaine espace au logis desdits Anglois, il s'en retourna à Roye, et le lendemain licencia la plus grand' partie de ses capitaines et gens d'armes dessusdits; et s'en alla avec lui Hector de Saveuse, mettre garnison en ses forteresses sur la rivière de Sère, et sur les marches de Laonnois, à

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