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CHAPITRE CCXXIV.

Comment Philippe, comte de Charrolois, sut la piteuse mort de son père; le conseil qu'il tint sur ses affaires; et les trèves qu'il prit aux Anglois, et autres matières.

OR est vrai que Philippe, comte de Charrolois, seul fils et héritier du duc Jean de Bourgogne, étant à Gand, lui furent dites les nouvelles de la piteuse mort de son père. Pour lesquelles il eut au cœur si grand' tristesse et déplaisir, qu'à grand' peine, par aucuns jours, le pouvoient ses gouverneurs réconforter. Et quand madame Michelle deFrance, sa femme, et sœur du duc de Touraine, dauphin, le sut, elle en fut moult troublée et en grand ennui, doutant, entre les autres choses, que son seigneur et mari ne l'eût pour ce moins agréable, et qu'elle ne fût éloignée de son amour plus que par avant n'avoit été; ce qui pas n'advint; car, en dedans bref terme ensuivant, par les exhortations et amiables remonstrations que lui firent ses dessusdits gouverneurs, il fut très content d'elle, et lui montra aussi grand signe d'amour que par avant avoit fait. Et tôt après tint conseil avec ceux de Gand, de Bruges et d'Y pre; après lequel, sans le relever, prit possession de la comté de Flandre, et puis s'en alla à Malines, ой il eut parlement avec le duc de Brabant son cou

sin, Jean de Bavière, son oncle, et la comtesse de Hainaut, sa tante, sur plusieurs de ses affaires ; duquel lieu de Malines s'en retourna à Lille. Et de ce jour en avant se nomma duc de Bourgogne en ses lettres, prenant tous les titres qu'avoit le duc Jean, son père.

Et là vinrent à lui plusieurs grands seigneurs pour lui offrir leurs services; lesquels par avant avoient été serviteurs de son feu père. Si en retint une partie de son hôtel, et aux autres promit grands biens à faire. Vinrent aussi de Paris vers lui, maître Philippe de Morvilliers, premier président en parlement, et plusieurs autres gens notables; avecque lesquels, et ceux de son conseil, ledit duc conclut d'écrire aux bonnes villes qui tenoient le parti du roi et le sien, certaines lettres contenant que comme ils avoient tenu le parti de son père, ils voulsissent tenir le sien. Si manda à iceux aussi qu'il leur feroit impétrer trèves aux Anglois bien bref, et si leur fit savoir, qu'ils envoyassent de leurs gens devers lui à Arras le dixseptième jour d'octobre ; et que ceux qui y seroient envoyés eussent puissance d'accorder ce qui par lui leur seroit requis.

Et après, ledit duc de Bourgogne envoya ses ambassadeurs à Rouen, devers le roi d'Angleterre, afin d'impétrer les trèves dessusdites certaine espace de temps pour tous les pays étant en l'obéissance du roi et de lui. Laquelle ambassade firent l'évêque d'Arras, le seigneur de Thoulongeon, mes

sire Guillaume de Champ-Divers, messire Guillebert de Launoy, et aucuns autres ; lesquels impétrèrent, et obtinrent les dessusdites trèves, sur l'espérance de plus avant procéder avec lesdits Anglois.

Durant le quel temps les Dauphinois étoient à Com piégne et sur les marches, où ceux tenant la partie de Bourgogne recommencèrent comme devant à mener très forte guerre les uns aux autres. Et d'autre côté, la Hire et Pothon de Sainte-Treille (Xaintraille), et autres en très grand nombre, prirent la ville de Crespy en Laonois, et le châtel de Clarcy; par le moyen de laquelle prise la ville de Laon, les pays de Laonois et Vermandois, furent tenus en grand' sujétion. Et entre-temps, le dix-septième jour du mois d'octobre venu, vinrent à Arras devers le duc de Bourgogne, messire Jean de Luxembourg, et plusieurs autres seigneurs et capitaines, avec les commis des bonnes villes, qui avoient été mandés, comme dit est. Lesquels tous ensemble furent requis par le doyen de Liége, au commandement dudit duc, très affectueusement, et par espécial auxdits seigneurs et capitaines, que comme ils avoient servi son père, ils voulsissent servir à lui en une expédition laquelle il contendoit à faire prochainement, pour le bien du roi et de tout son royaume. Et pareillement fut requis à ceux des bonnes villes, qu'ils promissent de tenir son parti, et lui baillassent confort et aide, si besoin en étoit. Lesquelles requêtes, tant desdits seigneurs et capi

taines, comme de ceux desdites bonnes villes, lui furent accordées.

CHAPITRE CCXXV.

Comment le duc Philippe de Bourgogne fit faire un service à SaintVaast d'Arras, pour feutle duc Jean son père : et plusieurs autres matières suivant après.

Le treizième jour dudit mois d'octobre, fit ledit duc de Bourgogne faire un service en l'église SaintVaast d'Arras, pour le salut de l'âme du duc Jean son père. Auquel service furent les évêques d'Amiens, de Cambrai, de Therouenne, de Tournai et d'Arras, avec plusieurs abbés de Flandre, d'Artois et des pays à l'environ; et étoient en tout vingtquatre crosses. Et faisoient le deuil avec ledit duc, messire Jean de Luxembourg et messire Jacques de Harcourt; et dit la messe l'évêque d'Amiens. Durant laquelle messe prêcha frère Pierre Floure, docteur en théologie, de l'ordre des frères prêcheurs, inquisiteur de la foi en la province de Reims. Lequel prêcheur en sondit prêchement, désenhortoit ledit duc, tant qu'il pouvoit, qu'il ne prensît (prît) vengeance de la mort de son père, en lui remontrant qu'il requît à justice réparation à lui être faite, disant que si justice n'étoit assez forte, qu'il la devoit aider, et non par sa puissance

prendre vengeance, laquelle appartient à Dieu tant seulement; pour lequel propos et désenhortement, aucuns nobles là étant avec ledit duc, ne furent pas bien contents dudit prêcheur.

Après lequel service fait, vinrent audit lieu d'Arras, devers icelui dục, sire Jean de Sens, chevalier, docteur en lois et chancelier de feu le duc Jean, messire Andrieu de Valines, maître Jean d'Orles, avocat en parlement, Jean de Chaumesnil, et aucuns autres bourgeois, tous ensemble envoyés de par le comte de Saint-Pol et les Parisiens, devers ledit Philippe, pour savoir ce qu'il avoit volonté de faire. Auxquels ; après que joyeusement de lui et de ceux de son conseil eurent été reçus, fut dit qu'en dedans brefs jours ledit duc feroit traité et alliance avecque ledit roi d'Angleterre, par le consentement du roi de France; et avecque ce, de toute sa puissance, poursuivroit vengeance et réparation de la cruelle mort de son père.

Après lesquelles réponses et autres conclusions prises avec eux, s'en retournèrent à Paris pour reporter les nouvelles et entretenir les Parisiens, et autres villes sur les marches de l'Ile-de-France en bonne obéissance. Et ce fait, ledit duc de Bourgogne rassembla plusieurs notables seigneurs des plus féables de ses pays, tant d'église comme séculiers, avecque lesquels tint plusieurs détroits conseils, pour savoir comment il se avoit à conduire et gouverner selon les grands affaires qui lui étoient survenues, et par espécial de la mort de son père.

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