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et un secrétaire nommé maître Pierre Seguinat, avecque lesquels alla le dessusdit, jusques au-devant la première barrière du pont. Et derechef vinrent à l'encontre de lui les gens dudit dauphin, qui renouvelèrent les promesses et serments par avant faits et jurés entre les parties; et ce fait, dirent: « Venez devers monseigneur, il vous attend ci devant le pont. »

Après lesquelles paroles se retrahirent (retirèrent) devers leur maître et seigneur. Et adonc ledit duc demanda à ses conseillers dessusdits, s'il leur sembloit qu'il pût aller sûrement devers ledit dauphin, sur les sûretés qu'ils savoient entre eux deux. Lesquels, ayant bonne intention, lui firent réponse que sûrement y pouvoit aller, attendu lesdites promesses faites par tant de notables personnes d'une partie et d'autre ; et dirent que bien oseroient prendre l'aventure d'y aller aveeque lui. Sur laquelle réponse se mit en chemin, faisant aller une partie de ses gens devant lui, et entra en la première barrière, où il trouva les gens du dauphin, qui encore lui dirent : « Venez devers monseigneur, il vous attend. » Et il dit : « Je vois (vais) devers lui. » Et passa outre la seconde barrière, laquelle fut tantôt fermée à la clef, après que lui et ses gens furent dedans, par ceux qui à ce étoient commis. Et en marchant avant rencontra messire Tanneguy du Châtel, auquel, par grand il férit de la main sur l'épaule, disant au seigneur de Saint-George et aux autres de ses gens: « Vécy en qui je me fie. »

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amour,

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Et ainsi passa outre jusques assez près dudit dauphin, qui étoit tout armé, l'épée ceinte, appuyé sur une barrière; devant lequel, pour lui laire honneur et révérence, il se mit à un genou à terre, en le saluant très humblement. A quoi le dauphin répondit aucunement, sans lui montrer quelque semblant d'amour, en lui reprochant qu'il avoit mal tenu sa promesse, et n'avoit point fait cesser guerre, ni fait vider ses gens des garnisons, ainsi que promis avoit. Et entre temps messire Robert de Loire le prit par le bras dextre et lui dit : « Levez-vous, vous n'êtes que trop honorable. » Et ledit duc étoit à un genou, comme dit est, et avoit son épée ceinte; laquelle étoit, selon son vouloir, trop demeurée derrière lui, quand il s'agenouilla; si mit la main pour la remettre plus devant à son aise; et lors ledit messire Robert lui dit : « Mettez-vous la main à votre épée » en la présence de monseigneur le dauphin? >> entre lesquelles paroles s'approcha d'autre côté messire Tanneguy du Châtel, qui fit un signe, en disant : « Il est temps. » Et férit ledit duc d'une petite hache, qu'il tenoit en sa main, parmi le visage, si roidement qu'il chut à genoux, et lui abattit le menton. Et quand le duc se sentit féru, mit la main à son épée pour la tirer, et se cuida lever pour lui défendre; mais incontinent, tant dudit Tanneguy comme d'aucuns autres, fut féru plusieurs coups et abattu à terre comme mort. Et prestement un nommé Olivier Layet, à l'aide de Pierre Fratier,

lui bouta une épée par-dessous son haubergeon,

tout dedans le ventre.

Et ainsi que ce se faisoit, le seigneur de Nouailles, ce voyant, tira son épée à moitié pour cuider défendre ledit duc; mais le vicomte de Narbonne tenoit une dague en sa main, dont il le cuida férir. Et ledit de Nouaille vigoureusement se lança audit vicomte, et lui arracha sa dague des poings, et en ce faisant, fut féru d'une hache par derrière en la tête, si efforcément, qu'assez bref après il

mourut.

Et entre temps que ce se faisoit, le dessusdit dauphin, qui étoit appuyé sur la barrière dessusdite, voyant cette merveille, se tira arrière d'icelle, comme tout effrayé ; et incontinent, par Jean Louvet, président de Provence, et autres ses conseillers, fut remené à son hôtel; et d'autre partie Jean de Fribourg tira son épée, mais tantôt lui fit-on perdre par force de coups.

Finablement tous les dix, avec le secrétaire, qui étoient allés avec ledit duc, furent pris sans délai, excepté le seigneur de Nouailles, qui demeura mort sur la place, comme dit est, et le seigneur de Montagu, qui se sauva par-dessus la barrière vers le châtel. Et fut le seigneur de Saint-Georges navré au côté de la pointe d'une hache, et le seigneur d'Ancre d'une taillade en la main. Lequel seigneur de Montagu, quand il fut outre ladite barrière, cria très fort à l'arme. Et adone messire Antoine de Thoulongeon, messire Simon Otheli

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mer, Saubretier, et Jean d'Ermay, avec aucuns autres, s'approchèrent de ladite barrière, et commencèrent à lancer de leurs épées à ceux de dedans. Et en ce faisant ledit messire Simon fut navré en la tête; car ceux de la ville et desdites barrières s'éforcèrent de tous côtés à tirer arbalêtres sur les dessusdits; pourquoi, non pouvant entrer dedans icelle barrière, se retrahirent dedans ledit châtel. Ainsi et par cette manière fut ledit duc de Bourgogne cruellement mis à mort, sur la sûreté du duc de Touraine, dauphin de Viennois, et de ceux de son conseil. Laquelle besogne, tant seulement à ouïr raconter, est si piteuse et lamentable, que plus grande ne peut être ; et par espécial tous cœurs de nobles hommes, et autres prud'hommes natifs du royaume de France, doivent avoir grand' tristesse et vergogne, voyant si noble sang comme des fleurs de lys, tant prochains de lignage, eux-mêmes détruire l'un l'autre, et ledit royaume être mis, par le moyen des choses dessusdites et autres par avant faites et passées, en voie et péril de changer nouvel seigneur, et aller du tout à perdition.

Si furent les principaux faisant cette conspiration contre ledit duc de Bourgogne, Jean Louvet, président de Provence, le vicomte de Narbonne, messire Guillaume Batiller, messire Tanneguy du Châtel, messire François de Grimaille, messire Robert de Loire, Pierre Fratier, Olivier Layet, messire Ponçon de la Namac, sénéchal d'Auvergne, et aucuns autres. Lesquels, grand espace de temps

par avant avoient conclu, promis et juré l'un à l'autre de mener à fin cette besogne, comme ils firent. Et mêmement dès la première assemblée, qui fut faite entre iceux princes auprès de Pouilly-le-Fort, quand la paix fut faite entre eux, comme je fus informé, eurent volonté et intention de l'achever; mais lors fut délaissée, pour ce que ledit duc de Bourgogne avoit trop grand' puissance de gens d'armes; et aussi que lesdites parties étoient près l'un de l'autre aux pleins champs; pourquoi eût convenu qu'il y eût eu de trop grands meschef's en

tre eux.

En après, le seigneur de Jonvelle, et les autres, qui étoient dedans le châtel de Montereau, et auxquels ledit duc de Bourgogne l'avoit baillé en garde à son partement, furent moult émerveillés, et non pas sans cause, quand ils surent et virent les manières qu'on tenoit contre eux, tant pour la personne de leurdit seigneur et prince, dont encore ne savoient pas la vraie vérité de son état, comme pour les autres seigneurs qui étoient avec lui; et aussi pour eux-mêmes, qui étoient là sans avoir quelque provision de vivres ni habillements de guerre, sinon ce qu'ils avoient apporté, qui n'étoit pas grand chose; car, par avant leur venue, on avoit ôté toute l'artillerie et les vivres dudit châtel. Si eurent sur ce plusieurs imaginations, pour savoir s'ils se départiroient ou non; mais en la fin se conclurent l'un avec l'autre d'y demeurer, jusques à tant qu'ils auroient plus véritables nou

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