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s'assemblèrent en la maison de la ville pour avoir conseil, comment l'un avec l'autre ils se auroient à conduire envers le roi d'Angleterre. En la fin duquel conseil fut conclu et avisé, puisqu'ils avoient perdu l'espérance d'être secourus par le roi de France et le duc de Bourgogne, et avec ce, qu'ils n'avoient plus quelques vivres pour eux entretenir, il convenoit par nécessité qu'ils traitassent avec leurs adversaires. Et lors envoyèrent un héraut devers le roi d'Angleterre, pour avoir un saufconduit pour six hommes aller devers eux; lequel leur fut envoyé. Si ordonnèrent à faire cette ambassade deux hommes d'église, deux gentilshommes et deux bourgeois; lesquels étoient sages, prudents, et bien emparlés. Et allèrent tout droit devers la tente du roi; mais ils furent conduits par ses gens au logis de l'archevêque de Cantorbie, qui avoit la charge, avec le comte de Warwick, de traiter. Et après que ils furent ensemble, y eut plusieurs matières ouvertes, à savoir à quelle fin ils pourroient venir; mais pour cette fois ne purent oncques obtenir ni avoir quelque traité, sinon que tous les hommes d'icelle ville se missent en la volonté du roi d'Angleterre ; et sur ce s'en retournèrent sans autre chose faire iceux ambassadeurs en leur ville; et derechef assemblèrent grand nombre des plus notables avec plusieurs de la communauté présents; lesquels firent leur relation, qui leur sembla être moult étrange..

Et fut dit par tous ceux là étant, que mieux ai

meroient à vivre ou mourir tous ensemble en combattant leurs ennemis, que eux mettre en la sujétion et volonté d'icelui roi. Si se départirent pour ce jour sans rien conclure; et le lendemain revinrent ensemble en très grand' multitude. Et après plusieurs parlements, furent tous d'opinion de mettre un pan de mur sur étais par-devers la ville; et après, eux armés, et tous ensemble, hommes, femmes et enfants, quand ils auroient premier bouté le feu en divers lieux, abattroient le dessusdit pan de mur ès fossés, et s'en iroient où Dieu les voudroit conduire. Si se départirent à intention de lendemain par nuit mettre à exécution leur entreprise. Mais advint que le roi d'Angleterre fut de tout ce averti, et pour tant que tout son désir étoit d'avoir la dessusdite ville entière en son obéissance, fit feintement remander lesdits ambassadeurs dont dessus est faite mention, par l'archevêque de Cantorbie; avec lequel, et autres à ce commis, fut tant traité, que les parties furent d'accord par la manière ci-après déclarée.

Premièrement, fut ordonné que ledit roi d'Angleterre auroit de tous les bourgeois et habitants de ladite ville de Rouen la somme de trois cents et soixante-cinq mille écus d'or du coin de France, et trois hommes à faire sa volonté ; lesquels furent dénommés, c'est à savoir maître Robert de Linet, vicaire-général de l'archevêque de Rouen, lequel, durant ledit siége, s'étoit gouverné et conduit moult prudentement; le second fut un bourgeois nommé

Jean Jourdain, qui avoit eu le gouvernement des canonniers; le tiers fut nommé Alain Blanchart, qui étoit capitaine du menu commun, et avoit été le principal de ceux qui à l'autre fois avoient mis à mort messire Raoul de Gaucourt, bailli de Rouen, duquel en autre lieu est faite mention ; et avec ce, tous les habitants universellement jureroient au dessusdit roi et à ses successeurs, à tenir foi, loyauté, service, et toute obéissance, moyennant qu'il leur promettroit de les garder et défendre à l'encontre de tous ceux qui force ou violence leur voudroient faire; et aussi les tiendroit en leurs priviléges, franchises et libertés, lesquels ils possédoient du temps du roi saint Louis.

En outre; fut ordonné que tous ceux qui se voudroient partir de ladite ville, s'en iroient franchement, vêtus tant seulement d'aucuns de leurs habits, et le surplus demeureroit confisqué au roi. En après, fut aussi ordonné que tous les tous les gens d'armes mettroient tous leurs biens généralement en certains lieux déclarés ; et après qu'ils auroient fait serment audit roi d'eux point armer à l'encontre de lui, un an durant, il leur feroit bailler saufconduit, et les conduire outre ses détroits, vêtus chacun en ses habits accoutumés, à pied, le bâton au poing.

Après lesquels traités accordés et paraccomplis, et que ledit roi eut pleiges (gages) d'entretenir les choses dessusdites, ceux de ladite ville, en nombre compétent, allèrent quérir vivres à leur plaisir à

l'ost du roi; desquels vivres y avoit grand' abondance, et n'y valoit la chair d'un mouton que six sols parisis. Lequel traité fut du tout parfourni le seizième jour de janvier de cet an mil quatre cents et dix-huit '. Et le jeudi ensuivant dix-neuvième jour dudit mois, entra ledit roi d'Angleterre en grand triomphe et bobant (pompe) dedans icelle ville de Rouen, accompagné des seigneurs de son sang et autres nobles en très grand nombre. Et avoit un page derrière lui sur un moult beau coursier, portant une lance; à laquelle d'emprès le fer avoit attaché une queue de renard en manière de penoncel, en quoi aucuns sages notoient moult de choses. Et à son entrée, qui fut environ deux heures après midi, furent sonnées toutes les cloches de la ville.

A l'encontre duquel allèrent tous les gens d'église, c'est à savoir les abbés mitrés, et tous les autres vêtus de sacrés vêtements, portant plusieurs reliques; et en chantant menèrent ledit roi à la grand' église cathédrale de Notre-Dame; et là, devant le portail descendit à pied, et le chef nu entra révéremment en l'église, en laquelle à genoux il fit son oraison devant le grand autel; et après s'en alla loger dedans le châtel, et les autres chacun où ils purent le mieux.

Laquelle ville de Rouen ainsi conquise par icelui roi et de toute Normandie, avoit été en l'obéissance

1 Vieux style ou 1419, nouveau style.

I

des rois de France, depuis l'espace de deux cents et quinze ans, que le roi Philippe-le-Conquérant, tayon (aïeul) de saint Louis, l'avoit conquise sur le roi Jean d'Angleterre, comme confisquée par le jugement des pairs de France. Et le lendemain, ledit roi d'Angleterre fit couper la tête à Alain Blanchart, capitaine du commun; et les deux autres, qui étoient en sa volonté, furent depuis sauvés par force d'argent.

Et après, fit issir la garnison par la porte du pont, en côtoyant Seine ; et furent conduits jusques au pont Saint-Georges, par lequel on les fit repasser ; et là, par les commis du roi anglois, furent tâtés et épluchés tous; et leur fut ôté or, argent, vaisselle, joyaux, et autres bagues s'ils les avoient; et leur bailloit-on tant seulement deux sols. Et même aucuns gentilshommes furent dévêtus de bonnes robes fourrées de martres, ou chargées d'orfévrerie, et leur furent par iceux baillées autres de moindre prix pour quoi aucuns d'iceux de ladite garnison, étant derrière, voyant, comme dit est, leurs compagnons être ainsi détroussés, jetèrent plusieurs bourses, et trousselets dedans Seine, tout coyement, dedans lesquels avoient or, argent et autres joyaux. Et en avoit aucuns, qui par avant avoient fait ferrer leurs aiguillettes de pièces d'or, pour les porter plus secrètement. Et après qu'ils furent passés le pont Saint-George, s'en allèrent tous ensemble jusques à Pontoise; et là se départirent en plusieurs lieux, sinon les seigneurs qui allèrent de

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