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CHAPITRE CC.

Comment le duc de Touraine fit guerre; de la prise de la ville de Compiegne par le seigneur des Boqueaux; du mariage du duc de Brabant, et autres matières.

On est vérité qu'en ce temps, messire Tanneguy du Châtel, le vicomte de Narbonne, Jean Louvet, président de Provence, maître Robert Masson, et aucuns autres gouverneurs du duc de Touraine, dauphin de Viennois, qui s'étoient partis de Paris, comme vous avez ouï, le commencèrent de plus en plus à induire de faire guerre contre le duc de Bourgogne et ses favorisants, jà-soit-ce que par plusieurs fois le dauphin eût été sommé et requis de par le roi son père, la reine et le duc de Bourgogne, de retourner avec eux, en lui offrant à lui faire tout honneur et obéissance; néanmoins n'y voulut aucunement entendre, mais commença de toutes parts à faire guerre, et se nommoit régent du royaume de France.

Esquels jours vinrent huit hommes tenant son parti, armés, couvertement à la portede Compiègne, au lez vers Pierrefons, avec un charreton menant bois dedans la ville. Et quand ils vinrent sur le pont, ils tuèrent un des chevaux de la charrette; pourquoi on ne put lever le pont-levis. Et tantôt

tuèrent aucuns des gardes de la porte; et prestement à certaine enseigne qu'ils avoient ordonnée, vint le seigneur de Bosqueaux, atout (avec) cinq cents combattants qui étoient embûchés en la forêt; lesquels tantôt, sans trouver quelque défense, entrèrent dedans la ville, criant à haute voix : « Vive le Roi et le dauphin » ! Et de première venue, tuèrent un nommé Boutry, lequel y avoit laissé Hector de Saveuse pour gouverner son hôtel; et avec lui aussi furent occis aucuns autres. Et aussi le seigneur de Crevecoeur, lors gouverneur de ladite ville, de par ledit Hector, oyant cet effroi, se retrahit dedans la tour Saint-Cornille, et avecque lui le seigneur de Chierues, Robinet Ogier, et aucuns autres; mais ce rien ne leur valut, car tantôt les convint rendre. Et après, les dessusdits dauphinois, sans délai, fustèrent (pillèrent) toute la ville, prirent et ravirent tous ceux tenant la partie de Bourgogne, avecque leurs biens; et mêmement les habitants de la ville, qui aux dessusdits Bourguignons avoient été favorisants, furent pris, et leurs maisons pillées.

Ainsi, et par cette manière, recouvra le seigneur de Bosqueaux et ses aidants la ville de Compiègne, au nom du duc de Touraine, dauphin, pour lequel il commença à mener très forte guerre ès pays à l'environ. Et envoya ledit seigneur de Crevecœur et de Chierues prisonniers dedans le châtel de Pierrefons. Duquel châtel ils cuidèrent échapper par le moyen du frère dudit seigneur de Chie

rues, qui servoit et avoit long-temps servi le seigneur de Bosqueaux, mais leur fait fut aperçu. Pourquoi ledit seigneur de Bosqueaux fit couper la tête au dessusdit frère du seigneur de Chierues ; et depuis, par certaine finance, furent les deux dessusdits mis à délivre. Et adonc fut mise garnison dedans icelle ville de Compiègne, et y vint le seigneur de Gamache. Et par ainsi ceux qui tenoient la partie du roi et du duc de Bourgogne, furent moult travaillés par le moyen de ceux qui étoient en icelle ville de Compiègne.

Durant lequel temps, le duc Jean de Brabant épousa Jacqueline de Bavière, sa cousine germaine, comtesse de Hainaut, de Hollande, de Zélande et d'Ostrevant, et avecque ce étoit sa marraine : lequel mariage fut traité par Marguerite de Bourgogne sa mère, avecque les trois états des pays dessusdits, à bonne intention, sur l'espérance que les pays dudit duc et d'elle, qui joignoient l'un à l'autre, eussent plus grand' amitié et concordable amour ensemble. Toutefois, jà-soit-ce qu'elle s'y consentît, néanmoins n'en étoit pas bien contente, car elle savoit icelui duc être de petite et foible complexion, et avecque ce, de petit gouvernement, pour régir et gouverner ses pays et sa personne, qui étoit belle et bien formée, de noble et haut entendement en plusieurs manières.

Après lequel mariage paraccompli, la guerre qui étoit entre ladite Jacqueline et son oncle, Jean de Bavière, fut apaisée par certains moyens qui

se mirent entre eux. Et depuis, le dessusdit duc de Brabant et sa femme la duchesse étant à Mons en Hainaut, un certain jour, ainsi que le duc étoit allé chasser et ébattre dehors la ville, vinrent en l'hôtel de Natre, où résidoit messire Evrard, bâtard de Hainaut, frère à la duchesse, et aucuns autres de fait appensé ( prémédité), qui tuèrent le principal gouverneur dudit duc, nommé Guillaume de La Motte, lequel étoit couché tout malade sur un lit. Et étoit présent, messire Guillaume de Sars, lors bailli de Hainaut, auquel iceux défendirent de fait qu'il ne se bougeât; et après, sans avoir aucun empêchement, se partirent de ladite ville de Mons.

Pour la mort duquel, icelui duc, quand il vint à sa connoissance, fut moult troublé, car il l'aimoit par-dessus tous ses autres serviteurs; mais en la fin, par la duchesse sa femme fut aucunement rapaisé; laquelle, comme il fut commune renommée, fut assez consentante du cas dessusdit.

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CHAPITRE CCI.

Comment plusieurs capitaines furent envoyés de par le roi et le duc de Bourgogne, en la ville de Rouen; et du règne qu'eut un brigand nommé Tabary.

En ce temps furent envoyés de par le roi de France et le duc de Bourgogne plusieurs capitaines en la cité de Rouen, pour aider les habitants d'icelle à défendre leur ville contre le roi d'Angleterre et sa puissance, duquel chacun jour ils attendoient d'être assiégés: c'est à savoir, le seigneur de Bapaume, messire Jean de Neufchâtel, seigneur de Montaigu, messire Antoine de Thoulongeon, messire Andrieux de Roches, Henri de Chauffour, le bâtard de Thien, le grand Jacques, natif de Lombardie, Guérard, bâtard de Brimen, et plusieurs autres prud'hommes et renommés en armes. Avecque lesquels y étoient par avant messire Guy le Bouteillier, natif du pays, capitaine général de tous ceux de la ville, et Laghen, bâtard d'Arly ; lesquels capitaines dessusdits, tous ensemble, pouvoient avoir quatre mille combattants ou au-dessus, tous gens d'élite. Et si étoient les citoyens bien quinze mille hommes, bien armés et habillés selon leur état, prêts et désirant d'eux défendre contre tous ceux qui mal leur voudroient faire.

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