Télémaque, dans une assemblée des chefs de l'armée, combat la fausse politique qui leur inspirait le dessein de surprendre Venuse, que les deux partis étaient convenus de laisser en dépôt entre les mains des Lucaniens. Il ne montre pas moins de sagesse à l'occa- sion de deux transfuges, dont l'un, nommé Acante, était chargé par Adraste de l'empoisonner; l'autre, nommé Dioscore, offrait aux al- liés la tête d'Adraste. Dans le combat qui s'engage ensuite, Télé- maque excite l'admiration universelle par sa valeur et sa prudence: il porte de tous côtés la mort sur son passage, en cherchant Adraste dans la mêlée. Adraste, de son côté, le cherche avec empresse- ment, environné de l'élite de ses troupes, qui fait un horrible carnage des alliés et de leurs plus vaillants capitaines. À cette vue, Télé- maque, indigné, s'élance contre Adraste, qu'il terrasse bientôt, et qu'il réduit à lui demander la vie. Télémaque l'épargne généreu sement; mais comme Adraste, à peine relevé, cherchait à le sur- prendre de nouveau, Télémaque le perce de son glaive. Alors les Dauniens tendent les mains aux allies en signe de réconciliation, et demandent, comme l'unique condition de paix, qu'on leur permette Les chefs de l'armée s'assemblent pour délibérer sur la demande des Dauniens. Télémaque, après avoir rendu les derniers devoirs à Pisistrate, fils de Nestor, se rend à l'assemblée, où la plupart sont d'avis de partager entre eux le pays des Dauniens, et offrent à Télémaque, pour sa part, la fertile contrée d'Arpine. Bien loin d'ac cepter cette offre, Télémaque fait voir que l'intérêt commun des alliés est de laisser aux Dauniens leurs terres, et de leur donner pour roi Polydamas, fameux capitaine de leur nation, non moins estimé pour sa sagesse que pour sa valeur. Les alliés consentent à ce choix, qui comble de joie les Dauniens. Télémaque persuade ensuite à ceux-ci de donner la contrée d'Arpine à Diomède, roi d'Etolie, qui était alors poursuivi avec ses compagnons par la co- lère de Vénus, qu'il avait blessée au siége de Troie. Les troubles étant ainsi terminés, tous les princes ne songent plus qu'à se séparer Télémaque, de retour à Salente, admire l'état florissant de ia cam- pagne; mais il est choqué de ne plus retrouver dans la ville la ma- gnificence qui éclatait partout avant son départ. Mentor lui donne les raisons de ce changement: il lui montre en quoi consistent les solides richesses d'un État, et lui expose les maximes fondamen- tales de l'art de gouverner. Télémaque ouvre son cœur à Mentor sur son inclination pour Antiope, fille d'Idoménée. Mentor loue avec lui les bonnes qualités de cette princesse, l'assure que les dieux la lui destinent pour épouse, mais maintenant il ne doit songer qu'à partir pour Ithaque. Idoménée, craignant le départ de ses hôtes, parle à Mentor de plusieurs affaires embarrassantes qu'il avait à terminer, pour lesquelles il avait encore besoin de son se- save encore de les retenir en excitant la passion de ce dernier pour Antiope. Il les engage dans une partie de chasse, dont il veut don- ner le plaisir à sa fille. Elle y eût été déchirée par un sanglier, sans l'adresse et la promptitude de Télémaque, qui perça de son dard l'animal. Idoménee, ne pouvant plus retenir ses hôtes, tombe dans une tristesse mortelle. Mentor le console, et obtient enfin son con- sentement pour partir. Aussitôt on se quitte, avec les plus vives Pendant la navigation, Télémaque s'entretient avec Mentor sur les principes d'un sage gouvernement, et en particulier sur les moyens de connaître les hommes, pour les chercher et les employer selon leurs talents. Pendant cet entretien, le calme de la mer les oblige à relâcher dans une île où Ulysse venait d'aborder. Télémaque le rencontre, et lui parle sans le reconnaître; mais, après l'avoir vu s'embarquer, il ressent un trouble secret dont il ne peut concevoir la cause. Mentor la lui explique, et l'assure qu'il rejoindra bientôt son père: puis il éprouve encore sa patience, en retardant son dé- part, pour faire un sacrifice à Minerve. Enfin la déesse elle-même, cachée sous la figure de Mentor, reprend sa forme, et se fait con- naître. Elle donne à Télémaque ses dernières instructions, et disparaît. Alors Télémaque se hâte de partir, et arrive à Ithaque, LES AVENTURES DE TÉLÉMAQUE. LIVRE PREMIER. Télémaque, conduit par Minerve, sous la figure de Mentor, est jetë par une tempête dans l'île de Calypso. Cette déesse, inconsolable du départ d'Ulysse, fait au fils de ce héros l'accueil le plus favorable; et, concevant aussitôt pour lui une violente passion, elle lui offre l'immortalité, s'il veut demeurer avec elle. Pressé par Calypso de faire le récit de ses aventures, il lui raconte son voyage à Pylos et à Lacédémone, son naufrage sur la côte de Sicile, le danger qu'il y courut d'être immolé aux mânes d'Anchise, le secours que Mentor et lui donnèrent à Aceste, roi de cette contrée, dans une incursion de barbares, et la reconnaissance que ce prince leur en témoigna, en leur donnant un vaisseau phénicien pour retourner dans leur pays. CALYPSO ne pouvait se consoler du départ d'Ulysse. Dans sa douleur, elle se trouvait malheureuse d'être immortelle. Sa grotte ne résonnait plus de son chant : les nymphes qui la servaient n'osaient lui parler. Elle se promenait souvent seule sur les gazons fleuris dont un printemps éternel bor. dait son île; mais ces beaux lieux, loin de modérer sá douleur, ne faisaient que lui rappeler le triste souvenir d'Ulysse, qu'elle y avait vu tant de fois auprès d'elle. Souvent elle demeurait immobile sur le rivage de la mer, qu'elle arrosait de ses larmes ; et elle était sans cesse tournée vers le côté où le vaisseau d'Ulysse, fendant les ondes, avait disparu à ses yeux. Tout à coup, el.e aperçut les dé bris d'un navire qui venait de faire naufrage, des bancs de rameurs mis en pièces, des rames écartées çà et là sur le sable, un gouvernail, un mât, des cordages flottants sur la côte puis elle découvre de loin deux hommes, dont l'un paraissait âgé, l'autre, quoique jeune, ressemblait à Ulysse. Il avait sa douceur et sa fierté, avec sa taille et sa démarche majestueuse. La déesse comprit que c'était Télémaque, fils de ce héros. Mais, quoique les dieux surpassent de loin en connaissance tous les hommes, elle ne put découvrir qui était cet homme vénérable dont Télémaque était accompagné : c'est que les dieux supérieurs cachent aux inférieurs tout ce qu'il leur plaît ; et Minerve, qui accompagnait Télémaque sous la figure de Mentor, ne voulait pas être connue de Calypso. Cependant Calypso se réjouissait d'un naufrage qui mettait dans son île le filз d'Ulysse, si semblable à son père. Elle s'avance vers lui; et, sans faire semblant de savoir qui il est : D'où vous vient, lui dit-elle, cette témérité d'aborder en mon île? Sachez, jeune étranger, qu'on ne vient point impunément dans mon empire. Elle tâchait de couvrir sous ces paroles menaçantes la joie de son cœur, qui éclatait malgré elle sur son visage. Télémaque lui répondit: O vous, qui que vous soyez (mortelle ou déesse), quoiqu'à vous voir on ne puisse vous prendre que pour une divinité, seriez-vous insensible au malheur d'un fils qui, cherchant son père à la merci des vents et des flots, a vu briser son navire contre vos rochers? Quel est donc votre père que vous cherchez? reprit la déesse. Il se nomme Ulysse, dit Télémaque; c'est un des rois qui ont, après un siége de dix ans, renversé la fameuse Troie. Son nom fut célèbre dans tout la Grèce et dans tout l'Asie, par sa valeur dans les combats, et plus encore par sa sagesse dans les conseils. Maintenant errant dans toute l'étendue des mers, il a parcouru tous les écueils les plus terribles. Sa patrie semble fuir devant lui. Pénélope sa femme, et moi qui suis son fils, nous avons perdu l'espé rance de le revoir. Je cours, avec les mêmes dangers que lui, pour apprendre où il est. Mais que dis-je ? peut-être qu'il est maintenant enseveli dans les profonds abimes de la mer. Ayez pitié de nos malheurs ; et si vous savez, ô déesse! ce que les destinées ont fait pour sauver ou pour perdre Ulysse, daignez en instruire son fils Télémaque. Calypso, étonnée et attendrie de voir dans une si vive jeunesse tant de sagesse et d'éloquence, ne pouvait rassasier ses yeux en le regardant, et elle demeurait en silence. Enfin elle lui dit : Télémaque, nous vous apprendrons ce qui est arrivé à votre père. Mais l'histoire en est longue, il est temps de vous délasser de tous vos travaux. Venez dans ma demeure, où je vous recevrai comme mon fils: venez, vous serez ma consolation dans cette solitude, et je ferai votre bonheur, pourvu que vous sachiez en jouir. Télémaque suivait la déesse, accompagnée d'une foule de jeunes nymphes, au-dessus desquelles elle s'élevait de toute la tête, comme un grand chêne, dans une forêt, élève ses branches épaisses au-dessus de tous les arbres qui l'environnent. Il admirait l'éclat de sa beauté, la riche pourpre de sa robe longue et flottante, ses cheveux noués par derrière négligemment, mais avec grâce; le feu qui sortait de ses yeux et la douceur qui tempérait cette vivacité. Mentor, les yeux baissés, gardant un silence modeste, suivait Télémaque. On arriva à la porte de la grotte de Calypso, où Télémaque fut surpris de voir, avec une apparence de simplicité rustique, des objets propres à charmer les yeux. Il est vrai qu'on n'y voyait ni or, ni argent, ni marbre, ni colonnes, ni tableaux, ni statues: mais cette grotte était taillée dans le roc, en voûte pleine de rocailles et de coquilles ; elle était tapissée d'une jeune vigne qui étendait ses branches souples également de tous côtés. Les doux zéphirs conservaient en ce lieu, malgré les ardeurs du soleil, une délicieuse fraîcheur; des fontaines, coulant avec un doux murmure sur des prés semés d'amaranthes et de violettes, formaient en divers lieux des bains aussi purs et aussi clairs |