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Faites tout pour l'art!

En dépit des passions haineuses, parlez; en dépit des nullités, des impuissants, parlez, parlez. Dites ce que vous ont appris vos études, ce que vous inspirent vos convictions.

Nous ne prétendons pas persuader. Non! On ne persuade plus personne aujourd'hui. De nos jours chacun reste ferme dans ses idées, dans ses erreurs, dans ses caprices, dans ses folies, dans ses opinions!

Vers quel abîme marchons-nous, grand Dieu!

Un homme nie la lumière du soleil, il a des raisons pour soutenir cela. Fort de vos convictions, vous combattez cet homme et vous écrivez un volume. A vos raisonnements, cet homme répond par deux volumes d'absurdités; vous répliquez par trois volumes qui les réfutent; votre adversaire écrit quatre volumes de diatribes; vous en écrivez cinq, il en écrit six et ainsi jusqu'à cent.

Sans doute l'avenir fera justice. Peut-être ! Mais que résulte-t-il pour le moment de ce choc des passions? la lumière, répondez-vous? Erreur, erreur! il en résulte le dégoût, la haine, l'obscurité, l'incertitude, qui fait parfois renoncer à voir jamais la vérité triompher sur terre.

En attendant que la lumière se fasse en ce monde maudit, concluons :

Attendu que toute vérité peut être combattue, toute erreur soutenue;

Attendu qu'à tout argument qui affirme il y a un argument qui nie;

Attendu qu'ainsi aucune discussion ne peut finir, aucune discussion ne peut convaincre, nous conseillons ceci à tout homme qui écrit un livre à chaque phrase susceptible de controverse poser le signe suivant :

Ce signe représente une pile de volumes, qui rappellerait au lecteur un avis ainsi conçu :

Voici mon idée, voici mon opinion, voici ma conviction quelles que soient vos attaques, quelles que soient vos objections, quelles que soient vos paroles, je puis sans cesse vous répondre; j'ai cent volumes de répliques à vous opposer. Attaquez! pérorez! cherchez à me combattre dites ce que vous voulez! vous n'aurez point le dernier mot.

L'ART AUJOURD'HUI.

Qu'il y ait progrès ou qu'il y ait décadence, ne désespérons point de l'avenir de l'art. Les temps de progrès donnent les exemples à suivre, les temps de décadence les exemples à éviter.

Toute tentative tourne au profit de la science; l'avenir saura en tirer parti. Gloire cependant à ceux qui montrent le bon chemin !

LE PROGRÈS.

Tous nos désirs, tous nos travaux tendent sans cesse à l'entier accomplissement de notre volonté. Dompter le feu, dompter l'eau, dompter l'air, marcher comme l'éclair, parler aux deux pôles à la fois, déjà nous faisons toutes ces choses; notre volonté déjà commande. Nous ne nous arrêterons pas, ceci n'est qu'un commencement. Bientôt nous dirons à la vie : nous connaissons tes mystères. Bientôt nous dirons à la mort cesse de nous atteindre. Bientôt nous dirons à la matière prends cette forme; que ce corps prenne vie, qu'il marche, et le corps vivra, marchera.

La puissance attribuée à Dieu, un jour sera la nôtre. Tout ce que nous voyons ou touchons, tout ce que nos sens perçoivent est à nous. Terre, cieux, vous êtes notre domaine, nous vous posséderons un jour en maître et vous obéirez à notre voix.

Le côté impur de l'humanité, le côté qui sans cesse s'oppose au côté intelligent, n'empêchera point le progrès.

Amas odieux! vils crapauds, vils serpents, tas d'insectes gonflés d'envie, de bêtise et de lâcheté, foule stupide, de quelle fange sortez-vous?

Chaque jour nous sommes étonnés par de nouvelles découvertes, chaque jour la science révèle un monde nouveau, chaque jour l'esprit monte vers des régions inconnues, et toujours nous devenons plus haletants, plus émerveillés, plus étourdis des promesses de l'avenir.

Qu'est-ce que nos occupations journalières devant ce rêve éblouissant? Brouhaha d'un parterre avant le lever du rideau !

A mesure que l'humanité se rapprochera de son époque divine, elle portera ses regards vers les sciences qui nous initient aux secrets de la nature. Quand l'œuvre de la création sera devenue vieille, quand les grands engrenages seront usés, les soleils éteints, les mondes ébréchés, quand Dieu fatigué de diriger ces machines, dira: il est temps de laisser à l'homme cette tâche facile; à quels hommes pense-t-on que Dieu confie le gouvernement des affaires du monde?

Sera-ce à des rois, sera-ce à des ministres, à des diplomates, à des généraux; sera-ce à de grands financiers, à d'adroits joueurs de bourse, à d'habiles spéculateurs, à de riches particuliers?

Non, Dieu choisira des hommes de génie, des philosophes, des physiciens, des mathématiciens, des mécaniciens; les tout-puissants de l'art et de la science! les maîtres de l'idée et de la matière!

L'INDIVIDUALISME.

Sommes-nous en période ascendante? Sommes-nous de ceux que l'avenir répudiera?

Nous avons parlé de la foule stupide; elle comprend aussi la foule des idiots de l'art. Le mal fait des progrès toujours croissants. La sottise triomphe, le ridicule a du succès, la folie trouve des approbateurs. On ne saurait trop s'élever contre cet état de choses.

On veut aujourd'hui de l'originalité, mais hélas! c'est une originalité mal entendue, rêve cornu de notre époque!

L'art est l'œuvre de plusieurs, il ne peut être l'œuvre d'un seul.

Le premier qui traça le profil grossier d'un nez, d'une bouche, fit tout ce qu'il pouvait faire. Le second qui corrigea ce profil fit tout ce qu'il pouvait faire. Le troisième qui le rendit meilleur fit tout ce qu'il pouvait faire.

Quel que soit le génie d'un seul, il n'a qu'une petite part à donner, qu'une petite pierre à ajouter à l'édifice de l'art. Sans l'étude de ce qui nous a précédés, nous ne pouvons rien. Les grands talents toujours sont le résumé de l'expérience des autres. Sans l'étude des Grecs, du Pérugin, de Bartholoméo, de Michel-Ange, Raphaël restait médiocre. Sans l'étude de Vinci, de Michel-Ange, de Véronèse, de Titien, de Raphaël, Rubens n'était pas Rubens.

Chose remarquable! l'originalité des grands talents, c'est l'assemblage de toutes les originalités, c'est le suc de toutes les fleurs, formant un miel qui ne ressemble point aux sucs qui l'ont composé.

Nous sommes infectés aujourd'hui d'une étrange prétention, d'invention toute moderne.

Soyez original, disent nos grands maîtres à la mode; soyez vous-même! Que nous importent les œuvres du passé? Et sur ce, les voilà qui barbouillent, qui entassent

monceaux de couleurs sur monceaux de couleurs. Une peinture à gâchis, une peinture à moellons! n'est-ce pas original? Peindre avec le doigt, le coude ou le pied, c'est original. Colorer tout en bleu, tout en gris, tout en blanc, c'est original. Peindre nuageux, nébuleux, c'est original. Dessiner comme les Etrusques, les Egyptiens ou les enfants, c'est original. Découper toute chose comme des objets de carton, c'est original. Ne faut-il pas aussi, pour être soi, se créer un genre? Déjà nous avons plusieurs genres d'invention nouvelle. Nous avons le genre simple, le genre grotesque, le genre cocasse, le genre bizarre, le genre bête, le genre niais, le genre échevelé, le genre fou. Le tout s'exécute au mépris du vrai, au mépris du bon sens, du bon goût, des bonnes traditions.

On a toujours dit suivez les grands modèles. Nos génies à la mode se sont bien gardés d'écouter ce conseil. Suivre! se sont-ils dit, non pas! Fuir, c'est plus original. Donc, au lieu d'étudier Rubens, on a étudié les Étrusques; au lieu d'étudier Michel-Ange, on a étudié Carlo-Dolce; au lieu d'étudier Raphaël, on a étudié n'importe quel malheureux barbouilleur oublié.

Cela est capricieux, cela est sot, cela est déplorable; soit, c'est original! On n'a point suivi les maîtres. On ne ressemble ni à Raphaël, ni à Rubens, ni à Michel-Ange! Mais, ô malédiction! on ressemble à tout ce qu'il y a d'ordinaire, de médiocre, de mauvais, de pitoyable accompli, dans les temps primitifs ou de décadence!

L'originalité mal entendue, à tout hasard, ignorante, c'est le plus grand fléau dont l'art puisse être atteint.

L'originalité, la véritable originalité, c'est l'originalité aux qualités belles, grandes et sublimes. C'est l'originalité de Raphaël, nourrie des meilleures choses qui l'ont précédé; c'est celle de Michel-Ange, nourrie des meilleures choses qui l'ont précédé; c'est celle de Rubens, nourrie des meilleures choses qui l'ont précédé.

Nous l'avons dit plus haut, chaque intelligence n'a qu'une petite part d'individualité. Isolez un homme, que

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