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LES CENT NOUVELLES NOUVELLES.

Edition critique, philologique et littéraire.

De tous les genres de littérature cultivés en France, avant le xvin siècle, le conte est un de ceux qui méritent le plus de fixer notre attention. Ce genre, naturel au génie de la nation, avait déjà atteint un certain degré de perfection pendant le règne de saint Louis.

On sait que nos jongleurs récitoient, par les villes et les châteaux, des contes appelés fabliaux, dont ils empruntoient les circonstances soit à la tradition, soit aux aventures contemporaines. Ces fabliaux et les nombreux romans en prose, d'amour et de chevalerie, qui les suivirent, donnèrent naissance aux contes et aux nouvelles qui, dans les xve et xvIe siècles, ont signalé la littérature françoise et la rendent, aujourd'hui encore, digne de remarque.

Le recueil de contes, connu sous le nom des Cent Nouvelles Rouvelles, est un des livres les plus curieux de cette littérature. On trouve déjà, dans cet ouvrage, composé à la fin du xve siècle, plusieurs des qualités brillantes qui, plus tard, ont fait la gloire de nos meilleurs écrivains. Par la clarté du style et par la simplicité du récit, ce livre contraste singulièrement avec les compositions obscures et pédantesques des littérateurs attitrés de la même époque ; l'art du conteur y est souvent porté au plus haut degré; on peut enfin le considérer comme l'un des modèles de la vieille prose françoise.

Les différents récits qui composent ce recueil ont été faits à Genapé, petite ville du Brabant, dans l'intervalle des années 1456 à 1461, par les seigneurs, domestiques et familiers de Louis, Dauphin de France, qui fut depuis le roi Louis XI. Ce prince s'était réfugié auprès du duc de Bourgogne, pour échapper au ressentiment de Charles VII, son père. Le dauphin lui-même, le duc Philippe le Bon, et quelques-uns des plus grands seigneurs de la cour de Bourgogne, figurent au nombre des personnes qui racontèrent les Cent Nouvelles. Plusieurs de ces nouvelles ne sont rien de moins que des anecdotes contemporaines redites par ceux qui en avoient

été les acteurs ou les témoins. Ainsi les Cent Nouvelles nouvelles appartiennent à l'histoire et méritent d'être étudiées sous ce point de vue.

C'est dans le but de faciliter cette étude que j'ai entrepris la nouvelle édition de ce recueil.

Mais, pour que cette édition fût véritablement utile et pût remplacer toutes celles que l'on trouve communément dans le commerce, des travaux de différente nature étoient nécessaires.

Il falloit d'abord, à l'aide de quelque manuscrit ou de l'une des éditions princeps, rétablir dans sa pureté le texte primitif que des réimpressions nombreuses, toujours accompagnées d'altération, avoient entièrement défiguré. Il falloit encore retrouver quels étoient les différents personnages nommés comme auteurs en tête de chaque récit, puis chercher si chacun de ces récits étoit d'invention nouvelle ou imité d'un conte plus ancien ; enfin quelques détails sur la jeunesse de Louis XI, et sur son séjour à la cour de Bourgogne, devoient compléter ce travail destiné à l'intelligence des Cent Nouvelles nouvelles. Voici comment je me suis appliqué à en remplir les différentes parties.

Depuis le jour où ces contes furent récités, jusqu'au moment où on les imprima pour la première fois, ils furent en grande faveur dans les deux cours de France et de Bourgogne; plusieurs manuscrits, dont j'ai trouvé l'indication, mais qui ne paroissent pas être parvenus jusqu'à nous, le prouvent suffisamment. Parmi ces indications, il en est une d'après laquelle on peut croire que les Cent Nouvelles nouvelles, recueillies par l'un des personnages qui composoient la petite cour de Genape, furent présentées au duc Charles le Téméraire. Dans l'inventaire de l'ancienne bibliothèque des ducs de Bourgogne, on trouve un article ainsi conçu :

N° 1261. Ung livre tout neuf escript en parchemin à deux coulombes, couvert de cuir blanc de chamois, historié en plusieurs lieux de riches histoires contenant Cent Nouvelles, tant de monseigneur que Dieu pardonne, que de plusieurs autres de son hostel, quemenchant le second feuillet après la table, en rouge lettres colle qui se baignoit. Et le dernier : lit demanda (1).

(1) Bibliothèque protypographique, ou librairie des fils du roi Jean, Charles V, Jean de Berry, Philippe de Bourgogne et les siens. 1 vol. in-4, Pa ris, 1830 (page 185).

D'après cette indication, on peut croire que les Cent nouvelles ne furent rédigées qu'après la mort de Philippe le Bou, comme l'indiquent ces mots : tant de monseigneur que Dieu pardonne.

Les Cent Nouvelles nouvelles furent imprimées pour la première fois, en 1486, à Paris, par le célèbre libraire Antoine Vérard. Le roi Louis XI, qui se trouvoit l'un des auteurs de cet ouvrage, étoit mort depuis moins de trois années, et tout porte à croire qu'on attendit cet événement pour mettre au jour un recueil qui n'avoit pas été destiné au public. Cette première édition eut quelques succès, puisque le même libraire en publia une seconde presque aussitôt, mais qui n'est pas datée. Ces deux éditions, faites d'après un manuscrit de l'époque, sont fort exactes et contiennent seules le véritable texte des Cent Nouvelles nouvelles. N'ayant pas eu à ma disposition de manuscrit, c'est sur l'une de ces deux éditions, celle qui porte la date de 1486, que j'ai établi mon texte.

Quant aux éditions postérieures, c'est-à-dire à celles qui ont été faites depuis le xvre siècle jusqu'au XVIII, elles sont toutes plus on moins défectueuses. J'ai comparé avec le texte de 1486 une édition imprimée, à Paris, pour Michel Lenoir, dans la première moitié du xvre siècle, et j'y ai rencontré des changemens dans le langage et des fautes nombreuses. Si, à peine un demi-siècle après la publication du texte original des Cent Nouvelles nouvelles, ce texte avait déjà subi de grandes altérations, on ne doit pas être étonné de toutes celles qui défigurent les impressions postérieures. Je les ai examinées avec soin: non-seulement le langage si correct et si pur des Cent Nouvelles est altéré, mais encore des fautes grossières rendent souvent le sens inintelligible. Je ne citerai qu'un exemple emprunté à l'édition imprimée en 1701, en deux volumes in-12, et que les gravures, dessinées par Roinain de Hoogt, font rechercher des amateurs et portent à un prix assez élevé, quand elle se trouve dans le commerce. Dans la Nouvelle XXX, qui est intitulée les trois Cordeliers, le narrateur dit: Leurs mariz qui avoient assez, bien béu le soir, et qui se attendoient à l'appeau de leurs femmes c'est-à-dire à l'appel, à l'invitation de leurs femmes); dans l'édition de 1701, on a imprimé à la peau de leurs femmes, ce qui rend la phrase obscure et grossière. Quant aux fautes de langage, elles sont incalculables : dans une page de vingt-huit lignes, j'en ai souvent relevé plus de cinquante. Ces détails suffisent, je le crois, pour faire comprendre la nécessité d'un nouveau texte, si

l'on veut connoître les Cent Nouvelles nouvelles dans leur pureté originelle. Pour entreprendre utilement un travail de ce genre, il ne faut employer aucune des éditions postérieures à celle de 1486; mais il faut copier cette édition, et la reproduire dans toute son intégrité; c'est ce que j'ai fait en corrigeant avec patience, à la marge d'un exemplaire de 1701, toutes les fautes que je rencontrois.

Les différentes éditions des Cent Nouvelles contiennent, soit à la table, soit en tête de chaque récit, le nom de celui qui a fait ce récit. Ces narrateurs sont au nombre de trente cinq, en y comprenant Louis XI, qui raconta sept nouvelles, et le duc Philippe le Bon, qui en raconta trois. On y trouve aussi le nom de quelquesuns des plus grands seigneurs des cours de France et de Bourgogne ; par exemple, celui du connétable Louis de Luxembourg, comte de Saint-Paul, décapité par ordre de Louis XI, en 1475. Des noms comme ceux de Jean Lambin de Poncelet sont mêlés à ceux de la plus haute noblesse; ce sont, pour la plupart, des domestiques de la maison de Bourgogne, chargés par le duc de servir le dauphin, et qui passèrent plus tard en France, où le roi Louis XI chercha toujours à les attirer.

Je m'appliquerai à faire connaître, dans de courtes notices, ces différents personnages, et quel rôle ils ont joué pendant les règnes de Louis XI et de Charles VIII, dont plusieurs d'entre eux furent les principaux acteurs. Quelques-unes de ces notices se réduiront à peu de mots : il me suffira de rappeler le nom du personnage, sans donner une biographie qui ne renfermeroit aucun fait nouveau; mais il n'en sera pas ainsi du plus grand nombre de ces notices, consacrées à des hommes qui ont joué, dans l'histoire de la dernière moitié du xve siècle, un rôle important, et qui sont encore presque ignorés. Certains documens inédits jusqu'à ce jour éclairciront ces biographies. Ce travail, qui aura pour but de bien faire connoître tous ceux qui ont pris part à la composition des Cent. Nouvelles nouvelles, en augmentera l'importance.

J'ai dit, plus haut, qu'il était nécessaire de rechercher si chaque récit des Cent Nouvelles nouvelles était original ou imité, voici pourquoi: on lit, dans la préface du recueil, que les différentes aventures dont il se compose eurent lieu en France, en Allemagne, en Angleterre, en Hainaut, Flandre et Brabant, et après : « pour ce « qu'elles eurent lieu naguère, on les intitula Cent Nouvelles nou« velles. Ces paroles pourraient faire supposer que toutes les his- .

toires racontées dans ce recueil sont relatives à des anecdotes contemporaines; il n'en est rien malheureusement: plusieurs de ces histoires ne sont autres que d'anciens fabliaux déjà mis en œuvre par Boccace, Pogge ou quelques conteurs. Quoi qu'il en soit, le plas grand nombre des Cent Nouvelles nouvelles est original et paroît fondé sur des aventurės galantes arrivées dans les pays nommés plus haut. Si les Cent Nouvelles nouvelles ont emprunté quelques traits aux fabliaux du moyen âge, en récompense elles ont servi bien souvent de modèles aux conteurs françois des trois derniers siècles, qui tous y ont largement puisé : la reine de Navarre, Bonaventure Desperiers et tant d'autres, jusqu'à notre la Fontaine, doivent aux Cent Nouvelles nouvelles plusieurs de leurs piquans récits. Il étoit donc aussi nécessaire de constater les imitations que les origines. Ce travail, tout entier de recherches, eût demandé plusieurs années d'étude, si des littérateurs, savans et laborieux, n'avoient pas pris le soin d'en réunir, avant moi, quelques parties. Aidé des travaux philologiques de le Duchat, de la Monnoye, de Legrand d'Aussy et de plusieurs autres, j'ai pu obtenir un ensemble, sinon complet, au moins très-satisfaisant. Le résultat de ces recherches, toujours assez longues, n'aura que peu d'étendue : quelques pages à la fin du second volume suffiront pour le contenir. Je me contenterai de placer dans deux colonnes, soit les origines, soit les imitations de chaque récit, en indiquant les ouvrages dans lesquels elles se trouvent.

La fuite de Louis, Dauphin de France, en Bourgogne ayant été la cause de la composition des Cent Nouvelles, j'ai cru nécessaire de faire connoître les événemens qui ont amené cette fuite, ainsi que ceux qui l'ont signalée. Il étoit d'autant plus convenable de tracer l'histoire de cette période de la vie du roi Louis XI, qu'aucun écrivain ne l'avait tenté jusqu'à ce jour, et que c'était une lacune de notre histoire qui méritoit d'être remplie.

On le voit, l'édition des Cent Nouvelles nouvelles que je me propose de publier (1) est un travail sérieux d'histoire et de philologie, dont l'importance ne peut pas être révoquée en doute; cette importance fera oublier aux personnes scrupuleuses la légèreté de la plupart des récits et le scandale qui pourroit en résulter.

LE ROUX DE LINCY.

(1) La souscription est ouverte à la librairie, place du Louvre, n. 12, à 8 fr. le volume. 2 forts volumes in-12 semblables à la collection des Romans des Douze pairs.

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