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ou toute autre liberté, est soumis au vote du peuple; au dépouillement, les bulletins se partagent ainsi :

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Voilà donc sept millions d'électeurs qui s'érigent en tuteurs ou en souverains de cinq millions de citoyens, ainsi réduits à la condition de pupilles ou de sujets. De quel droit?

Qu'est-ce qui me prouve que sur cette question c'est le chiffre le plus fort qui a raison contre le chiffre le plus faible, le chiffre 7 contre le chiffre 5?

Rien.

Donc, cette forme du gouvernement direct ne vaut guère mieux que toute autre forme indirecte de gouvernement.

Elle est tout aussi arbitraire.

Montesquieu, définissant le gouvernement républicain, s'exprime ainsi :

« Le peuple, dans la démocratie, est, à certains égards, le MONARQUE; à certains autres, il est le SUJET. »

Lorsque le peuple agit comme MONARQUE, je suis de l'avis d'Aristote: il ne vaut pas mieux que tout autre monarque.

Aristote écrivait :

« Un peuple, en tant que MONARQUE, a tous les caractères du tyran. Dans une démocratie absolue, et dans la tyrannie, vous retrouverez mêmes mœurs, même despotisme, même arbitraire dans les décrets du peuple et dans les ordonnances du tyran. Le démagogue et le courtisan ont les mêmes rapports de ressemblance, la même analogie; tous deux jouissent du plus grand crédit, le courtisan auprès du tyran, le démagogue auprès du peuple. »>

C'est pourquoi, depuis trois ans, je me suis appliqué sans relâche, et presque sans repos, à chercher comment il se pourrait que le peuple, afin de rester libre, ne fût ni SUJET ni MONARQUE.

C'est par l'analyse de l'autorité que je suis arrivé à la synthèse de la liberté.

J'ai décomposé d'abord ce qui compose l'unité nationale, puis l'unité communale, enfin l'unité individuelle; j'ai reconnu que ces trois unités distinctes forment trois cercles de grandeur inégale: le plus grand pouvant contenir le moyen, le moyen pouvant contenir le plus petit, sans qu'aucun des trois cesse d'avoir le diamètre qui lui était propre: ou, si on préfère une autre image: trois lignes parallèles de longueur différente dont la condition expresse est de ne jamais se rencontrer sous peine de cesser aussitôt d'exister.

La décomposition successive de ces deux unités m'a conduit à la découverte de l'UNITÉ ÉLECTIVE, RÉVOCABLE et RESPONSABLE, que je ne crains pas d'opposer à l'UNITÉ HÉRÉDITAIRE, IRRÉVOCABLE et IRRESPONSABLE, sur laquelle les légitimistes se fondent pour prétendre qu'un peuple ne peut se passer d'un roi.

Montesquieu définit ainsi la Démocratie :

« Lorsque, dans la République, le peuple en corps a la souveraine puissance, c'est une démocartie. »>

L'avantage qu'avait la Monarchie sur la Démocratie, c'était l'unité. Je crois pouvoir affirmer que la Démocratie a enfin trouvé la sienne, et que le problème que Jean-Jacques Rousseau, en écrivant le Contrat social, s'était posé sans réussir à le résoudre, a cessé d'être un problème.

Voici quels en étaient les termes :

« TROUVER UNE FORME D'ASSOCIATION QUI DÉFEND

ET PROTÉGE DE TOUTE LA FORCE COMMUNE LA PERSONNE ET LES BIENS DE CHAQUE ASSOCIÉ, ET PAR LAQUELLE CHACUN S'UNISSANT A TOUS, N'OBÉISSE QU'A LUI-MÊME ET RESTE AUSSI LIBRE QU'AUPARAVANT. »

Qu'y avait-il à faire?

La chose la plus simple.

Il y avait à demander à tous et à chacun:

Que voulez-vous mettre en commun, et que ne voulez-vous pas y mettre?

Poser cette question, c'était provoquer cette réponse : Je veux conserver ma liberté la plus entière: liberté de mon culte, liberté de mon esprit, liberté de mon cœur, liberté de mes bras, liberté de ma famille, liberté de mon patrimoine ou de mon épargne; je veux enfin que nul n'intervienne dans ce qui est l'exercice de ma puissance; je ne veux absolument mettre en commun, sous le nom de contribution ou d'assurance, que la somme nécessaire pour les dépenses suivantes : Justice indépendante de l'État ;

Force armée;

Voie publique;

Et, jusqu'à ce qu'elle soit éteinte:
Dette inscrite.

Dans cette réponse, qu'y a-t-il de faux, qu'y a-t-il d'exagéré ?

Provoquer cette réponse, c'était tracer de la façon la plus nette et la plus tranchée la ligne de démarcation : tout ce qui ne peut appartenir divisément à chacun, appartient indivisément à tous.

L'armée peut-elle appartenir divisément à chacun ? - Non.

La flotte peut-elle appartenir divisément à chacun ? - Non.

La voie publique peut-elle appartenir divisément à chacun ? Non.

Donc la voie publique, la flotte et l'armée, étant indivisibles, sont essentiellement et incontestablement collectives.

Prétendrait-on que l'UNITÉ HÉRÉDITAIRE, IRRÉVOCABLE et IRRESPONSABLE, qui se résume dans le mot Légitimité, est préférable à l'UNITÉ ÉLECTIVE, RÉVOCABLE et RESPONSABLE, telle que je l'ai puisée à la source même de la Liberté !

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Si l'on avait cette prétention téméraire, la combattre serait trop facile, car il n'y aurait qu'à dire : Combien, dans cette liste de soixante et onze rois qui ont régné sur la France pendant quatorze siècles, de 420 à 1850, en compte-t-on qui eussent mérité d'être élus et qui eussent été nommés, si le peuple français avait eu à les choisir et à leur confier, en toute liberté, ses destinées?

Le principe de la délégation héréditaire, le principe de la légitimité, condamne les peuples à subir les monarques les plus incapables, les plus cruels, les plus dépravés, les plus prodigues, les plus ambitieux, les plus lâches, les plus ingrats, ceux-là même qui ont perdu la raison. Quoique insensé, Charles VI n'a-t-il pas régné sur la France pendant quarante-deux ans? Mais, à sa mort, qu'est-il arrivé? Il est arrivé qu'après avoir signé à Troyes une paix honteuse avec Henri V, roi d'Angleterre, déclaré héritier du royaume de France, il laissa à Charles VII, son fils, la France à reconquérir sur les Anglais? Qui la reconquit? Ce fut-il Charles VII? Non; la reconquérir fut une pensée qui ne lui vint même pas, au milieu des plaisirs d'une cour dissolue, plaisirs qui l'absorbaient tout entier. Qui reconquit la France? Ce fut une jeune fille du peuple; ce fut Jeanne d'Arc, qu'il laissa lâchement brûler sur un bûcher sans la secourir, lâcheté qu'il expia par la peur

d'être empoisonné par son fils Louis XI, peur qui le condamna à se laisser mourir de faim.

Qu'on vante donc la légitimité, L'UNITÉ HÉRÉDI– TAIRE, IRRÉVOCABLE, IRRESPONSABLE!

Qu'on prouve donc qu'elle est préférable à L'UNITÉ ÉLECTIVE, RÉVOCABLE *, RESPONSABLE, telle que j'ai essayé de l'ériger en loi vivante, en générateur de la force publique, dont la liberté absolue n'ait jamais à craindre aucune explosion fatale!

Mais il ne suffit pas de vouloir la liberté de l'individu, il faut aussi vouloir la grandeur de la nation. Or, point de grandeur, mais, au contraire, rapide déclin là où l'on délibère toujours pour n'agir jamais. Sans unité, point d'initiative, point de liberté, point de responsabilité.

La responsabilité s'affaiblit, se divise et disparaît pour faire place à la solidarité.

La souveraineté du peuple qui ne se borne pas à la souveraineté du contrôle déchoit et dégénère en complicité.

D'ordinaire, le souverain se fait servir et paye qui le sert.

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Que faudrait-il penser d'un souverain qui se croirait

La constante révocabilité du gouvernement est ainsi admise en principe et en fait dans le préambule de la constitution de l'Etat de Pensylvanie:

« Les objets de l'institution et du maintien de tout gouvernement doivent être d'assurer l'existence du corps politique de l'Etat, de le protéger et de donner aux individus qui le composent la faculté de jouir de leurs droits naturels et des autres biens que l'auteur de toute existence a répandus sur les hommes; et toutes les fois que ces grands objets de gouvernement ne sont pas remplis, le peuple a le droit de le changer par un acte de la volonté commune, et de prendre les mesures qui lui paraissent nécessaires pour procurer sa sûreté et son bonheur. >>

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