Images de page
PDF
ePub

Il n'emprunterait plus; il prêterait.

Il prêterait à la Propriété foncière les quinze milliards dont elle est grevée à deux titres : titre hypothécaire et titre chirographaire, et qui la placent sous le coup de l'expropriation, toujours suspendue au-dessus de sa tête comme une menace de ruine et un arrêt de mort. Par le fait et indirectement, tout travailleur économe deviendrait ainsi prêteur sur hypothèque. Pour garantie du placement de son argent, il aurait la valeur du sol. En réalité, l'État ne serait qu'un intermédiaire remplissant la double fonction de receveur et de payeur de rentes ;

Il prêterait aux compagnies de grands travaux d'utilité publique qui lui présenteraient des garanties suffisantes ;

Il prêterait aux banques et comptoirs d'escompte qui lui auraient fait approuver leurs statuts.

Quiconque a vu dans le Nivernais et dans l'Allier quel admirable parti l'art de l'irrigation a su tirer des eaux, quel utile rôle il a su leur faire jouer pour la fertilité de la terre et la production de l'engrais, peut se rendre facilement compte des avantages d'un système financier qui recevrait et accumulerait dans un immense réservoir commun toutes les petites épargnes journalières, pour les distribuer ensuite savamment sous la forme de prêts hypothécaires et d'avances garanties, de telle sorte que les innombrables canaux du travail soient toujours alimentés de numéraire à bon marché.

Alors ce ne serait pas le travail justement rétribué qui manquerait aux bras, mais ce seraient les bras, en grand nombre, qui manqueraient au travail.

Plus les bras manqueraient, et plus les salaires s'élèveraient'; plus les salaires s'élèveraient, et plus la consommation, sous toutes ses formes, se développerait.

L'activité humaine est comme la vitesse mécanique, elle se multiplie par elle-même. Plus le travail va, et plus il tend à aller. C'est le contraire qui arrive dès qu'il se ralentit. A peine tend-il à diminuer, qu'il est près de se tarir.

Administrer des forêts, gérer des domaines, réparer des bâtiments, manufacturer des tabacs, fabriquer des poudres, vendre du latin et payer des messes, s'ingénier à faire obstacle à la consommation, conséquenment au travail, sous toutes les formes d'impôt les plus onéreuses, les plus vexatoires, exigeant une armée innombrable d'agents à pied et à cheval: telle est aujourd'hui la besogne de l'État, besogne qu'il fait très

mal et très chèrement. Une autre mission lui est réservée dans l'avenir, mission plus utile et plus simple: pour que l'État devienne la Providence terrestre de tous, il suffira qu'il soit le dépositaire des épargnes journalières de chacun.

S'il en était ainsi, tout travailleur serait rentier ou le deviendrait.

Alors, la police serait aisée, l'ordre facile, et les rẻvolutions impossibles; car, dans l'ordre politique aussi bien que dans l'ordre physique, sans cause, point d'effet.

Plus la puissance individuelle tend à se développer et à s'élever, plus la puissance indivisible tend à se restreindre et à décliner.

C'est là une vérité attestée par tous les faits, visible à tous les yeux.

Certes, s'il y avait trois choses qui fussent essentiellement indivisibles et qui concourussent presque exclusivement à former la puissance publique, c'étaient: L'armée;

La marine militaire;
La voie publique.

Eh bien, l'armée, par suite de l'immense développement des idées industrielles et pacifiques, tend à devenir de moins en moins nécessaire, conséquemment à se réduire, jusqu'à ce qu'enfin elle disparaisse presque entièrement, comme aux États-Unis.

La marine militaire tend également à disparaître, par suite des progrès et des nécessités de la marine marchande, à laquelle il faudra, pour se recruter, un personnel de plus en plus considérable.

Enfin, plus la voie publique se perfectionne sous la forme de chemins de fer, plus elle tend à échapper des mains de l'État pour passer aux mains de l'Industrie. Oui ou non, tout cela est-il vrai?

Au contraire, trois choses sont venues étendre presque à l'infini la puissance individuelle; ce sont : L'imprimerie;

La vapeur;

Le télégraphe électrique.

Oui ou non, tout cela est-il encore vrai?

Or, si l'on ne conteste à l'individu ni la liberté de croyance, ni la liberté de parole, ni la liberté d'enseignement, ni la liberté de la presse, ni la liberté du travail, ni la liberté du commerce, ni la liberté d'association, ni la liberté de réunion, ni même la liberté de refuser l'impôt transformé en assurance, quelles attributions restera-t-il à l'État? Je le demande, et j'ajoute : Si, désormais, c'est la puissance individuelle qui est forte, libre, invincible; si, au contraire, c'est la puissance indivisible qui est faible, limitée, désarmée, que deviennent les dangers d'usurpation et les craintes d'abus de pouvoir?

Nuls sont les uns, chimériques sont les autres.

Ce n'est plus en interrogeant le passé et l'histoire qu'il faut raisonner, c'est en interrogeant l'avenir et la science.

Du jour où la liberté religieuse a triomphé, tous les bûchers, tous les instruments de torture de la foi intolérante ont aussitôt disparu.

Du jour où toutes les libertés partielles dont le faisceau compose la liberté intégrale ne seront plus contestées et ne pourront plus être violées, immédiatement aussi s'écroulera tout l'échafaudage des lois arbitraires. L'État ne sera plus que l'axe sur lequel tournera la Société.

Alors, la Société, comme la Terre, tournera d'ellemême et sans effort.

La Liberté est à l'Autorité ce que l'aval est à l'amont d'un fleuve.

La Liberté rend la Force inutile, l'Autorité rend la Force indispensable.

En tout et partout, la Force tend à se transformer, soit par le progrès des idées, soit par le perfectionnement des arts.

Tels sont les problèmes qu'a résolus l'art mécanique appliqué aux industries les plus avancées, que le même travail qui eût exigé autrefois les bras de cent hommes, n'exige plus aujourd'hui que les mains d'un seul enfant; l'art social est appelé à réaliser les mêmes progrès, à résoudre les mêmes problèmes, à opérer les mêmes prodiges. Quand le mécanisme gouvernemental sera ce qu'il devra être, à la rigueur un enfant aussi suffira pour le mettre en mouvement.

Je suppose que, par suite de la réciprocité des échanges, de la solidarité des intérêts, du progrès des sciences, de la liberté des peuples et du déclin des gouvernements, la guerre ne soit plus qu'une tache de sang dans l'histoire, comme maintenant l'esclavage n'est plus qu'un souvenir monstrueux dans le passé ;

Je suppose que l'impôt, transformé en prime d'assurance, ait acquis le degré de perfection, de simplicité

et de certitude qui permettra d'en rendre le payement volontaire ;

Je suppose que tout travailleur, ayant concouru à accroître l'épargne collective, soit certain d'en retirer sa part légitime;

Je suppose que la publicité, organisée comme elle pourrait l'être, soit au crime ce que la vérité est à l'erreur, qu'elle en soit le plus sévère châtiment, et qu'elle le rende matériellement presque impossible;

Je suppose qu'il soit démontré, avec la clarté de l'évidence, que la liberté des religions, des opinions et des conventions, n'est dangereuse qu'autant qu'on essaye de la comprimer;

Je suppose que les Codes ne soient plus que des recueils de formules, des modèles d'actes utiles à consulter et bons à suivre;

Je suppose qu'il n'y ait plus qu'une règle pour mesurer toutes les actions des hommes, et que cette règle soit celle-ci :

NE FAITES PAS A AUTRUI CE QUE VOUS NE VOUDRIEZ PAS QU'IL VOUS FÎT;

Je suppose, enfin, qu'élevés à la grande école de la Mutualité, tous reconnaissent qu'ils ont intérêt à observer cette règle et à l'appliquer scrupuleusement; Je demande alors :

Ce qu'il y aurait à administrer ?

Que deviendrait la puissance indivisible?
Que ferait l'Autorité ?

J'en serais fâché pour elle, mais l'Autorité n'aurait plus de rôle à jouer en aucun pays où luirait dans tout son jour la Publicité, où prévaudrait dans sa plénitude la Liberté.

Si l'Autorité ne se croit pas ou ne se prétend pas infaillible, ce n'est plus l'Autorité.

Ou l'Autorité est la Vérité, ou elle est l'Erreur.

« PrécédentContinuer »