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Des siècles se sont écoulés pendant lesquels la Terre n'a pas été comptée au nombre des planètes; longtemps on a cru qu'elle était immobile. Un jour cependant, en 1632, on a découvert et démontré qu'elle tournait. Ce qui est arrivé à la terre, dans l'ordre astronomique, est aussi ce qui arrivera à la Liberté dans l'ordre politique. On s'effraye de la Liberté, on nie qu'elle doive tourner, elle n'en tournera pas moins. Comme la Terre, la Liberté a son orbite. Insensés qui vous décorez faussement du nom d'hommes d'État, laissez-lui donc décrire sa courbe! Tous les torts que vous lui imputez sont les vôtres et non les siens. Si vous pouviez arrêter le mouvement de la Terre, en vérité, vous l'arrêteriez, et ensuite vous vous en prendriez à elle de tous les désastres dont vous auriez été seuls la cause. Tentez d'arrêter le cours d'un fleuve, il débordera! Vous faites des lois arbitraires, en sens opposé des lois absolues; vous faites des lois positives en sens opposé des lois naturelles, et vous vous étonnez que le monde soit, à chaque pas qu'il fait vers l'avenir, menacé de rouler dans l'abîme? Bossuet a dit : « Le Monde s'agite et Dieu le mène; » moi, je dis : Si le Monde s'agite, faux hommes d'État, usurpateurs d'une puissance abusive, c'est que vous avez la prétention de le mener. Cessez de vouloir le mener, et il cessera de s'agiter!

La liberté individuelle a des limites que la nature lui a assignées; ne tentez ni de les restreindre ni de les étendre. Telles qu'elles existent, respectez-les. Dès qu'on les respecte, l'œuvre des gouvernements est facile, car ils n'ont plus qu'à rechercher ce qui, par essence, est collectif, c'est-à-dire indivisible, conséquemment indivis.

Je comprends la liberté humaine et l'art social comme les a définis un célèbre professeur, M. Cousin, dont le témoignage ne sera pas suspect :

« Le droit naturel repose sur un seul principe, qui est la SAINTETÉ DE LA LIBERTÉ DE L'HOMME. Le droit naturel, dans ses applications aux diverses relations des hommes entre eux et à tous les actes de la vie sociale, contient et engendre le droit civil. Comme en réalité LE SEUL SUJET DU DROIT CIVIL EST L'ÈTRE LIBRE, le principe qui domine le droit civil tout entier est LE RESPECT DE LA LIBERTÉ; LE RESPECT DE LA LIBERTÉ S'APPELLE LA JUSTICE.

» La justice confère à chacun le droit de faire tout ce qu'il veut, sous cette réserve, que l'exercice de ce droit ne porte aucune atteinte à l'exercice du droit d'autrui.

» L'HOMME QUI, POUR EXERCER SA LIBERTÉ, VIOLERAIT CELLE D'UN AUTRE, MANQUANT AINSI À LA LOI MÊME DE LA LIBERTÉ, SE RENDRAIT COUPABLE. C'EST TOUJOURS ENVERS LA LIBERTÉ QU'IL EST OBLIGÉ, QUE CETTE LIBERTÉ SOIT LA SIENNE OU CELLE D'UN AUTRE. Tant que l'homme use de sa liberté sans nuire à la liberté de son semblable, il est en paix avec lui-même et avec les autres. Mais aussitôt qu'il entreprend sur des libertés égales à la sienne, il les trouble et les déshonore, il se trouble et se déshonore lui-même, car il porte atteinte au principe même qui fait son honneur et qui est son titre au respect des autres.

>>> La paix est le fruit naturel de la justice, du respect que les hommes se portent ou doivent se porter les uns aux autres, à ce titre qu'ils sont tous égaux, c'est-à-dire qu'ils sont tous libres.

>> La société est le développement régulier, le commerce paisible de toutes les libertés, sous la protection de leurs droits réciproques. LA SOCIÉTÉ N'EST PAS L'OEUVRE DES HOMMES ; C'EST L'OEUVRE MÊME DE LA NATURE DES CHOSES. Il y a une société naturelle et légitime, dont toutes nos sociétés ne sont que des copies plus ou moins imparfaites. A cette société correspond un gouvernement tout aussi naturel, tout aussi légitime, envers lequel nous sommes obligés, qui nous defend et que nous devons défendre, et en qui nous avons le devoir de placer et de soutenir la force nécessaire à l'exercice de ses fonctions.

>> Mais la force qui doit servir peut nuire aussi. L'ART SOCIAL N'EST AUTRE CHOSE QUE L'ART D'ORGANISER LE GOUVERNEMENT DE MANIÈRE À CE QU'IL PUISSE TOUJOURS

VEILLER EFFICACEMENT À LA DÉFENSE DES INSTITUTIONS PROTECTRICES DE LA LIBERTÉ, SANS JAMAIS POUVOIR TOURNER CONTRE CES INSTITUTIONS LA FORCE QUI LUI A ÉTÉ CONFIÉE POUR LES MAINTENIR. >>

Par la Justice faire équilibre à la Force et empêcher qu'aucun individu, indigne de porter le nom d'homme, puisse manquer « à la loi même de la Liberté; » c'est de la sorte que, moi aussi, je comprends l'art social, cet art d'organiser le gouvernement, que M. Cousin a parfaitement défini dans les lignes que je viens de citer.

Je suis d'accord avec M. Guizot, non le ministre, mais l'historien, s'exprimant ainsi :

« Au commencement, il n'y a point ou presque point de puissance publique... la liberté est réelle... Il y a simplement coexistence des libertés individuelles... La liberté périt... Cependant les individus, SEULS ÈTRES RÉELS, se sont développés. La société tend à revenir au libre développement des volontés individuelles... Que l'homme reprenne la liberté et l'exerce de plus en plus, c'est le but, c'est la perfection de la société. »

Aristote définit ainsi l'État :

« L'État n'est qu'une association d'êtres égaux et entre des êtres naturellement égaux, les prérogatives et les droits doivent être nécessairement identiques.

» Tout Etat a une tâche à remplir; et celui-là est le plus grand qui peut le mieux s'acquitter de sa tâche. »>

Aujourd'hui, qu'est-ce que l'Individu ?

-Rien.

Désormais, que doit-il être?

- Tout.

Aujourd'hui, qu'est-ce que l'État?

- Tout.

Désormais, que doit-il être?

Rien.

Rien.... qu'une société nationale d'épargnes collectives et d'assurances mutuelles.

Assurance mutuelle contre le risque de guerre, le risque d'incendie, le risque d'inondation, le risque de misère, etc., etc.

L'État doit être un assureur contre le risque de guerre, au moyen d'une armée et d'une marine, volontairement recrutées, et qui devront l'une et l'autre se réduire successivement à mesure que s'affaiblira luimême le risque de guerre continentale ou navale.

L'État doit être un assureur contre le risque de misère, au moyen du versement de UN CENTIME PAR HEURE DE TRAVAIL, effectué indistinctement par tous les travailleurs salariés de l'Industrie et de l'État, fonctionnaires officiels ou fonctionnaires libres, employés rétribués sur le profit, ou rétribués sur le budget.

L'État doit être un assureur contre les risques d'incendie, d'inondation, de grêle, de gelée, de naufrage, d'épizootie, au moyen du payement d'une prime spéciale, diminuée de tous les frais de perception qui se font aujourd'hui double emploi les uns les autres, conséquemment plus faible que celle actuellement prélevée sur les propriétaires, les cultivateurs, les armateurs, etc., par les diverses compagnies d'assurances.

L'État, enfin, doit être un assureur contre les risques de trouble, de meurtre, de vol, de fraude, de fausse monnaie, etc., au moyen de tribunaux et d'une police institués à l'effet de les constater.

Rien de plus, rien de moins.

Alors les dépenses de l'État pourraient être considérablement réduites, et tous les rouages infiniment simplifiés.

La propriété indivise (on désigne ainsi ce qui, n'ap

partenant à personne, appartient à tout le monde) devrait se composer exclusivement de ce qui suit :

De toutes les routes de terre (nationales, départementales et chemins de grande communication) étant aux chemins communaux ce que sont aux veines les artères;

De tous les ponts, qui ne sont qu'un mode de relier entre elles les routes séparées par les deux rives d'une rivière ou d'un fleuve;

Des arsenaux;

Des vaisseaux de l'État et de ses chantiers.

Tous les édifices publics devraient être propriétés communales et exclusivement à la charge de la commune ou de la ville au service ou à l'embellissement desquelles ils concourraient.

Domaines et forêts, lesquels ne produisent qu'un faible intérêt, devraient être aliénés, et le prix de la vente en devrait être appliqué à la réduction de la dette publique, laquelle grève l'État d'un intérêt qui souvent excède 5 0/0, à servir sous le nom de rente. État et particuliers y gagneraient. •

Dans son rapport sur l'Assistance et la Prévoyance publiques, M. Thiers a calculé que si chaque travailleur, dès l'âge de vingt ans, faisait un versement annuel de 30 fr., ce qui suppose 10 centimes par jour et un centime par heure de travail, l'État recevrait par jour, de quatorze millions de personnes, la somme de quatorze cent mille francs, ce qui ferait au bout de l'année 420 millions et au bout de dix ans 21 milliards.

S'il en était ainsi, loin d'y voir un danger et un mal, il y faudrait voir une garantie et un bien.

Alors l'État serait naturellement, forcément, le grand réservoir métallique de l'Épargne et le grand distributeur du Crédit.

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