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L'unique question est donc de savoir si la Politique est susceptible de devenir une science exacte ayant des principes certains, absolus, incontestables, incontestés, invariables, qui tendent à devenir les mêmes en tous pays et en tout temps.

Je le crois.

Ce n'est qu'une question d'avenir.

Comme l'Homme et comme le Monde, la Politique a trois àges:

L'âge où les peuples se battent: l'âge de la Force et du Fer;

L'àge où les hommes se comptent: l'âge de la Liberté et de l'Or;

L'âge où peuples et hommes, réduits à l'impuissance de contester la vérité démontrée, cessent de se battre et de se compter: l'àge de la Science et du Crédit.

C'est cette conviction qui a donné naissance à ce livre d'un simple laboureur de la pensée, qui ne sait rien, si ce n'est que le grain semé dans le sillon se convertit en épi et que le gland foulé aux pieds des passants contient le chêne qui abritera des générations contre l'orage.

Laboureur de la pensée! Voilà tout ce que j'ai la prétention d'être; je n'ai nullement celle de me croire le propriétaire des idées que j'émets ou que je recueille, que je sème ou que je vanne.

De toutes les paternités, la paternité des idées est la plus douteuse, conséquemment celle qu'il est le moins permis de revendiquer. Qui a engendré une idée? On ne le sait jamais bien. Aussi ne tiens-je compte que de la priorité d'application; je préfère l'idée mère à l'idée vierge, le fruit greffé au fruit sauvage. Rowland-Hill est le véritable inventeur de la réforme postale, non point par droit de conception, car ce n'est pas à lui qu'est venue la première idée de la taxe uniforme *, mais par droit d'application. Qui le premier a découvert la vapeur? Est-ce Héron d'Alexandrie, 120 ans avant notre ère? Est-ce Blasco de Garay, en 1543? Est-ce Mathésius, en 1563? Est-ce Flurance Rivault, en 1605? Est-ce Salomon de Caus, en 1615? Est-ce Branca, en 1629? Est-ce Worcester, en 1633? Est-ce Papin, en 1690? Est-ce Watt, né en 1736 et mort en 1819? Qu'importe!

Dès qu'une idée me paraît bonne, me paraît mûre, je ne me fais aucun scrupule de me l'assimiler, pas plus que je ne me fais de scrupule d'ouvrir les yeux à la clarté du jour, ou les poumons à l'air qu'ils ont besoin de respirer.

Le nouveau n'est pas ce que je cherche; ce que je cherche, c'est l'idée juste. L'homme n'invente pas, il observe. J'observe, et où j'aperçois un principe fécond,

Je l'avais proposée en 1832 à M. Conte, directeurgénéral des postes; elle n'a été appliquée en Angleterre qu'en 1840.

je me demande aussitôt comment il serait possible d'en tirer toutes les conséquences utiles, d'en étendre toutes les applications fructueuses?

Ce livre est une esquisse de l'Avenir tel que je l'entrevois. J'y propose les idées que je crois justes; je ne les impose pas. Pour moi, la liberté n'est pas un vain mot; c'est un principe, auquel je ramène tout, auquel je subordonne tout. Il se peut que les idées que j'expose ne soient ni les plus justes, ni les plus simples. Dans ce cas, je déclare à l'avance, de la manière la plus formelle, qu'il ne m'en coûterait absolument aucun sacrifice d'amour-propre de les abandonner pour adopter celles qui se recommanderaient par une simplicité et par une justesse plus grandes.

Tout vérifier sans prévention, ne rien condamner sans examen; telle est la méthode à laquelle la science et l'industrie ont dû toutes leurs conquêtes, tous leurs progrès. Pas de progrès sans essais. Puisque cette méthode, qui est celle de la Liberté, a si parfaitement réussi à l'industrie et à la science, pourquoi ne pas l'étendre à l'économie sociale et à l'administration publique? Le péril des révolutions périodiques serait-il donc moindre que le danger des essais successifs? Sur une échelle réduite, tout peut se vérifier sans perturbation. Cette échelle s'offre d'elle-même, c'est la Commune. Ce qu'un État ne saurait entreprendre sans tout bouleverser, une Commune peut l'essayer sans rien troubler. C'est ainsi qu'un procédé nouveau ou qu'un

mécanisme perfectionné passe de la manufacture qui l'a adopté la première à la seconde qui l'imite, de la seconde à la troisième, et ainsi successivement.

Tout essayer, tout vérifier, tout simplifier: c'est la doctrine de l'Expérience substituée à la doctrine de l'Infaillibilité; c'est la mienne. L'homme n'est pas infaillible, il ne sait que ce que lui enseigne l'expérience et n'est certain que de ce qu'elle a démontré. Liberté entière de condamner mes idées; mais liberté entière pour toutes les idées de se produire. Que chacun fasse comme moi; que chacun creuse son sillon dans le vaste champ de la Liberté; que chacun cherche quelles sont les véritables lois de l'Humanité, afin de les appliquer à la Société ! Qui aura découvert ces lois aura trouvé l'Unité universelle.

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