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C'est ce que pensait Mably:

« Le vrai caractère de la souveraineté, son attribut essentiel, ainsi que l'ont démontré cent fois tous les jurisconsultes, c'est l'indépendance absolue, ou la faculté de changer les lois suivant la différence des conjonctures et les différents besoins de l'État. Il serait en effet insensé de penser que le souverain pût se lier irrévocablement par ses propres lois, et déroger d'avance aujourd'hui à celles qu'il croira nécessaire d'établir demain. Le peuple, en qui réside ordinairement la puissance souveraine, le peuple, seul auteur du gouvernement politique, et distributeur du pouvoir confié en masse ou en différentes parties à ses magistrats, est donc éternellement en droit d'interpréter son contrat, ou plutôt ses dons, d'en modifier les clauses, de les annuler et d'établir un nouvel ordre de choses. >>

C'est ce que demandait Danton en ces termes :

« Il faudra que le pouvoir exécutif soit élu par le peuple: il faudra l'investir d'une grande puissance et la balancer par une autre. »

C'est ce que voulait Robespierre quand il disait :

« Fuyez la manie ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner; laissez aux individus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit point à autrui ; laissez aux communes le pouvoir de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient pas essentiellement à l'administration générale de la république, rendez à la liberté individuelle tout ce qui n'appartient pas naturellement à l'autorité publique, et vous aurez laissé d'autant moins de prise à l'ambition et à l'arbitraire. »

C'est la mise en pratique de ces préceptes de Montesquieu :

« Le peuple qui a la souveraine puissance doit faire par lui-même tout ce qu'il peut bien faire ; et ce qu'il ne peut pas bien faire, il faut qu'il le fasse faire par ses ministres.

» Ses ministres ne sont point à lui, s'il ne les nomme : c'est donc une maxime fondamentale de ce gouvernement, que le peuple nomme ses ministres.

» Le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doil confier quelque partie de son autorité.

» Il n'a à se déterminer que par des choses qu'il ne peut ignorer, et des faits qui tombent sous les sens; il sait tres bien qu'un homme a été souvent à la guerre, qu'il y a eu tels ou tels succès. Il est donc très capable d'élire un général. Il sait qu'un juge est assidu, que beaucoup de gens se retirent de son tribunal contents de lui; qu'on ne l'a pas convaincu de corruption; en voilà assez pour qu'il élise un préteur. Il a été frappé de la magnificence ou des richesses d'un citoyen; cela suffit pour qu'il puisse choisir un édile.

» Toutes ces choses sont des faits dont il s'instruit mieux dans la place publique qu'un monarque dans son palais. Mais saura-t-il conduire une affaire, connaître les lieux, les occasions, les moments, en profiter? Non, il ne le saura pas. »

C'est le retour à cette vérité proclamée par M. P.-J. Proudhon :

« La division des pouvoirs est un reste de ce que nous appelons la POLITIQUE, et qui n'est que la déception éternelle de la liberté; c'est la scission de ce qu'il y a de plus radicalement indivisible, de ce dont la division implique la contradiction, la VOLONTÉ du souverain. Dans la société comme dans l'homme, les fonctions sont diverses, mais la volonté est essentiellement une. »>

C'est la prise en considération de ces observations, aussi justes que profondes, présentées au nom de l'École positiviste, par M. Littré, membre de l'institut de France:

« C'est par une vicieuse imitation du régime anglais que la chambre des députés intervient dans la création des lois. LA LOI EST ESSENTIELLEMENT UN ACTE DU POUVOIR EXÉCUTIF. Mais, dans le régime anglais, où il y a tant de restes de l'aristocratie féodale, le pouvoir central n'a pas acquis la prépondérance effective qu'il a obtenue dans notre pays, formé sous l'action énergiquement centralisante de la

monarchie et de révolution. Aussi ce pouvoir a-t-il été forcément démembré, et une partie de ses attributions est restée entre les mains du pouvoir provincial. Quand le régime anglais a été importé parmi nous, on a tout reçu en bloc; et les députés français, comme les membres du parlement anglais, se sont trouvés investis du droit de faire la loi.

>> Une loi décrétée par le pouvoir exécutif et sanctionnée par l'opinion publique est suffisamment valable. Il n'y a dans un pareil acte que ces deux parties désintéressées. Laissons les fictions et les rouages inutiles.

» Au reste, c'est revenir, dans la donnée et sous les conditions d'une société démocratique, à ce qui se pratiquait dans l'ancienne monarchie, et REPRENDRE NOTRE TRADITION un moment interrompue par le régime constitutionnel.

>>... En temps révolutionnaire, la durée du pouvoir ne se limite que par l'usage qu'on en fait. La perpétuité des uns, l'intervalle périodique des autres, sont des institutions sans consistance, à une époque où les circonstances changent ra· pidement et appellent de nouveaux organes pour une siluation nouvelle, à une époque où il n'importe pas moins, si on a trouvé des hommes vraiment politiques, de les garder le plus longtemps possible. Mais il faut prévoir le mauvais usage et la nécessité du changement. Ceci est une grave difficulté; on s'en rendra facilement compte si l'on réfléchit que le changement des pouvoirs précédents n'a été jusqu'à présent obtenu que par de sanglantes insurrections et au prix de coûteuses catastrophes. »>

Ces diverses opinions, ces diverses citations ne sauraient être trop sérieusement méditées par tous les hommes sérieux qui ont le sentiment du rôle immense et décisif que la France, livrée à l'essor de son génie, pourrait jouer dans le Monde.

A ce système si simple, qui a pour lui les épreuves de l'histoire, les traditions de la France, les autorités politiques les plus imposantes et les cautions démocratiques les moins contestables, quelles objections oppose-t-on et peut-on opposer?

Aucune qui soit sérieuse.

Il n'y a pas un régime, quel qu'il soit, sous lequel

une usurpation ne soit toujours plus ou moins possible. Je ne citerai ni l'Angleterre, où Guillaume d'Orange détrôna Jacques II; ni les États-Unis, où la royauté fut itérativement offerte à Washington; je ne citerai que la France. Chilpéric III est déposé par Pépin, qui s'empare du trône. Hugues Capet fait enfermer le successeur légitime de Louis V. Malgré les Constitutions de 1795 et de 1799, le général Bonaparte se fait du Consulat le marchepied qui l'élève jusqu'à l'Empire; et la Constitution du 4 novembre 1848 n'aboutit qu'à être supprimée le 2 décembre 1851. Aussi suis-je profondément convaincu que ce n'est pas dans les constitutions écrites que la puissance individuelle, la puissance communale, la puissance corporative, la puissance nationale, doivent chercher et trouveront des garanties efficaces contre l'arbitraire, l'usurpation et le despotisme; non, ces garanties efficaces, elles ne les trouveront qu'en se développant par la loi même de leur existence, comme l'enfant grandit, comme l'homme pense, comme le cheval tire, comme l'arbre pousse, comme le blé mûrit.

Ce qu'il faut donc chercher et trouver, c'est comment ces quatre puissances, par le mutuel appui qu'elles se prêteront, assureront leur inviolabilité commune et créeront une force sociale, de même que l'ajusteur qui assemble toutes les pièces d'une machine à feu doit vérifier les qualités et les proportions de chacune d'elles s'il veut prévenir le danger d'une explosion qu'il faut toujours prévoir. Cette explosion qu'on prévoit, c'est en effet, par une irréprochable construction qu'on la prévient.

C'est ce que j'ai cherché. J'ai cherché un mécanisme qui pût s'appliquer non-seulement à la France, mais successivement aux nations, solidaires entre elles; qui

développât les aptitudes de toutes et ne contrariât l'esprit d'aucune. L'ai-je trouvé ?

Peu importe que je l'aie ou non trouvé, si après moi tout le monde le cherche; car si tout le monde le cherche, quelqu'un le trouvera.

<< Donnez-moi un point d'appui, et je soulèverai le monde, » disait Archimède. En s'exprimant ainsi, ce n'était pas l'orgueil, c'était la vérité qui parlait par sa bouche.

A mon tour, je dis : « Pour soulever le monde nouveau, il suffit d'avoir pour levier l'unité d'impôt transformé en prime d'assurance, et pour point d'appui le vote universel: individuel et annuel, direct et secret, tel qu'il est appelé à se simplifier et à se perfectionner. >> Je suis persuadé qu'aussitôt que chacun saurait qu'il n'y a plus qu'à chercher et à trouver le procédé de vote universel le plus simple, le plus rapide, le plus infaillible, toutes les imaginations se tendraient comme des arcs, toutes les combinaisons s'étudieraient; ce serait à qui découvrirait le premier le mécanisme électoral le plus parfait et le mode d'administration publique le plus conforme au triple principe de la puissance individuelle, communale, nationale. Pendant que les esprits travailleraient ainsi à édifier, ils ne s'ingénieraient pas à détruire. Ce serait déjà un incontestable avantage. Le bon sens public n'aurait qu'à choisir entre tous les systèmes qui s'offriraient; s'il ne prenait pas le meilleur, s'il se trompait, l'expérience serait là pour le redresser.

Trouver à tout prix, - dût-on décerner une récompense nationale d'une valeur égale à celle offerte par l'empereur Napoléon pour encourager la fabrication du sucre de betteraves et la filature du lin, trouver à tout prix le meilleur mode de vote universel, comme on a trouvé le meilleur système métrique; telle est la

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