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absolument nulle, si l'assurance contractée parvenait à comprendre et à unir ainsi tous les Etats qui composent l'ancien continent.

Rien de plus facile à démontrer.

De toutes les puissances de l'ancien continent, une seule depuis la chute de l'empereur Napoléon, une seule empêche la paix de s'affermir et de se transformer en régime définitif, au lieu de n'être qu'une trève dispendieuse; une seule inquiète tous les autres peuples dans la conservation de leur indépendance, c'est la Russie *. Tous ont devant les yeux les membres palpitants de la Pologne.

Ce risque, qui impose à l'ancien monde une dépense annuelle égale au tiers de la totalité de ses autres dépenses, peut être exactement calculé et traduit en chiffres:La Russie entretenant une armée de 000,000 hommes et une flotte à voiles et à vapeur de 00,000 canons, entretenir proportionnellement, à frais communs, une armée et une flotte au moins égales en forces;

Si la France est seule sur l'ancien continent pour tenir la Russie en équilibre et en respect, la France sera seule pour subvenir à la dépense et pour en porter l'énorme poids; mais, si l'Angleterre s'unit à la France dans la même pensée de pacification, déjà cette dépense, étant partagée entre les deux nations, pèsera moitié moins; elle pèsera moins encore et toujours de moins en moins si la Belgique, la Hollande, la Suisse, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, l'Autriche, la Prusse, la Saxe, le Danemark, le Wurtemberg, la Bavière, la Turquie, etc., signent successivement au contrat d'as

A peine un an s'était-il écoulé depuis la publication de ce livre, imprimé à Bruxelles, en mars 1852, que les événements venaient confirmer la justesse des idées qui y sont exposées et montrer l'impuissance de l'ancienne politique de la paix armée au lieu de la paix assurée.

surance contre le risque de guerre, contrat dont l'initiative aura été prise par la France.

Enfin, cette dépense disparaîtra entièrement si la Russie elle-même, quoique attardée au cadran de la civilisation, reconnaît que le temps est passé de la guerre et de la conquête; que le temps est venu de la paix et de l'échange; qu'il ne s'agit plus de conquérir et de conserver, mais de produire et de consommer; que l'argent employé à solder des armées permanentes ne sert qu'à recruter l'armée de la misère; qu'à rendre plus lourd encore le lourd fardeau que portent les travailleurs; qu'à augmenter le prix de revient de tous les objets de consommation et qu'à diminuer ainsi le nombre des consommateurs, lorsque l'augmenter devrait être le but constant de tous les efforts judicieusement dirigés.

La guerre est donc un risque qui, après être devenu déjà de plus en plus rare, tend à devenir encore de moins en moins probable, et enfin à rentrer dans le néant, d'où la guerre n'aurait jamais dû sortir.

La paix permanente succède à la guerre intermittente; l'unité de l'ancien continent, détruite par la guerre, se rétablit par la paix.

Le monde ancien fait place au monde nouveau. Tous les rapports se simplifient en même temps qu'ils se multiplient.

Ce qui était problème devient solution; ce qui était obstacle devient moyen; ce qui était force de résistance devient force de propulsion.

Si la guerre n'avait jamais existé, il n'existerait pas de nations; les nations sont filles de la guerre.

En effet, une nation n'est qu'un faisceau d'habitants unis par la nécessité de se défendre contre le danger d'être conquis et enlevés à ce qu'ils considèrent, à tort ou à raison, comme leur indépendance.

De là cette tendance des peuples à reculer les limites de leur territoire jusqu'à la possession incontestée des frontières naturelles qui les abritent.

Cette tendance fut et sera juste aussi longtemps que le territoire le plus vaste et le moins accessible fut et sera la plus solide garantie de ses habitants.

Mais cette tendance ne sera plus qu'un anachronisme le jour où l'assurance, sous toutes ses formes, sera le lien de tous les hommes entre eux.

C'est là le point sur lequel il importe de se mettre d'accord, si l'on veut tirer le monde de l'ornière de sang dans laquelle il a trop longtemps et trop souvent versé.

mo

Quelque nom qu'elle prenne, qu'elle s'appelle sainte alliance des rois ou sainte alliance des peuples, restauration ou révolution, aristocratie ou démocratie, narchie ou république, il faut en finir avec cette vieille politique qui consiste à mener battre des hommes les uns contre les autres, et à les faire s'entre-tuer sous prétexte de donner à ceux-ci plus de gloire, à ceux-là plus de liberté.

L'histoire de tant de siècles et de tant de peuples est là pour attester que la guerre est un détestable moyen de fonder la paix; que jamais le triomphe accidentel de la force n'a produit le triomphe définitif du droit; qu'il n'est pas plus possible de ressusciter les nationalités qui ont cessé d'exister que les mortels qui ont cessé de vivre; que toute liberté conquise et non acquise est une liberté précaire.

L'arbre de la liberté ne pousse de racines et ne porte de fruits qu'où il a été semé et non où il a été transplanté.

Qu'une expérience si chèrement achetée profite donc enfin à ceux qui l'ont payée!

Qu'ils essayent, pour délivrer les peuples opprimés, d'un autre mode de libération que celui de la guerre, lequel n'a jamais abouti qu'à rendre ceux-ci moins libres et plus pauvres, et qu'à arroser de sang les champs de bataille!

Qu'au lieu de recourir à la guerre, ils recourent à l'assurance !

L'assurance est un moyen certain d'arriver au désarmement d'abord relatif et finalement absolu.

Cinq, dix, quinze, vingt États qui auraient formé une assurance commune et mutuelle contre le risque de guerre territoriale et maritime, pouvant entretenir, à peu de frais pour chacun d'eux, une armée de terre et une armée de mer défensives, incontestablement supérieures à l'armée de mer et à l'armée de terre offensives dont ils auraient considéré l'agression comme un risque possible et probable, il découle de soi-même que la puissance isolée ou collective, qui s'imposerait une si lourde dépense pour n'aboutir qu'à la constitution d'une force manifestement inégale, ne tarderait pas à proposer de désarmer et à faire elle-même partie de l'assurance contractée contre le risque de guerre territoriale et maritime.

Alors disparaîtrait entièrement le risque et par suite la dépense.

La pacification de l'ancien monde serait accomplie. Accomplie sans guerre, sans bataille, sans victoire qui enivre, sans défaite qui humilie.

Le nœud des nationalités se dénouerait de lui-même. Qu'importerait à la Pologne, par exemple, de revivre ou de ne pas revivre sous son nom, si tous ceux qui naîtraient sur son territoire y naissaient avec les mêmes droits, les mêmes avantages, les mêmes libertés, les mêmes garanties que s'ils étaient nés sur la partie de l'ancien continent appelée Angleterre ou France;

s'il n'y avait plus, sous ce rapport, de différence et d'inégalité entre le Polonais et le Russe, l'Italien et l'Autrichien, l'Anglais et le Français; s'il n'y avait plus partout que des hommes libres ou affranchis par la paix !

La paix est ce qu'il y a de plus révolutionnaire; la guerre, conséquemment, est ce qu'il y a de plus contrerévolutionnaire, alors même que sur ses drapeaux sont inscrits ces mots menteurs : révolution, liberté, égalité, fraternité.

Qu'on le reconnaisse donc et qu'on ne s'y méprenne plus !

Qu'au lieu de poursuivre des chimères telles que l'unité de l'Allemagne, l'unité de l'Italie, la résurrection de la Pologne, la délivrance de l'Irlande, la disparition de la Turquie, la pacification de l'Europe par le remaniement de sa carte, telle que l'ont dressée des siècles de guerre, on s'attache à réaliser l'unité continentale!

Il est rare que prendre les questions par leur côté le plus étroit soit le moyen le plus facile de les résoudre; cependant c'est ce qu'on fait communément.

En se proposant pour but l'unité continentale et pour moyen de l'atteindre l'assurance mutuelle, toutes les nations gagnent à l'adoption de ce but et de ce moyen; aucune n'y perd.

La question de savoir qui possédera, conservera ou s'emparera des détroits voit décroître immédiatement toute son importance.

Les isthmes se percent.

La navigation devient plus rapide et plus sûre. Les chemins de fer refont ce que les frontières avaient défait.

Le télégraphe électrique étend sa toile en tous sens. Les échanges se multiplient à l'infini.

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