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plication, que je souhaite sans l'espérer, m'apprendra la discussion que je provoque.

Les neuf livres qui précèdent, mûrement médités, ont été rapidement écrits dans l'exil, où je suis privé de la plupart de mes notes, patiemment amassées; il n'y faut donc voir que l'imparfaite ébauche d'un tableau dont je me propose de faire l'œuvre de toute ma vie. La pensée fraternelle du lecteur sympathique saura suppléer ce qui manque et rectifier ce qui devra être rectifié. J'ai compté sur elle.

L'expérience de tous les temps et de tous les pays, à l'exception des États-Unis, exception qui s'explique d'elle-même, a démontré ce que valaient et ce que duraient les constitutions écrites. Il fallait donc combler cette ornière pour n'y plus verser. Assez et trop de constitutions ont été tracées sur le papier. Il fallait faire ce que fit le premier homme sensé qui, au lieu de disserter sur le mouvement qu'on niait, marcha. Il fallait faire ce qu'a fait le mécanicien qui, remontant pratiquement des effets aux causes, s'est appliqué à rendre plus rares les explosions originairement si fréquentes des machines à vapeur; il fallait faire ce qu'a fait l'horloger des mains duquel sortent les plus irréprochables chronomètres; il fallait entreprendre le mécanisme de la liberté ; il fallait en construire tous les rouages, en ajuster toutes les pièces; il fallait enfin transporter de la tribune dans l'atelier la liberté, et la mettre en œuvre au lieu de la mettre en paroles. Commencer par exercer ses droits est plus sûr et plus prompt que commencer par les proclamer. Les droits qu'on exerce se règlent d'eux-mêmes et se rectifient par l'usage, tandis que le plus petit abus suffit pour détruire les droits qui n'existent qu'à l'état de Déclaration. Déclaration des droits! c'est le mot consacré.

Placé devant l'étau, j'ai donc tenu le marteau et la

lime, et de même que s'y prend le constructeur de machines pour construire un générateur de force, je m'y suis pris pour construire un générateur de liberté.

Il y avait dans cette entreprise une double difficulté à vaincre, et contre laquelle on avait toujours échoué. Il fallait que la puissance indivisible conservât une force assez grande pour suffire à son œuvre, sans avoir jamais à craindre d'ètre faussée ni brisée, et cependant que cette force ne fût pas telle qu'elle pût usurper et jamais mettre en question et en péril la puissance individuelle. Le moyen de vaincre cette double difficulté, c'était : premièrement, de définir avec précision ce qu'il fallait entendre par puissance indivisible et par puissance individuelle; c'était de tracer la ligne de démarcation entre la puissance de l'État et la puissance de l'Individu avec une telle certitude que jamais ces deux puissances, renfermées chacune naturellement dans son orbite, ne pussent jamais se rencontrer et se heurter; c'était, deuxièmement, de placer entre la puissance nationale et la puissance individuelle deux puissances intermédiaires : la puissance communale et la puissance corporative, et au-dessus de ces quatre puissances une puissance suprême, la puissance judiciaire; ainsi donc cinq puissances deux puissances extrêmes, l'Individu et l'État; deux puissances intermédiaires, la Corporation et la Commune, et une puissance suprême, la Justice : voilà tout le mécanisme, mécanisme qui pourrait être comparé à une machine composée de cinq cylindres, tous indépendants les uns des autres et mis en mouvement par un moteur commun: le suffrage universel; c'était, troisièmement, de restituer à la puissance nationa'e l'unité qu'elle avait perdue, l'unité sans laquelle il n'y a pas et il ne saurait y avoir ni de puissance réelle, ni de responsabilité

effective, ni de libre essor du génie; c'était, quatrièmement et enfin, de simplifier tous les rouages, de supprimer tous les frottements, d'utiliser toutes les forces.

Le mécanisme dont j'ai entrepris la construction a été conçu avec cette pensée, que le dépositaire de la puissance indivisib'e eût-il à sa disposition ce que je ne voudrais pas qu'il eût jamais, une force armée de cinq cent mille soldats, il ne pùt s'en servir, en aucun cas, que pour défendre l'inviolabilité nationale, et jamais pour menacer l'inviolabilité personnelle.

Je me suis donc posé la question de savoir ce qui arriverait si le dépositaire de la puissance indivisible, quel que fût le nom qu'il portât, celui de Président de la République ou de Président du Conseil, de Maire d'État ou de Ministre du Peuple, abusait du dépôt qui lui aurait été confié pour tenter d'anéantir la puissance individuelle, d'absorber la puissance communale, de supprimer la puissance corporative, de paralyser la puissance judiciaire?

Voici la réponse que les choses elles-mêmes m'ont faite :

La Commission nationale de surveillance et de publicité, composée des onze membres ayant obtenu, dans l'échelle des votes, le plus grand nombre de voix après celui obtenu par l'Élu du peuple, individualisant, personnifiant la puissance collective, se hâterait de convoquer l'arbitre suprême, c'est-à-dire l'universalité des électeurs.

-Mais, reprend-on, la première mesure que ne manquerait pas de prendre l'Élu du peuple aspirant à la dictature temporaire ou à la royauté héréditaire, ce serait de mettre les onze membres de la Commission nationale de surveillance et de publicité dans l'impuis

sance de faire obstacle à la réussite de ses projets d'usurpation.

Je réponds: Soit! et j'ajoute : Les 6 ou 7,000 Communes de France ayant toutes la même organisation que l'État, il faudrait alors arrêter et incarcérer, en même temps que les onze membres de la Commission nationale de surveillance et de publicité, les 6,000 Maires de communes et les 66,000 Membres des Commissions communales de surveillance et de publicité ; ensemble, 72,000 Élus du peuple, représentant la souveraineté à tous ses degrés, la confiance nationale et la défiance démocratique dans toutes leurs combinaisons et dans toutes leurs nuances. Ce ne serait pas tout encore, il faudrait arrêter et incarcérer les Maires de toutes les Corporations, et détruire d'un coup de plume et d'un revers de main toute l'organisation, aussi forte que simple, des Corporations; ce ne serait pas tout encore, il faudrait improviser des prisons, puisqu'elles auraient été démolies, ou organiser des massacres, le même jour, sur tous les points du territoire. Ce ne serait pas tout encore, il faudrait enfin arrêter et incarcérer le grand-juge, les 35 juges de cassation, les 360 juges d'appel et les 6,000 juges de paix, car ces juges ne tiendraient pas leur siége du dépositaire infidèle de la puissance indivisible, ils le tiendraient du peuple souverain; ils seraient ses élus. Ces juges ne seraient pas fonctionnaires, ils seraient juges; ils seraient plus qu'inamovibles, car ils seraient rééligibles. Je le demande, avec de telles garanties se prêtant les unes aux autres une mutuelle assistance et s'assurant réciproquement, le risque qu'on vient de supposer, serait-il à craindre, serait-il probable, serait-il possible? Quiconque se sera rendu exactement compte de ce mécanisme, où toutes les lois de la gravitation ont été étu¬ diées et appliquées, répondra, sans hésiter, noù.

Si l'on s'étonnait de trouver si souvent écrit sur les pages d'un livre politique le mot mécanisme, je répondrais à cette remarque en disant que la puissance nationale me parait appelée à se simplifier par les mêmes moyens que ceux auxquels la puissance industrielle est redevable de tous les progrès qu'elle a accomplis, depuis un demi-siècle, sous le régime de la liberté.

Première période : L'homme fait tout; la machine ne fait rien; elle n'existe pas encore.

Période intermédiaire : L'homme et la machine se partagent la tâche par moitié.

Troisième période : Les machines font tout; les hommes ne font plus rien, car ils n'ont plus qu'à mettre en mouvement les machines lorsqu'elles se sont arrêtées, ou qu'à rattacher le fil lorsqu'il s'est brisé.

Même sort est réservé à la puissance nationale :

Première période : L'homme est tout; les institutions ne sont rien. Elles n'existent pas encore. C'est la monarchie traditionnelle.

Période intermédiaire : L'homme et les institutions se partagent la tàche par moitié. C'est la monarchie constitutionnelle.

Troisième période : Les institutions seront tout, l'homme ne sera plus qu'un modeste conducteur de machines ou qu'un simple rattacheur de fil. Ce sera la période de la République universelle.

La société est à la recherche de son mécanisme; dès qu'elle l'aura trouvé, Gouvernement sera un mot qui n'aura plus de sens que dans le passé. Au lieu de dire le Pouvoir, on dira le Savoir; au lieu de dire l'Autorité, on dira la Supériorité. La liberté mutuelle sera la loi commune. Il n'y aura pas, il n'y aura plus besoin d'autre loi que celle-là. Hormis les cas où il y aura lieu de

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