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LIVRE NEUVIÈME.

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ce pas par mille hasards que vos ancêtres les ont acquises. Vous imaginez-vous que ce soit par quelque voie naturelle que ces biens ont passé de vos ancêtres à vous? Cela n'est pas véritable. Cet ordre n'est fondé que sur la seule volonté des législateurs qui ont pu avoir de bonnes raisons pour l'établir, mais dont aucune certainement n'est prise d'un droit naturel que vous ayez sur ces choses. S'il lui avait plu d'ordonner que ces biens, après avoir été possédés par les pères durant leur vie, retourneraient à la république après leur mort, vous n'auriez aucun sujet de vous en plaindre.

Ainsi, tout le titre par lequel vous possédez votre bien n'est pas un titre fondé par la nature, mais sur un établissement humain. Un autre tour d'imagination dans ceux qui ont fait les lois vous aurait rendu pauvre, et ce n'est que cette rencontre du hasard qui vous a fait naître avec la fantaisie des lois qui s'est trouvée favorable à votre égard, qui vous met en possession de tous ces biens. PASCAL. Partie I, art, XII.

La loi naturelle ordonne aux pères de nourrir leurs enfants; mais elle ne les oblige pas de les faire héritiers. Le partage des biens, les lois sur le partage, les successions après la mort de celui qui a eu ce partage, tout cela ne peut avoir été réglé que par la société, et, par conséquent, par des lois politiques ou civiles.

Il est vrai que l'ordre politique ou civil demande souvent que les enfants succèdent aux peres, mais il ne l'exige pas toujours.

Maxime genérale: nourrir ses enfants est une obligation du droit naturel, leur donner sa succession est une obligation du droit civil ou politique. De là derivent les différentes dispositions sur les batards dans les différents pays du monde. Elles suivent les lois civiles ou politiques du pays.

MONTESQUIEU. Esprit des lois, liv. XXVI, chap. vi. Qui a fait les partages de la terre, si ce n'est la force! Toute l'occupation de la justice est à maintenir les lois de la violence.

VAUVENARGUES.

Le propriétaire n'est que le premier des salariés. Ce que nous appelons vulgairement sa propriete n'est autre chose que le prix que fui paye la société pour les distributions qu'il est chargé de faire aux autres individus par ses consommations et ses dépenses. Les proprietaires sont les agents, les économes du corps social.

MIRABEAU.

La propriété industrielle doit se placer au-dessus de la propriété foncière l'une est la valeur de la chose et l'autre la valeur de l'homme.

BENJAMIN CONSTANT.

L'empereur, en disant que l'industrie était une nouvelle propriété, exprimait d'un seul mot son importance et sa nature. L'esprit de propriété est par lui-même envahissant et exclusif. La propriété du Sol avait eu ses vassaux et ses serfs. La Révolution affranchit la terre; mais la nouvelle propriété de l'industrie s'agrandissant journellement tendait à passer par les mêmes phrases que la premiere et à avoir comme elle ses vassaux et ses serfs.

L.-N. BONAPARTE. P. 248.

L'oeuvre intellectuelle est une propriété comme une terre, une maison; elle doit jouir des mèmes droits et ne pouvoir être aliénée que pour cause d'utilité publique.

L.-N. BONAPARTE,

LA PROPRIÉTÉ UNIVERSELLE.

Dans la langue économique, le nom de capital est donné à tout fonds inconsommable et productif d'une rente ou d'un profit, qu'il s'agisse d'immeubles, d'inscriptions sur l'État, d'actions d'entreprises, d'effets de commerce, de billets de banque, de numéraire disponible, de marchandises emmagasinées, de charges achetées, de professions exploitées, d'arts ou de talents lucratifs, etc., etc.; le nom de capital s'étend ainsi à peu près à tout; dans la langue usuelle, au contraire, le nom de propriété n'est guère usité que pour désigner la possession d'immeubles; d'où l'on voit que l'acception usuelle du mot propriété est aussi étroite que l'acception économique du mot capital est large.

Il n'entre pas dans le plan de ce livre de disserter longuement sur la propriété, d'en rechercher l'origine douteuse, le caractère distinctif, la légitimité contestée; on a pu remarquer qu'écrivant l'histoire de l'avenir et non l'histoire du passé, je datais exclusivement du présent.

Le présent est mon point de départ. Je prends donc la propriété telle qu'elle existe, seulement je la prends dans sa plus large acception, et j'appelle propriété tout

ce que la langue économique appelle capital. Pour moi, capital et propriété sont tout un. Je n'admets pas, je ne veux pas admettre de différence entre la propriété 'terrienne, la propriété industrielle, la propriété scientifique, la propriété littéraire, la propriété artistique, ou toute autre propriété. Matérielle ou immatérielle, naturelle ou artificielle, personnelle ou impersonnelle, inconsommable ou viagère, peu m'importe!

S'il y avait une propriété à laquelle j'hésitasse à donner ce nom commun, ce serait précisément celle qu'il est d'usage de considérer comme étant la propriété par excellence, ce serait précisément la terre.

Je m'explique, et mon explication va être une hypothèse. Je suppose que, par suite de la liberté du commerce et de la réciprocité des échanges, la terre cultivable et cultivée ne rapporte plus que strictement ses frais de culture et la somme prélevée par l'État sous le nom d'impôt ou d'assurance, que deviendrait, dans ce cas, la rente foncière ou fermage? Elle s'annulerait. Plus de rente foncière, conséquemment plus de propriété terrienne proprement dite. La terre ne serait plus aux mains de l'homme qu'un instrument de travail, qu'un moyen d'appliquer ses forces, ses facultés personnelles pour en tirer un salaire qu'il se payerait à lui-même. Ce que je viens de supposer peut se réaliser et se réalisera peut-être plutôt que je ne l'entrevois. Dans ce cas, des trois éléments principaux dont se compose la richesse sociale: la terre, les facultés personnelles et les capitaux artificiels, il n'en restera plus que deux, et la propriété terrienne ne serait plus qu'une propriété de même nature que la propriété industrielle, scientifique, littéraire ou artistique. La terre vaudrait ce que vaudrait le cultivateur, ce qu'il tirerait de ses facultés personnelles ou de ses capitaux artificiels employés à la culture du sol.

Que la propriété terrienne, propriété d'origine séculaire et d'essence aristocratique, ne se hâte donc pas de m'accuser de la faire déchoir du rang suprême qu'elle occupe pour la confondre avec les propriétés qu'elle conteste ou qu'elle dédaigne, propriétés d'origine récente et d'extraction démocratique, propriétés qui s'appellent maintenant : industrielle, scientifique, littéraire, artistique!

La propriété terrienne aurait tort de se plaindre qu'ainsi on la fìt déroger, car elle s'ôterait par là tout droit de réclamer, s'il arrivait que plus tard telles autres propriétés refusassent de la reconnaître en lui disant crûment : « Vous n'êtes pas le fruit du travail de l'homme, nous ne vous reconnaissons pas le titre de propriété. Ce titre n'appartient légitimement et ne s'applique maintenant qu'aux fruits du travail. »

Il est manifeste que si l'on tient compte des perfectionnements et des exigences de la navigation, laquelle portant au loin, rapidement et à peu de frais, les produits manufacturés des États les plus civilisés, a besoin de retours, on reconnaîtra que la terre, considérée comme propriété assise sur le produit net, n'a de valeur vénale et productive que celle qu'elle emprunte au régime arbitraire de la protection, régime qui a, incontestablement, pour objet et pour effet de protéger l'oisif aux dépens du travailleur, le patrimoine au préjudice de l'épargne, le capital antérieur au détriment du capital en voie de formation.

Mais je ne veux point décrier ni abaisser la valeur vénale que possède encore à l'heure où j'écris la propriété terrienne; je l'admets pour ce que, présentement, elle vaut et rapporte; seulement j'élève au même rang la propriété industrielle et la propriété personnelle. Par ce nom de propriété personnelle j'entends désigner le fonds inconsommable de toutes professions lucrati

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