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et s'assure, l'âge où il jouit et se repose, il en résulterait ce qui suit :

Premièrement, l'ignorance disparaîtrait d'elle-même, puisque l'enfant aurait, avant l'âge de quinze ans accomplis, le temps d'apprendre tout ce qu'il est nécessaire et utile qu'il sache;

Deuxièmement, la consommation, conséquemment la production, conséquemment le travail, prendrait un rapide essor et un immense développement, puisqu'elle ne rencontrerait plus pour obstacle invincible la crainte fondée qu'a le travailleur de tomber dans la misère, crainte sinistre qui, dans le travailleur, étouffe le consommateur;

Troisièmement, la stabilité politique s'affermirait par l'épargne collective, puisque l'ordre public y gagnerait de nouveaux et de nombreux défenseurs. Quels soldats seraient plus intéressés à sa conservation que tous ces vigoureux vétérans du travail, retraités de 46 à 60 ans! Quelle excellente réserve pour y choisir des hommes sûrs, paisibles, expérimentés, comme il en manque et comme il en faut pour remplir certaines fonctions, les unes gratuites, les autres insuffisamment rétribuées, dans une multitude de communes et de petites villes !

Avec quoi les Gouvernements subviennent-ils à toutes leurs dépenses, à toutes leurs prodigalités? Ils y subviennent avec des centimes prélevés sur le salaire des travailleurs, sous le nom d'impôts indirects. Ces centimes, additionnés et totalisés, composent ces milliards avec lesquels on solde des armées de fonctionnaires inutiles, et l'on continue à payer, après trentecinq années de paix, des budgets de la guerre incomparablement plus lourds qu'aux époques où la guerre était l'état normal des peuples entre eux et même chez

eux.

Assez longtemps le risque de guerre a prélevé son tribut en argent et en hommes, prenant l'argent le plus pur et les hommes les plus robustes; assez longtemps la guerre a eu son budget! N'est-il donc pas temps que la paix ait le sien? Le budget de la paix, c'est l'épargne individuelle composant l'épargne collective, c'est l'assurance contre le risque de misère, c'est le décime universel.

Le jour où chacun fera ce que je tente de faire ici, le jour où chacun étudiera le BUDGET DU TRAVAILLEUR avec la conviction que ce budget n'est pas moins essentiel à étudier et à connaître que le BUDGET DE L'ÉTAT, on sera tout surpris de voir quels résultats pourraient s'obtenir, quels prodiges pourraient s'accomplir, si le salaire, étant ce qu'il devrait être, permettait au travailleur, prévoyant et sachant calculer, de contracter l'habitude d'affecter à telle dépense un centime par jour; à telle autre dépense, un autre centime, etc., lesquels centimes seraient centralisés et formeraient, ceux-ci, tel fonds commun pour l'instruction élémentaire ou spéciale des enfants; ceux-là, tel fonds commun pour le douaire des garçons lorsqu'ils seraient en âge de se marier; ceux-là encore, tel fonds commun pour s'assurer tel avantage ou se donner telle jouissance, etc., etc.

Le rôle que jouent les CENTIMES ADDITIONNELS dans le BUDGET DE L'ÉTAT, on le connaît; non moins important et plus utile serait le rôle que pourraient jouer dans le BUDGET DU TRAVAILLEUR ce que je nommerai les CENTIMES INDIVIDUELS.

Il faut se hâter de constituer la puissance du CENTIME CENTRALISÉ, puissance nouvelle, puissance incalculable! Échelle au moyen de laquelle il n'y aurait pas de hauteurs que la civilisation ne pût atteindre, pas de profondeurs qu'elle ne pût visiter! Le DOUAIRE UNI

VERSEL et le pÉCIME UNIVERSEL sont les deux premiers échelons de cette échelle. Ces échelons, on ne saurait trop les multiplier. Plus on les multipliera, moins le bien-être universel exigera d'efforts individuels pour entrer dans le domaine des problèmes résolus et des faits accomplis.

Dars l'ordre physique, il y a de l'air pour tout ce qui respire; dans l'ordre social, il y aura du bien-être pour tout ce qui travaille, dès que l'épargne sera devenue une habitude en devenant une science.

Lorsque l'épargne est individuelle, le plus grand nombre se décourage en mesurant la distance qu'il lui faudra franchir du point de départ au but; un petit nombre a seul la force de persistance nécessaire; mais lorsque l'épargne sera collective, comme pour atteindre au même but, il faudra une somme d'efforts infiniment moindre, alors les proportions seront inverses. En matière de prévoyance, ce sera le petit nombre qui fera exception, ce sera le grand nombre qui fera règle.

Présentement, on ne consomme pas afin d'épargner, et l'on n'épargne pas; alors on épargnera afin de consommer, et l'on fera, à la fois, les deux choses: on consommera individuellement et on épargnera collectivement.

Ce ne sera pas seulement à la consommation nécessaire que profitera l'épargne collective; elle profitera aussi à la moralisation publique.

Les travailleurs survivants héritant des travailleurs décédés, ce sera à qui vivra le plus longtemps; conséquemment à qui boira le moins.

L'ivrognerie n'a pas de plus mortelle ennemie que l'épargne. C'est là un fait constaté: il n'y a plus qu'à en tirer toutes les conséquences.

Le lendemain du jour où le travailleur boit moins est la veille du jour où il se nourrit mieux.

Il importe que le travailleur se nourrisse bien, car c'est toujours aux dépens de son travail qu'il se nourrit mal.

S'il a peu de forces, il lui est impossible d'en dépenser beaucoup; s'il en dépense beaucoup et qu'il ne les répare pas, il les a bientôt épuisées; s'il tombe malade, il ne peut plus travailler. Donc il n'y aucun profit, au contraire, il y a perte, en fin de compte, pour la société lorsque l'offre, cette fausse loi d'une fausse économie politique, fait baisser le taux du salaire au-dessous de la valeur du travail, valeur ayant pour principal élément la valeur de l'homme.

La santé de l'homme n'est pas et ne doit pas être moins sacrée que sa vie; s'il n'est pas permis d'attenter directement à celle-ci, comment serait-il permis d'y attenter indirectement, en attentant à celle-là?

La santé est au travail ce que le capital est au revenu; la santé du travailleur est son capital; s'il n'est pas permis de lui voler sa plus petite pièce de monnaie, comment serait-il permis de lui voler toute sa fortune?

Qui tue et vole ainsi le travailleur peut s'enrichir, mais il appauvrit la société. C'est le cas de dire qu'en empêchant le travailleur de consommer, le capitaliste tord le cou à la poule aux œufs d'or.

Mettre, par l'insuffisance du salaire, celui qui travaille dans l'impossibilité de consommer, c'est faire ce que ferait l'enfant qui empêcherait le balancier d'une pendule d'aller de droite à gauche après qu'il aurait été de gauche à droite. Le balancier s'arrêterait. Les deux temps, en sens contraires, veulent être égaux. Ainsi, le droit à la consommation veut être égal à l'effort de production; réciproquement l'effort de production se règle de lui-même sur le droit à la consommation.

L'art de faire produire réside dans le secret de faire

consommer.

Être équitable, voilà tout le secret! Être éclairé,

voilà tout l'art!

Quand on sait cela, quand tout le monde le saura, quand chacun en aura la conviction aussi profonde que me l'ont donnée l'étude et l'observation, toutes les questions de misère, d'épargne, de prévoyance, de bien-être, de civilisation se réduiront à la question de savoir combien le travailleur, sainement nourri, sainement logé, proprement vêtu, se portant bien et travaillant bien, pourra et devra centraliser de centimes.

Est-il une question plus simple et, là encore, n'est-ce pas une question où la politique s'efface pour laisser passer les mathématiques?

Le décime universel, c'est l'épargne collective, sur la plus vaste échelle.

L'épargne collective, c'est l'État en équilibre sur luimême et n'ayant plus besoin d'être maintenu par un échafaudage de baïonnettes, car c'est la milice de l'ordre soldée par elle-même.

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