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LE DÉCIME UNIVERSEL.

Le décime universel, c'est la question de l'extinction du paupérisme réduite à sa plus simple expression. Éteindre partout et à jamais la misère, ce n'est qu'une question de DEUX SOUS.

En effet, pour éteindre à jamais et partout la misère, que faut-il? Prélever un centime sur chaque heure de travail, dix centimes par jour, deux francs cinquante centimes par mois, trente francs par an, et pendant trente années, neuf cents francs.

Au moyen de ces versements successifs, centralisés dans une caisse commune, et concourant à toutes les combinaisons que multiplie la mortalité, devenue une science exacte, tout travailleur peut s'assurer contre le risque de misère avec autant de certitude et plus de facilité qu'il ne s'assure présentement en France, moyennant une prime de 1,200 à 1,500 francs, contre le risque du recrutement militaire par la voie du tirage au sort.

S'il contracte, dans l'exercice de sa profession, une infirmité, ou s'il reçoit une blessure équivalant à une incapacité constatée de travail, le cas est prévu, et,

dans ce cas, la pension de prévoyance n'en est pas moins légitimement acquise, quoique avant terme, à l'invalide du travail.

L'impuissance de la charité

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charité privée et cha

rité publique est attestée par les siècles. La charité a fait son temps.

Le temps est venu de l'assurance, assurance individuelle et universelle.

Au lieu de donner, comme on donne communément, inconsidérément, inutilement, un sou, deux sous au pauvre qui mendie, que quiconque fait travailler consente et s'habitue à allouer au travailleur un décime de plus, mais que ce décime soit centralisé, universalisé dans une caisse de retraites pour y servir à la constitution de la pension de prévoyance.

Certes, rien de plus simple, et quoique cela parût petit, rien de plus grand.

Rien de plus grand, car universaliser ainsi l'épargne individuelle, ce serait élever à sa plus haute puissance l'épargne collective.

Ce serait faire de tout travailleur un rentier.

Ce serait faire de tout propriétaire un banquier.

Ce serait créer un monde nouveau à l'inébranlable solidité duquel tous et chacun, petits et grands, concourraient également, comme toutes les pierres, grandes et petites, concourent également à la solidité de la voûte qui doit porter les plus fortes charges, subir les épreuves les plus décisives, traverser les siècles les plus longs.

Ce serait substituer la prévoyance à la compres

sion.

Ce serait mettre la tranquillité publique sous la protection de l'intérêt commun, protection sûre et peu coûteuse, au lieu de la mettre sous la protection de la force armée, protection coûteuse et peu sûre.

Ce serait traiter l'homme en homine, et ne plus traiter l'homme libre en enfant rebelle qu'il faut constamment surveiller et incessamment châtier.

A un acte, en apparence insignifiant : à l'acte de navigation, l'Angleterre est redevable de la suprématie qu'elle a acquise sur toutes les mers du globe.

A une mesure, dénuée, en apparence, de toute grandeur, au décime universel, la démocratie peut devoir son entière libération et son règne définitif, plus sûrement et plus rapidement qu'à des révolutions périodiques.

Toute révolution qui s'accomplit, s'accomplit sur des décombres.

Avant de devenir un bienfait, elle commence par être un désastre.

Avant de sécher la plaie, elle commence par l'envenimer.

Avant de mettre fin aux excès, elle commence par les imiter et quelquefois par les dépasser.

Avant de jeter le câble dans le port, le plus souvent elle brise le navire contre l'écueil.

Sur cent révolutions que le monde porte dans ses entrailles, il y en a dix qui voient le jour; sur dix ré volutions qui voient le jour, il n'y en pas une qui naisse viable!

Toute révolution qui n'est pas une révolution d'idées est un périlleux enfantement, qui se termine par un laborieux avortement.

L'expérience de soixante années atteste qu'il faut se défier autant des révolutions faites au nom du progrès que des guerres faites au nom de la liberté.

La liberté s'établit par la liberté.

Le progrès s'accomplit par le progrès.

L'ouragan est un mauvais moissonneur; c'est un semeur plus mauvais encore.

Si la démocratie fait bien, si elle a foi beaucoup en elle et un peu en moi, la démocratie renoncera désormais à triompher par la violence et par la destruction; elle procèdera comme procède l'industrie par la science appliquée et par le progrès continu.

Dans cette dernière voie, on avance lentement, mais on ne recule jamais; dans l'autre voie, on avance rapidement, mais on recule toujours.

Si l'essentiel est d'arriver, il n'y a point à hésiter entre la voie qui mène au but et qui vous y laisse et celle qui ne vous en fait approcher que pour vous en éloigner aussitôt.

La démocratie veut-elle arriver? Veut-elle être le travail, le progrès, la liberté; ou veut-elle être la bataille, la victoire, la révolution? Telle est la question que doit se poser la démocratie, instruite par l'expérience de trois révolutions qui, toutes les trois, ont avorté.

Pourquoi ont-elles avorté toutes les trois ? Parce qu'elles sont arrivées brusquement avant terme, moins comme des effets que comme des accidents, plutôt comme des explosions que comme des solutions, devançant ce qu'elles auraient dû suivre : l'instruction populaire et le bien-être universel.

Moins que jamais, le triomphe définitif de la démocratie est douteux, mais c'est à la condition d'y travailler sans relâche et de l'attendre avec patience. Les gouvernements qui retardent cet avénement agissent comme les gelées qui fécondent les récoltes en retardant les germinations hatives.

Dans le décime universel, il faut voir un grain semé, grain dont le bien-être universel sera la tige et le suffrage universel l'épi, épi qui, sous la meule, deviendra le pain quotidien de tous les peuples, deviendra la li

berté universelle, la liberté sous toutes les formes et à tous les degrés.

Le décime universel s'attaque à la misère individuelle, non dans ses effets qu'il prévient, mais dans sa cause qu'il détruit. Si le problème, tel qu'il le pose, est résolu pour un homme, il sera résolu pour un peuple; s'il est résolu pour un peuple, il sera résolu pour l'humanité tout entière.

De ce problème, voici les termes :

Faire trois parts moyennes de la vie du travailleur ayant atteint l'âge de 60 années :

Première part : de 1 à 15 ans : —
Deuxième part : de 16 à 45 ans :
Troisième part: de 46 à 60 ans :

Education.

Travail.

- Repos.

Par les trente années de travail, de 16 à 45 ans, assujetties au payement du décime de misère, rembourser à ses enfants l'avance des quinze années d'éducation qu'on a reçue de ses parents, et acquérir, pour le dernier quart de son existence, le droit au repos.

Mais comme la vie moyenne, en France, n'est que de 36 ans, le plus petit nombre seulement des travailleurs parvenant à l'âge où sonnerait l'heure du droit au repos, ce petit nombre profitant de toutes les chances résultant de la mortalité du nombre le plus grand, le travail héritant ainsi du̟ travail, on conçoit facilement et clairement comment avec la faible retenue de UN CENTIME PÅR HEURE DE TRAVAIL, de DEUX FRANCS CINQUANTE CENTIMES PAR MOIS, de TRENTE FRANCS PAR ANNÉE, l'épargne individuelle s'élèverait, par l'épargne collective, à une haute puissance et constituerait de suffisantes pensions de retraites aux invalides du travail,

La vie du travailleur étant ainsi partagée en trois âges, l'âge où il croît et s'instruit, l'âge où il travaille

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