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devant l'opinion publique, tiendra deux fois, et comme femme et comme mère, à ne pas mettre les torts de son côté;

Que ce régime ne porte aucune atteinte funeste aux mœurs privées et à la moralité publique;

Que, s'il peut être préjudiciable à des enfants en très petit nombre, il sera certainement profitable au nombre le plus grand;

Que s'il change les conditions d'héritage et de transmission de la propriété, c'est pour faire passer avant elles les véritables lois de la population humaine, manifestement violées par l'état social tel qu'il existe et tel qu'il a pour effet de contraindre de malheureuses femmes, pour gagner péniblement quelques décimes. par jour, à déserter le foyer maternel et à aller s'enrégimenter dans des manufactures, des fabriques et des ateliers où elles dépendent de maîtres et de contre-maîtres, contre lesquels elles n'ont d'abri que dans la laideur;

Que s'il change les conditions du mariage, c'est pour les améliorer;

Que s'il fait du douaire la règle et de la dot l'exception, il faudra s'en applaudir trop souvent l'acte de mariage n'avait d'autre objet que de marier deux piles d'écus ou deux lambeaux de terre; moins rarement on mariera pour eux-mêmes un homme avec une femme; l'argent comptera moins, la beauté comptera plus;

Qu'en mettant la beauté des femmes à un plus haut prix, il tarit la source de la prostitution, et, ainsi, ne lui laisse plus, pour s'alimenter, que les rebuts de la nature, le résidu physique avec le résidu moral;

Qu'en développant le sentiment de la maternité, qu'en en faisant la vertu, le point d'honneur, la force de la femme dans sa faiblesse, il porte à la prosti

tution, qui aurait échappé au premier coup, le coup suprême;

Que l'homme, qu'on s'accorde si souvent d'ailleurs à représenter comme étant trop avide de bien-être matériel, ne fera pas moins d'efforts pour s'enrichir, parce que ses efforts se proposeront pour but la possession d'une femme qu'il aspirera à pouvoir choisir, au lieu de se proposer pour but la transmission du même domaine de père en fils;

Que le sentiment filial du fils à l'égard du père n'en sera que plus vif et plus pur lorsque le fils n'aura rien à prétendre du père, mais qu'il en pourra tout recevoir. De nos jours, et sous le régime de la paternité, combien ne voit-on pas de fils laisser percer, dans leur langage plus ou moins dissimulé, l'impatience avec laquelle ils attendent, pour hériter, le jour de la mort de leur père! Rarement, très rarement, on voit le fils, la fille, excités par la même convoitise, désirer la mort de leur mère. Pourquoi cette différence, qui ne sera pas niée? C'est à la nature à en donner l'explication. Demandez-la-lui.

II.

Objections.

Je cherche des objections sérieuses; je cherche des objections fondées.

J'en cherche et je n'en trouve pas.

Je n'en trouve que de spécieuses; les voici :

Ire objection:

Ce que vous proposez, c'est le retour à cet âge de transition où l'homme n'enlevait plus la femme, mais où il l'achetait :

Réponse :

Lorsque l'homme achetait la femme, qui recevait le prix? Était-ce elle? Non, c'étaient ses parents. Étaitelle libre de refuser ou d'accepter? Non, elle n'était pas même consultée. Qu'a donc de commun ce qui a existé chez tous les peuples avec l'institution, telle que je la suppose, du DOUAIRE UNIVERSEL ET INALIENABLE? La dot a été longtemps, et en divers pays, le prix de la femme payée à ses parents; le douaire n'est pas seulement le prix de la femme payé à elle-même, c'est plus et mieux que cela, c'est son indépendance constituée et l'avenir de ses enfants assuré, soit en cas de mort, soit en cas de séparation. Toute femme qui se livre à un homme court risque de concevoir un enfant; que doit-elle faire? Assurer d'avance à cet enfant des moyens certains d'existence. Le douaire est la prime qui correspond à la probabilité et au risque de maternité. Le douaire n'est, en réalité, et ne doit être qu'une des nombreuses formes de l'assurance universelle.

IIe objection:

Si ce n'est plus la femme qu'on vend, c'est la femme qui se vend.

Réponse :

Non; ce n'est pas la femme qui se vend, c'est la femme qui prévoit qu'elle peut, qu'elle doit être mère, et qui stipule, non pour elle, mais pour ses enfants. Que fait donc de moins et de différent, je vous le de

mande, la jeune fille conduite à la mairie et à l'église, qui n'apporte pas de dot et reçoit un douaire? En tout cas, la femme qui se vend et qui abandonne son enfant est-elle donc plus pure à vos yeux que la femme qui se vend afin de le pouvoir élever?

Est-ce que Montesquieu ne se sert pas de l'expression de gains nuptiaux *?

IIIe objection:

Demander ainsi à l'ouvrier, avant de se marier, qu'il possède déjà une épargne, si faible qu'on la suppose, c'est ne pas tenir compte de l'insuffisance des salaires; ce serait donc reculer de plusieurs années, pour un grand nombre d'ouvriers, l'époque à laquelle ils ont l'habitude de se marier. Ainsi empêchés de se marier dans toute la vigueur de l'âge, et entraînés par elle, beaucoup d'excès ne seraient-ils pas à redouter?

Réponse :

Si les salaires tels qu'ils sont fixés sont insuffisants, eh bien! par la loi même du travail, lequel doit être rétribué selon sa valeur, ils s'élèveront et devront s'élever au taux nécessaire pour se proportionner aux risques prévus et aux besoins légitimes du travailleur. Il n'y a pas une considération sociale au nom de laquelle j'admette que, pour ne pas diminuer le profit de tels hommes, d'autres hommes seront éternellement condamnés à l'insuffisance du salaire, et que, pour mettre telles femmes à l'abri du viol, d'autres femmes seront nécessairement vouées à la prostitution. Non; malgré l'autorité de saint Augustin**, je n'admets pas cela, et la société, elle

*

**

MONTESQUIEU. Esprit des Lois, liv. VII, chap. xv.

« Retranchez les femmes publiques du sein de la so

même, n'a pas d'intérêt à l'admettre. L'équité est l'aplomb des sociétés. Si l'on ne veut pas qu'elles s'écroulent, qu'on les construise donc comme l'on construit les maisons, non en violant les lois de la statique, mais en les observant. Le travail peut et doit donner au travailleur, à la fois contenu et stimulé, les moyens d'épargner la somme nécessaire à la constitution préalable du douaire universalisé et inaliénable. Ce sera, du même coup, l'affranchissement du travailleur, qui acquerra ainsi l'habitude de l'ordre, en même temps que l'affranchissement de la femme, qui acquerra ainsi la garantie de son indépendance. Je dis l'affranchissement de la femme, car la pauvre femme ne sera plus exposée, ainsi qu'elle l'est trop souvent, à être malmenée par le mari qui se dérange, qui la délaisse et qui la bat lorsqu'elle se hasarde à prendre la défense de ses enfants affamés et à lui remontrer qu'il fait un mauvais usage de l'argent qu'il gagne, argent qui serait nécessaire à l'entretien du ménage. Demeurée esclave, serait-elle moins libre et plus maltraitée ? Si le père est attaché à ses enfants, la femme, sous le régime de la maternité, aura sur le mari un moyen d'action puissant qui lui manque présentement sous le régime de la paternité. A ce double titre de mari et de père, elle le contiendra, par la menace et la crainte de se séparer de lui en emmenant avec elle les enfants de leur union. Ce sera son droit; car c'est à elle qu'ils appartiendront uniquement, en cas de séparation. Un contre-poids, rendant la faiblesse l'égale de la force,

ciété, la débauche la troublera par des désordres de tout genre. Les prostituées sont dans une cité ce qu'est un cloaque dans un palais. Supprimez ce cloaque, et le palais devient un lieu înalpropre.»

SAINT AUGUSTIN,

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