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qu'en 1632, l'on n'a pas nié que la terre tournàt? Et, pourtant, est-ce qu'elle ne tourne pas ? »

L'un des plus illustres savants, Laplace, a consigné dans son immortel ouvrage, le Système du monde, cette observation d'une incontestable vérité : « Les idées >> les plus simples sont presque toujours celles qui s'of» frent les dernières à l'esprit humain. »

S'il en est ainsi, et l'histoire des siècles atteste qu'il en est ainsi, tout étonnement doit cesser.

Lorsque la force est le seul droit qui règne, lorsque la gloire acquise par la guerre est la seule qui paraisse enviable et qui soit enviée, lorsque l'homme est libre et que la femme est captive, lorsque enfin l'homme est tout et que la femme n'est rien, il découle naturellement de soi-même que l'ordre social ait pour base la paternité, et que ce soit le nom du père qui se transmette à l'enfant.

Mais, lorsque le droit sera la seule force qui régnera, lorsque la paix aura définitivement remplacé la guerre, lorsque enfin la femme aura pleinement conquis l'égalité, comme elle a déjà conquis la liberté, il découlera pareillement de soi-même que l'ordre social ait pour base la maternité, et que ce soit le nom de la mère qui se transmette à l'enfant.

Sans contredit, ce sera là, je n'en disconviens pas, un grand changement opéré dans les mœurs et les usages, dans les idées et les conventions.

Mais si, parce qu'un changement est important, quoique nécessaire, on hésite à l'opérer en remontant des effets aux causes, comment s'y prendra-t-on pour arrêter le débordement de la misère, pour tarir la source de la prostitution, pour sauver de l'abandon et de la réprobation tant d'enfants recueillis par le tour des hospices sous le nom d'enfants trouvés, ou déposés comme une lie au fond de la société, sous le nom d'en

fants illégitimes; pour arracher, enfin, l'espece Lamaine à son déclin physique et a son abitardissement social?

Ne voit-on pas que, de toutes parts, le vieux monde s'écroule et que le nouveau monde s'élève? L'un entre au tombeau, l'autre sort du bercean.

Tout ce qui fut erreur tend à se rectifier; tout ce qui fut doute tend à se convertir en certitude. C'est la loi même de la science; c'est ce qui lui sert de preuve : c'est son criterium.

Or, je le demande, de quel côté se rencontre la certitude? Est-ce du côté de la maternité, ou du côté de la paternité ?

Aux temps où la femme, qu'elle fût légitime ou qu'elle ne le fût pas, vivait enfermée; aux temps où l'homme, dont elle était la chose, avait sur elle droit de possession absolue, droit de vie et de mort; dans les pays où ce droit subsiste encore; aux temps et dans les pays où le droit d'aînesse existait et existe encore, on comprend et on explique facilement que la paternité, offrant peu de doutes, ait été le sceau qui ait servi à marquer et à distinguer les enfants.

Encore une fois, il n'en saurait être autrement quand l'homme est tout et quand la femme n'est rien.

Alors cela est parfaitement logique et rationnel ; mais cela cesse d'être rationnel et logique dès que la femme est proclamée l'égale de l'homme, dès qu'elle jouit de la même liberté que lui, et que la paix, se substituant à la guerre, est devenue l'état normal de la société.

LES ENFANTS SONT ÉGAUX DEVANT LA MÈRE: oui ou non, ce principe, qui a pour conséquence la liberté dans le mariage, est-il incontestablement juste?

Oui ou non, est-il moins incontestablement juste que ce principe qui a prévalu et qui ne trouve plus

parmi nous de contradicteurs: LES FRANÇAIS SONT ÉGAUX DEVANT LA LOI?

Ou le principe que j'ai énoncé est vrai ou il est faux, ou il est contestable ou il ne l'est pas.

S'il est contestable, qu'on le conteste !
S'il est faux, qu'on le démontre !

S'il est vrai, qu'on le reconnaisse !

Mais, s'il est vrai, de quel droit l'empêcherait-on de porter toutes ses justes conséquences, quelles qu'elles puissent être? Les écarts seuls en devraient être prévenus ou réprimés.

La première de ces conséquences, j'ai hâte d'en convenir, est de rayer la célébration du mariage du nombre des actes dans lesquels l'État s'est arrogé le droit d'intervenir, contrairement à cette opinion de Montesquieu :

« C'est à la loi de la religion à décider si le lien sera indissoluble ou non; car, si les lois de la religion avaient établi le lien indissoluble et que les lois civiles eussent réglé qu'il peut se rompre, ce seraient deux choses contradictoires. >>> (Esprit des Lois, 1. XXVI, c. XIII.)

La célébration du mariage n'aurait jamais dû cesser d'être un acte purement et exclusivement religieux. Le mariage est un acte de la foi, non de la loi. C'est à la foi à le régir; ce n'est pas à la loi à le régler. Dès que la loi intervient, elle intervient sans droit, sans nécessité, sans utilité.

Pour un abus qu'elle a la prétention d'écarter, elle en fait naître d'innombrables qui sont pires, et dont, ensuite, la société souffre gravement sans se rendre compte de la cause qui les a produits.

Sous le régime de la paternité :

L'épouse comblée des biens de la fortune fléchit sous le poids d'une oisiveté qui le plus souvent enfièvre et égare son imagination. Elle ne sait que faire pour em

ployer son temps. La femme ne fait rien parce que l'homme fait tout.

L'épouse qui n'a pas apporté de dot et qui n'a pas reçu de douaire fléchit sous le poids d'un travail contre nature, qui l'oblige, par économie, de se séparer de son enfant peu de jours après lui avoir donné la naissance, de le mettre en nourrice loin d'elle, moyennant cinq ou six francs par mois *; d'aller travailler d'un côté lorsque son mari va travailler de l'autre, et de ne se rejoindre que le soir, en rentrant chacun de l'atelier qui les a tenus éloignés de leur ménage toute la journée. Si c'est là ce qu'on appelle la famille et la vie de famille, cela vaut-il, en conscience, tout le bruit qu'on en fait?

La femme, le fils et la fille font concurrence au mari et au père, et par cette concurrence abaissent le taux du salaire et appauvrissent le ménage lorsqu'ils s'imaginent lui venir en aide.

Sous le régime de la maternité, au contraire :

Plus la femme est riche, moins elle est désœuvrée; car non-seulement elle a ses enfants à nourrir, à élever, à instruire, à surveiller; mais encore elle a à administrer sa fortune, qui sera la leur. Conserver cette fortune, l'accroître encore; voilà de quoi occuper ses loisirs, calmer son imagination et la refréner. C'est à tort qu'on suppose que les femmes sont peu aptes à la gestion des affaires : elles y excellent pour si peu qu'elles s'y appliquent ou qu'elles y aient été exercées.

Plus le ménage est pauvre, plus le mari y représente le travail et le salaire, plus la femme y représente la prévoyance et l'épargne. Chacun des deux exerce ainsi sa fonction naturelle. Le mari gagne doublement à ce

Le prix des mois de nourrice en moyenne pour la première année est de 7 fr. et de 5 fr. après le sevrage,

que la femme ne travaille pas. Elle ne fait pas baisser le salaire et elle économise. Les enfants, ne travaillant pas avant l'âge où leurs forces ont acquis le degré de développement nécessaire à leur plénitude, ont le temps de s'instruire. Ainsi, par la maternité, ce puissant instinct, ce noble sentiment*, se régénérera l'humanité. La maternité est un moule déformé auquel il faut rendre sa forme si l'on veut arrêter le déclin visible des générations asservies par l'industrie.

La nourrice mercenaire, cette violation funeste d'une loi naturelle, cette cause profonde, très profonde de perturbation sociale, et l'institeur primaire, désormais inutiles, disparaissent heureusement; car tous deux sont remplacés par la mère. Alors se resserre naturellement le lien filial détendu par la nourrice et par l'instituteur.

Dans l'ordre naturel, la mère qui met au monde un enfant doit l'allaiter **. C'est ce que Favorinus, d'Arles, disciple d'Épictète, prescrivait seize siècles avant J.-J. Rousseau.

Qu'arrive-t-il lorsque, sous un prétexte ou par un motif quelconque, la mère viole cette loi de la nature et met son enfant en nourrice? Il arrive que la mère

Revue britannique, 1847 : Instincts de la Maternité. ** Toutes les Germaines nourrissaient elles-mêmes leurs enfants.

Raphaël eut pour nourrice sa mère Élisabeth Ciarla. «Après que le petit enfant est né, une vraie mère le doict nourrir et alaicter de ses mamelles, qui est la elle fontaine que dame Nature, sage et provide, a préparée à cet effet. Et quel passe-temps plus grand pourrait avoir une femme en ce monde que celui qu'elle en ha en alaictant ses enfants, desquels le petit patois et gergon gratieux, la difficulté de la prolation de leurs mots, le rys souef et amoureux, la joyeuseté qu'ils donnent la maison, passe tous les badins du monde. »

PATRICLE DE SENÉS, évêque de Caiete. Le Livre de la police humaine, page 75.

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