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Dans les termes où ces deux problèmes ont été posés jusqu'à ce jour, ils sont aussi insolubles l'un que l'autre.

En examinant de près et attentivement la Société ou la Loi, qui en est l'expression, on reconnaît que la Société fait ce que ferait une idiote (qu'on me passe la vulgarité de la comparaison) qui retirerait l'écume d'un pot-au-feu pour la jeter dans la cendre, et qui ramasserait ensuite l'écume dans la cendre pour rejeter cendre et écume dans la marmite.

Ce serait de la démence! Oui sans doute. Eh bien! n'est-ce pas ce que fait la loi pénale quand elle jette l'écume de la société dans la boue des prisons et des bagnes, pour rejeter plus tard dans la société cette écume mêlée à la boue?

Un individu a commis un des vols qui, aux termes de l'article 401 du code pénal, sont punis d'un an d'emprisonnement au moins et de cinq ans au plus ; il est arrêté, condamné et conduit dans une des prisons centrales, appelées maisons de correction.

Quand il y arrive, quel est le sentiment qu'il éprouve? Est-ce de la honte? Interrogez les hommes spéciaux, les inspecteurs-généraux des prisons, ils vous répondront que le plus souvent c'est de l'humilité. S'il rougit, s'il est embarrassé, c'est d'avoir été condamné pour trop peu, c'est de n'avoir à avouer rien qui égale ou surpasse les hauts faits des vétérans de cette armée du crime dans laquelle il vient d'être incorporé en qualité de recrue. Singulière manière de punir le coupable! manière plus singulière encore de l'amender!

L'individu qui commet un vol, le commet: d'abord avec la certitude, s'il est découvert et arrêté, qu'il sera logé, nourri et vêtu par l'État; ensuite avec l'espérance qu'à sa sortie de prison, on ignorera qu'il y est entré; il calcule que, grâce à l'obscurité dans laquelle

la société est plongée, il lui suffira de changer de résidence ou de nom.

Souvent, trop souvent ce calcul se trouve juste.

Ainsi dans la prison la houte ne l'atteint pas, et il y échappe ou espère y échapper hors de la prison.

Il n'y échapperait pas, il n'espérerait pas y échapper, si tout individu français ou étranger était muni de L'INSCRIPTION DE VIE ou de la POLICE D'ASSURANCE GÉNÉRALE dont le modèle a été imprimé à la fin du volume intitulé: L'IMPÔT.

Cette INSCRIPTION DE VIE est rédigée de telle sorte qu'elle sert d'acte de naissance, de passe-port, de carte électorale, de livret. Aucun renseignement nécessaire n'y est omis; elle porte avec elle-même son propre contrôle, car elle est visée chaque mois par le percepteur, et une place est réservée au juge de paix pour y consigner la déclaration que le porteur de ladite INSCRIPTION DE VIE n'a encouru aucune condamnation judiciaire, toutes les fois que celui-ci le requiert de l'attester.

Moyennant cette INSCRIPTION DE VIE où tout est transcrit :

Bagnes et prisons deviennent inutiles;

Le rôle des juges en matière criminelle ou correctionnelle change presque entièrement.

A l'exception des réparations pécuniaires qu'ils continueraient de prononcer, on pourrait dire: ils ne condamnent plus, ils constatent.

Constater qu'un individu a commis un vol, un faux, un rapt, etc., ce serait lui infliger un supplice égal à celui qui consistait, avant l'ordonnance de 1670, à écrire sur le front du coupable la peine qu'il avait encourue car à toute porte inconnue à laquelle il frapperait pour demander un asile, et quelque acte ci

vil ou politique qu'il voulût accomplir, il lui serait demandé d'exhiber son INSCRIPTION DE VIE.

Si, à défaut de sa famille maternelle, il n'avait pas sa Commune natale, la Commune-mère, qui consentit à le prendre sous sa haute surveillance, ou, à défaut de sa Commune natale et de sa corporation, un ami solvable qui offrit une caution suffisante, que pourrait-il devenir, et quelle dernière ressource lui resterait-il ?

-Une seule : celle d'obtenir de l'État, presque comme une faveur, qu'il le prît à bord d'un de ses vaisseaux, et qu'il le transportât à l'une des extrémités du monde, dans quelque colonie peuplée de ses pareils. Car aussitôt qu'un seul État aurait consacré par l'usage l'utilité de l'INSCRIPTION DE VIE, ce perfectionnement du passeport, qui en aurait tous les avantages sans en avoir les inconvénients, cette contre-marque d'entrée et de sortie dans l'amphithéâtre social, il n'y aurait pas de pays civilisé qui ne s'empressat de l'adopter.

Par le fait, tout malfaiteur serait alors condamné, comme Caïn et comme le Juif-Errant, au supplice de marcher toujours jusqu'à ce qu'il eût trouvé une terre où la civilisation n'eût pas encore pénétré.

Ce serait, dit-on, le rétablissement de la marque ! Je ne le nie pas; mais ce serait la marque transformée; ce serait le titre de l'homme vérifié et constaté, comme, dans les hôtels de monnaie, on constate le titre des métaux. Des hommes dont l'INSCRIPTION DE VIE serait immaculée, on pourrait justement dire qu'ils vaudraient leur pesant d'or; tandis que les autres seraient estimés ne valoir moralement que leur pesant d'argent ou de cuivre.

La crainte de la plus légère constatation deviendrait une pensée fixe, car l'avoir encourue serait le plus insupportable supplice.

Le ressort de la honte, ce ressort auquel les prisons pour peines ont fait perdre sa puissance d'intimidation salutaire, la retrouverait, telle que Montesquieu l'a décrite en ces termes admirables:

« Suivons la nature, qui a donné aux hommes la HONTE comme leur FLÉAU, et que la plus grande partie de la peine soit l'infamie de la souffrir.

>> Que s'il se trouve un pays où la honte ne soit pas une suite du supplice, cela vient de la tyrannie qui a infligé les mêmes peines aux scélérats et aux gens de bien.

>> Et si vous en voyez d'autres où les hommes ne sont retenus que par les supplices cruels, comptez encore que cela vient, en grande partie, de la violence du gouvernement qui a employé ces supplices pour des fautes légères.»>

Cette pensée de Montesquieu était aussi celle de Mirabeau; on la retrouve consignée dans ce passage du discours qu'il prononça le 28 octobre 1789:

« Pendant que vous vous occupez des conditions à exiger pour être électeur et éligible, je vous propose de consacrer une idée qui m'a paru très simple, très noble: ce serait d'attribuer aux assemblées du peuple la fonction d'inscrire solennellement les hommes qui auront atteint l'âge de vingt et un ans sur le tableau des citoyens, c'est ce que j'appelle l'inscription civique *. Il suffit aujourd'hui à mon but de vous montrer qu'il est important d'apprendre à la jeunesse les rapports qui l'unissent à la patrie, de se saisir de boane heure des mouvements du cœur humain pour les diriger au bien général, et d'attacher aux premières affections de l'homme les anneaux de cette chaîne qui doit lier toute son existence à l'obéissance des lois et et aux devoirs du citoyen..... Si vous consacrez le projet que je vous propose, vous pourrez vous en servir dans le Code pénal, en déterminant qu'une des peines les plus graves pour les fautes de la jeunesse sera la suspension de son droit à l'inscription civique et l'humiliation d'un retard pour deux, trois ou même pour cinq années. Une

*Cette idée de Mirabeau était empruntée à un livre récent de Fabbé Siéyès.

peine de cette nature est heureusement assortie aux erreurs de cet age, plutôt frivole que corrompu, qu'il ne faut ni flétrir, comme on l'a fait trop longtemps, par des punitions arbitraires, ni laisser sans frein, comme il arrive aussi quand les lois sont trop rigoureuses. Qu'on imagine combien, dans l'âge de l'émulation, la terreur d'une exclusion publique agirait avec énergie, et comme elle ferait de l'éducation le premier intérêt des familles. Si la punition qui résulterait de ce retard paraissait un jour trop sévère, ce serait une grande preuve de la bonté de notre constitution politique. Vous auriez rendu l'état de citoyen si honorable qu'il serait devenu la première des ambitions. >>

Enfermer un malfaiteur avec des malfaiteurs plus pervertis que lui, ce n'est pas le punir, c'est encore moins le corriger; c'est faire descendre dans son cœur le ressentiment, ce n'est pas faire monter à son front la honte!

S'il est un moyen de le punir et peut-être de l'amender, c'est de l'exclure de sa corporation, c'est de le renvoyer sous la haute surveillance de sa famille, ou de l'interner dans sa Commune natale, à moins qu'il ne préfère s'expatrier, ce qu'il demanderait presque toujours.

Objection:

-Comment! lorsqu'un individu perverti aurait tué, volé ou violé, vous vous borneriez d'abord à constater sur son INSCRIPTION DE VIE qu'il a tué, volé ou violé, et puis vous le renverriez sous la haute surveillance de sa famille ou de sa commune, qui vous en répondraient; et ce ne serait que dans les cas suivants : refus motivé de sa famille ou de sa commune de le recevoir, rupture de ban, récidive, que la transportation serait de droit moins encore comme peine prononcée contre un coupable que comme mesure de police prise contre un être malfaisant? Non; ce n'est pas sérieusement que vous

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